Candidat a l'habit vert
Bien que destiné e à contrô ler et à diriger l'é volution de la langue et de la litté rature, l'Acadé mie franç aise ne fut jamais un cé nacle purement litté raire. Dè s sa fondation par Richelieu, en 1635, elle comptait dans ses rangs des militaires, des avocats, des mé decins, des pré lats. Aussi vaut-elle à quiconque y est é lu une immense considé ration.
Les Franç ais, si prompts à dé couvrir des ridicules dans leurs institutions les plus vé né rables, n'ont pas manqué de plaisanter l'illustre compagnie, parfois mê me cruellement: Montesquieu, par exemple, qui fut de l'Acadé mie, l'a traité e avec fé rocité dans les Lettres persanes. Moins mé chants, ROBERT DE FLERS et CAILLAVET se sont borné s à en faire une amusante caricature dans leur comé die de L'Habit vert.
LE DUC1 — Comment, mon bon Pinchet2 est-il possible?.. Vous, à Deauville!.. Et jusques à quand restez-vous sur la cô te?
PINCHET. — Jusques à lundi au plus tard. Voyez-vous, monsieur le duc, mon pè re et mon grand-pè re qui furent avant moi secré taires gé né raux de l'Institut3 ne s'en sont pas é loigné s un seul jour durant trente-sept ans. Depuis vingt ans, je ne l'avais jamais quitté non plus... J'ai essayé, j'ai eu tort.
BÉ NIN. — C'est fort touchant.
PINCHET. — Non, monsieur le baron, non... c'est de l'é goï sme et aussi un peu d'orgueil. Il me semble que je manque là -bas, qu'en mon absence, il y a de la poussiè re qui n'est pas à sa place.
LE DUC. — Vous avez le mal du pays, Pinchet!
PINCHET. — Exactement, monsieur le duc. Ah! quand je pense que dimanche — car je repartirai dimanche —, au moment où le petit omnibus de la gare passera le pont des Saints-Pè res, j'apercevrai la coupole, le quai, la petite place en hé micycle, modeste et si glorieuse pourtant...
bé nin. — Les deux braves petits lions de pierre endormis sur notre seuil d'un sommeil de collè gues...
PINCHET. — Nos voisins les bouquinistes qui vendent des livres qu'ils ont lus à des gens qui ne les liront pas... Ah! on pourra dire tout ce qu'on voudra, c'est un bel endroit.
LE DUC. — A propos, Pinchet, comment va noire collè gue Bretonneau? Il é tait fort mal quand j'ai quitté Paris.
PINCHET. — Oh! il n'y a plus d'espoir4 monsieur, il est tout à tait gué ri.
En revanche, on croit que M. Jarlet-Bré zin ne passera pas l'é té. Du reste, je vous tiendrai au courant des nouvelles, monsieur le duc, car mon fils me renseignera par dé pê che.
BÉ NIN. — C'est lui qui vous remplace en votre absence?
PINCHET. — Oui, je l'ai formé; je lui ai appris, comme mon pè re me les avait appris autrefois, les noms de tous les acadé miciens dont les bustes ornent nos couloirs, nos greniers et nos caves. Il y en a beaucoup.
BÉ NIN. — Ah! il y en a é normé ment.
LE DUC. — Enormé ment.
PINCHET. — Enormé ment. Ils sont immortels et pourtant personne ne connaî t plus rien d'eux. Si bien que ces hommes illustres n'existeraient plus du tout, s'il n'y avait pas toujours un Pinchet pour savoir leur nom*.
R. DE FLERS Et CAILLA VET. L'Habit vert (1912).
Примечания:
1. Герцог мечтает быть избранным во Французскую академию. Он говорит в шут- ку, что в Академии существует " партия герцогов". 2. Пенше является генеральным секретарем Французского Института. 3. Французский Институт представляет собой объединение пяти Академий: Французской академии, Академии надписей и литерату- ры, Академии моральных и политических наук, Академии наук (естественных) и Ака- демии художеств. 4 Подразумевается: никакой надежды для кандидатов, претендую- щих на освободившееся после его смерти академическое кресло!
Вопросы:
* Relevez et commentez quelques-uns des traits ironiques ou spirituels de cette page.
LE SALON DE L'ARSENAL1
Les Salons ont joué, dans la vie litté raire et 'philosophique du XVIH" siè cle. un rô le capital. Ils ont é té de vé ritables foyers intellectuels, et l'on sait assez quel soutien les é crivains et savants ont reç u chez la marquise du Deffand ou chez. Mme Geoffrin 'par exemple.
Au siè cle suivant, le salon de l'Arsenal, où Charles Nodier, assisté de sa femme et de sa fille, la charmante Marie, accueillait poè tes et artistes, a é té le plus brillant et le plus vivant cé nacle de l'é poque romantique. ALFRED DE MUSSET, qui ne fut pas seulement le pathé tique auteur des Nuits, mais aussi un des maî tres du badinage en vers, a su en cé lé brer spirituellement «la gaieté»...
A Charles Nodier.
Ta muse, ami, toute franç aise,
Tout à l'aise, Me rend la sœ ur de la santé,
La gaieté.
Elle rappelle à ma pensé e,
Dé laissé e, Les beaux jours et les courts instants
Du bon temps,
Lorsque, rassemblé s sous ton aile
Paternelle, É chappé s de nos pensions2
Nous dansions.
Gais comme l'oiseau sur la branche,
Le dimanche Nous rendions parfois matinal3
L'Arsenal.
La tê te coquette et fleurie
De Marie4 Brillait comme un bleuet mê lé
Dans le' blé.
Taché s dé jà par l'é critoire,
Sur l'ivoire5 Ses doigts lé gers allaient sautant.
Et chantant. ':
Quelqu'un ré citait quelque chose
Vers ou prose, Puis nous courions recommencer
A danser.
Chacun de nous, futur grand homme,
Ou tout comme, Apprenait plus vite à t'aimer
Qu'à rimer.
Alors, dans la grande boutique Romantique,
Chacun avait, maî tre ou garç on, Sa chanson...
Cher temps, plein de mé lancolie,
De folie, Dont il faut rendre à l'amitié
La moitié *!
alfred de musset. Ré ponse à M. Charles Nodier (1843). Примечания:
1. Имеется в виду библиотека Арсенала, находящаяся на правом берегу Сены. Шарль Нодье был ее директором с 1824 г. 2. Из наших коллежей, где мы учились и жили на пансионе. 3 Собирались в Арсенале вечером каждое воскресенье; расходи- лись иногда под утро, и Мюссе хочет сказать, что поскольку танцы продолжались чуть ли не до рассвета, утром Арсенал был полон жизни. 4. Дочь Шарля Нодье. 5. Клавиши рояля.
Вопросы:
* Appré cier le rythme de cette piè ce. En quoi s'accorde-t-il à l'é vocation de ces gracieuses soiré es? — On cherchera à pré ciser, d'aprè s deux ou trois exemples, ce que la litté rature franç aise doit aux salons.
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