Jean de la Fontaine 1 страница
(1621-1695)
LONGTEMPS on se le figura sous les traits d'un ingé nu, d'un rê veur, d'un naï f é garé sur notre planè te. Il é tait le «bonhomme»... Aujourd'hui, on se dé fie de cette lé gende: et l'on n'a pas tort, au moins en ce qui concerne le poè te proprement dit. Car, comment imaginer que tant de distraction se fû t concilié e avec tant d'art?
LA JEUNE VEUVE
La perte d'un é poux ne va point sans soupirs, On fait beaucoup de bruit; et puis on se console; Sur les ailes du temps la tristesse s'envole,
Le temps ramè ne les plaisirs.
Entre la veuve d'une anné e
Et la veuve d'une journé e La diffé rence est grande; on ne croirait jamais
Que ce fû t la mê me personne; L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits. Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne; C'est toujours mê me note et pareils entretiens;
On dit qu'on est inconsolable;
On le dit, mais il n'en est rien,
Comme on verra par cette fable,
Ou plutô t par la vé rité.
L'é poux d'une jeune beauté Partait pour l'autre monde. A ses cô té s, sa femme Lui criait: «Attends-moi, je te suis; et mon â me, Aussi bien que la tienne, est prê te à s'envoler.»
Le mari fait seul le voyage. La belle avait un pè re, homme prudent et sage;
Il laissa le torrent couler.
A la fin, pour la consoler: «Ma fille, lui dit-il, c'est trop verser de larmes: Qu'a besoin le dé funt que vous noyiez vos charmes? Puisqu'il est1 des vivants ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l'heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports2; Mais, aprè s certain temps, souffrez qu'on vous propose Un é poux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le dé funt. — Ah! dit-elle aussitô t,
Un cloî tre est l'é poux qu'il me faut.» Le pè re lui laissa digé rer sa disgrâ ce.
Un mois de la sorte se passe; L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure:
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d'autres atours;
Toute la bande des amours Revient au colombier; les jeux, les ris3 la danse,
Ont aussi leur tour à la fin;
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de jouvence4. Le pè re ne craint plus ce dé funt tant ché ri; Mais comme il ne parlait de rien à notre belle:
«Où donc est le jeune mari
Que vous m'avez promis?» dit-elle*.
Fables. VI-21 (1668).
Примечания:
1. Находясь среди живых. 2. Я вовсе не советую вам сменить немедленно проявле- ние горя на радости нового брака. 3. Смех, веселье. 4 С утра до вечера она окуналась в источник юности (т.е. пребывала в обществе молодых людей и дам)..
Вопросы:
* «Ce n'est ni un conte., ni une idylle, ni un poè me: ce n'est rien et c'est presque tout lia Fontaine... Ah! ce «dit-elle», quel souvire dissimulé sous le battement de l'é ventail! Dé licatesse mondaine, comique parfait, un fond de philosophie rabelaisienne, un tour d'esprit marotique, quelques paillettes de Voiture, mais des paillettes d'or, le plus tendre coloris, le mouvement le plus vif, une grâ ce enfin où l'on sent toute la force (le la vie: le gé nie de La Fontaine se reflè te dans cette perle.» (A.BELLESSORT.) Ê tes-vous de cet avis?
BOILEAU (1636-1711)
bien sû r, BOILEAU n'est pas de ces poè tes qui peuvent enthousiasmer la jeunesse: il lé gifè re, avec trop de rudesse, fronce volontiers le sourcil, donne de la fé rule aux maladroits; en un mot il est le Pé dant...
Mais s'il n'a rien inventé, s'il s'est contenté de donner forme aux principes que depuis cinquante ans les é crivains franç ais appliquaient plus ou moins, consciemment, si mê me son talent personnel pâ tit beaucoup d'ê tre compare à celui de ses grands contemporains, il a su formuler avec vigueur ce besoin qu'é prouvé notre poé sie d'obé ir à des rè gles sé vè res, de soumettre le feu de l'inspiration au double contrô le de la raison et d'une technique sans dé fauts, Voilà pourquoi L'Art poé tique (1674) demeure comme une date capitale dans l'histoire de notre litté rature.
L'ART D'É CRIRE
Il est certains esprits dont les sombres pensé es,
Sont d'un nuage é pais toujours embarrassé es;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'é crire apprenez à penser.
Selon que notre idé e est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conç oit bien s'é nonce'- clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisé ment.
Surtout, qu'en vos é crits la langue ré vé ré e
Dans vos plus grands excè s vous soit toujours sacré e.
En vain vous me frappez d'un son mé lodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux2:
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme3,
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solé cisme4.
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un mé chant é crivain.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse5
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse:
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d'esprit que peu de jugement.
J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arè ne6,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promè ne,
Qu'un torrent dé bordé qui, d'un cours orageux
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Hâ tez-vous lentement, et, sans perdre courage, Vingt fois sur le mé tier remettez votre ouvrage: Polissez-le sans cesse et le repolissez; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez*.
Art poé tique, I, vers 147-174 (1674) Примечания:
1. Выражается. 2. Неправильный. 3. Слово, позаимствованное из другого языка. 4. Неправильный языковый оборот, не нарушающий смысла высказывания. 5 Какие бы ни были у вас причины спешить. 6. На песке.
Вопросы:
* Recherchez les vers (ou groupes de vers) qui ont pris, pour ainsi diref force de loi. Essayez d'expliquer pourquoi ils ont eu cette fortune.
ANDRÉ CHÉ NIER (1762-1794)
dans un siè cle -plus soucieux de philosopher que de rê ver et où les poè tes, adonné s à l'imitation sté rile du XVIIe siè cle, ne valent pas les prosateurs, c'est lui qui soutient le flambeau des Muses. Encore paya-t-il de sa tê te, sur l'é chafaud, son sens aristocratique de la Beauté. Son plus grand mé rite est sans doute d'avoir su é chapper au manié risme de ses modè les grecs ou latins et sauvegarder cette fluidité, cette transparence dans l'expression qui demeurent quelques-uns des traits les plus 'constants de la poé sie franç aise.
LA JEUNE TARENTINE
Pleurez, doux alcyons1! ô vous, oiseaux sacré s, Oiseaux chers à Thé tis, doux alcyons, pleurez!
Elle a vé cu, Myrto, la jeune Tareiitine2! Un vaisseau la portait aux bords clé Camarine: Là, l'hymen, les chansons, les flû tes, lentement Devaient la reconduire au seuil de son amant. Une clef vigilante a, pour cette journé e, Dans le cè dre4 enfermé sa robe d'hymé né e, Et l'or, dont au festin ses bras seraient5 paré s,
Et pour ses blonds cheveux les parfums pré paré s. Mais, seule sur la proue, invoquant les é toiles, Le vent impé tueux qui soufflait dans les voiles L'enveloppe. É tonné e et loin des matelots, Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots. Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine! Son beau corps a roulé sous la vague marine. Thé tis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher, ' Aux monstres dé vorants eut soin de le cacher. Par ses ordres bientô t les belles Né ré ides L'é lè vent au-dessus des demeures humides, Le portent au rivage, et dans ce monument L'ont, au cap du Zé phyr7, dé posé mollement; Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes, Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes, Toutes, frappant leur sein et traî nant un long deuil, Ré pé tè rent: «Hé las!» autour de son cercueil.
Hé las! chez ton amant tu n'es point ramené e.
Tu n'as point revê tu ta robe d'hymé né e.
L'or autour de tes bras n'a point serré de nœ uds.
Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux*.
Idylles 41786). Примечания:
1 Поэтическое название зимородка. По преданию, дочь Эола бросилась в море и была превращена богами в зимородка — птицу, посвященную нереиде Фетиде, став- шей матерью Ахилла. 2. Таранто — порт в южной Италии. 3. На Сицилии. 4 Сун- дучок из кедрового дерева. 5. Futur du passé, amené par les temps de portait, devaient (= allaient ê tre paré s). 6. Оцепеневшая. 7. В южной Италии.
Вопросы:
* On é tudiera la couleur antique dans ce poè me, les rythmes, et la valeur de certaines reprises, qui agissent parfois à la faç on de refrains.
ALPHONSE DE LAMARTINE (1790-1869)
Il fut le Prince de la Jeunesse en 1820, au lendemain des Mé ditations. Aujour- d'hui, l'ampleur et la chaleur de sa voix lui font tort: pour les lecteurs essoufflé s que nous sommes devenus, elles ont trop longue baleine... Et pourtant, II a revivifié le lyrisme franç ais, exté nué depuis plus d'un siè cle. Il est d'instinct retourné à la source originelle de toute vraie poé sie: le cœ ur. Aussi (comme Le Cid et Andromaque, La Nouvelle Hê loï se et René) les Premiè res Mé ditations sont-elles un commencement dans l'histoire des lettres franç aises.
Des piè ces de ce recueil, où l'on dirait que l'â me de Chateaubriand s'est exprimé e avec la musique de Racine, Le Lac reste ajuste titre la plus fameuse.
LE LAC
Ainsi, toujours poussé s vers de nouveaux rivages, Dans la nuit é ternelle emporté s sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'Océ an des â ges Jeter l'ancré un seul jour?
О lac1! l'anné e à peine a fini sa carriè re, Et prè s des flots ché ris qu'elle devait revoira Regarde! Je viens seul m'asseoir sur cette pierre2 Où tu la vis s'asseoir!
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes; Ainsi tu te brisais sur leurs flancs dé chiré s; Ainsi le vent jetait l'é cume de tes ondes Sur ses pieds adoré s.
Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre Du rivage charmé 4 frappè rent les é chos, Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chè re Laissa tomber ces mots:
«О temps, suspends ton vol! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours! Laissez-nous savourer les rapides dé lices
Des plus beaux de nos jours!
«Assez de malheureux ici-bas vous implorent:
Coulez, coulez pour eux; Prenez avec leurs jours les soins qui les dé vorent;
Oubliez les heureux.
«Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'é chappe et fuit; Je dis à cette nuit: «Sois plus lente»; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
«Aimons donc, aimons donc, de l'heure fugitive,
Hâ tons-nous, jouissons! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive;
Il coule et nous passons!»
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse, Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la mê me vitesse, Que les jours de malheur?
Hé quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace? Quoi! passé s pour jamais? Quoi! tout entiers perdus? Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus?
É ternité, né ant, passé, sombres abî mes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez? Parlez: nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez?
О lac! rochers muets! grottes! forê t obscure! Vous que le temps é pargne ou qu'il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature. Au moins le souvenir!
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages, Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux, Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent sur tes eaux!
Qu'il soit dans le zé phir qui fré mit et qui passe, Dans les bruits de tes bords par tes bords ré pé té s, Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface De ses molles clarté s!
Que le vent qui gé mit, le roseau qui soupire, Que les parfums lé gers de ton air embaumé, Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire, Tout dise: «Ils ont aimé!»*
Mé ditations poé tiques. (É crit en septembre 1817) Примечания:
1 Озеро Бурже в Савойе, на берегах которого Ламартин в октябре 1816 встретил г-жу Шарль, вдохновившую его на написание)того стихотворения 2 Ламартин и г-жа Шарль договорились встретиться вновь у озера в будущем году, но г-жа Шарль тяжело заболела и не смогла приехать в Савойю. 3 Имеется в виду скала на западном берегу озера Бурже неподалеку от аббатства Откомб, где Ламартин сделал первые наброски этого стихотворения 4 В этимологическом смысле' неземные звуки, ча- рующие берега...
Вопросы:
* Etudiez: 1° les diffé rente rythmes de ce poè me et leur rapport avec les sentiments, 2° la musicalité de certains vers (notamment dans les trois derniè res strophes)
ALFRED DE VIQNY (1797-1863)
ne nous mé prenons point sur son orgueil: c'est celui d'un homme blessé par la vie et qui cherche au fond de soi, et de soi seul, le moyen de panser son ingué rissable blessure. Pour lui, la Poé sie ne saurait donc ê tre considé ré e comme un simple artifice d'expression: elle est la Ré alité mê me, et presque la seule certitude en ce monde. Par là, elle libè re l'Homme, é crasé ou trahi de toutes parts, et affirme la victoire de l'Esprit, sur les forces aveugles de la Nature...
LA MAISON DU BERGER (fragment)
Eva ', j'aimerai tout dans les choses cré é es, Je les contemplerai dans ton regard rê veur Qui ré pandra partout ses flammes coloré es, Son repos gracieux, sa magique saveur; Sur mon cœ ur dé chiré viens poser ta main pure,
Ne me laisse jamais seul avec la Nature,
Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur.
Elle me dit: «Je suis l'impassible thé â tre
Que ne peut remuer le pied de ses acteurs;
Mes marches d'é meraude et mes parvis d'albâ tre,
Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.
Je n'entends ni vos cris, ni vos soupirs; à peine
Je sens passer sur moi la comé die humaine
Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.
«Je roule avec dé dain, sans voir et sans entendre,
A cô té des fourmis les populations;
Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre2,
J'ignore en les portant les noms des nations.
On me dit une mè re et je suis une tombe.
Mon hiver prend vos morts comme son hé catombe,
Mon printemps ne sent pas vos adorations.» (...)
C'est là ce que me dit sa voix triste et superbe,
Et dans mon cœ ur alors je la hais, et je vois
Notre sang dans son onde et nos morts sous son herbe
Nourrissant de leurs sucs la racine des bois.
Et je dis à mes yeux qui lui trouvaient des charmes:
Ailleurs tous vos regrets, ailleurs toutes vos larmes,
Aimez ce que jamais on ne verra deux fois.
Oh! Qui verra deux fois ta grâ ce et ta tendresse,
Ange doux et plaintif, qui parle en soupirant?
Qui naî tra comme toi, portant une caresse
Dans chaque é clair tombé de ton regard mourant,
Dans les balancements de ta tê te penché e,
Dans ta taille indolente et mollement couché e,
Et dans ton pur sourire amoureux et souffrant?
Vivez, froide nature, et revivez sans cesse
Sous nos pieds, sur nos fronts, puisque c'est votre loi;
Vivez, et dé daignez, si vous ê tes dé esse,
L'homme, humble passager, qui dut vous ê tre un roi; Plus
que tout votre rè gne et que vos splendeurs vaines,
J'aime la majesté des souffrances humaines;
Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi*.
1844. Paru dans Les Destiné es en 1864. 282
Примечания:
1 Поэт обращается к идеальной женщине. 2. Подземные ходы муравьев от люд- ского праха. 3. Человек, который должен стать царем природы, так как он мыслит
Вопросы:
* Commentez en particulier les vers: «Aimez ce que jamais on ne verra deux fois» •— et: «J'aime la majesté des souffrances humaines», dont Vigny disait: «Ce vers est le sens de tous mes poè mes philosophiques.» (Journal d'un Poè te). — Montrez aussi quel rô le de mé diatrice tient la femme entre le poè te et la nature (cf. les premiers vers).
VICTOR HUGO (1802-1885)
de tous nos poè tes, il est le plus complet. Il s'est essayé dans tous les genres et il y a manifesté une é gale abondance, une -pareille sû reté. Il semblait avoir reç u tous les instruments à la fois. Et c'est vanité que pré tendre dé couvrir dans cette œ uvre gigantesque le poè me qui en offre l'image la plus fidè le. Si l'on s'est arrê té à une piè ce de vers tiré e des Contemplations (1856), ce n'est pas seulement parce que ce recueil est sans doute celui où le gé nie de Victor Hugo s'est exprimé le plus complè tement. C'est aussi parce que ces vers, dé dié s à Lé opoldine, la fille aî né e du poè te morte dans un naufrage en 1843, ont une simplicité qui, aujourd'hui encore, nous bouleverse.
ELLE AVAIT PRIS CE PLI...
Elle1 avait pris ce pli dans son â ge enfantin De venir dans ma chambre un peu chaque matin; Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espè re; Elle entrait, et disait: Bonjour, mon petit pè re; Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait Sur mon lit, dé rangeait mes papiers, et riait, Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe. Alors, je reprenais, la tê te un peu moins lasse, Mon œ uvre interrompue, et, tout en é crivant, Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent Quelque arabesque -folle et qu'elle avait tracé e, Et mainte page blanche entre ses mains froissé e Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers; Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les pré s verts,
Et c'é tait un esprit avant d'ê tre une femme.
Son regard reflé tait la clarté de son â me.
Elle me consultait sur tout à tous moments.
Oh! Que de soirs d'hiver radieux et charmants
Passé s à raisonner langue, histoire et grammaire,
Mes quatre enfants groupé s sur mes genoux, leur mè re
Tout prè s, quelques amis causant au coin du feu!
J'appelais cette vie ê tre content de peu!
Et dire2 qu'elle est morte! Hé las! Que Dieu m'assiste!
Je n'é tais jamais gai quand je la sentais triste;
J'é tais morne au milieu du bal le plus joyeux
Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux*.
Les Contemplations (1856). Примечания:
\. Маленькая Леопольдина Гюго, родившаяся в 1824 г. 2. Подумать только1 (используется в разговорном языке для выражения горечи, недоумения, изумления).
Вопросы:
* On comparera cette piè ce de vers avec quelques autres, aussi cé lè bres, où le poè te exprime son amour pour les enfants,
GÉ RARD DE NERVAL (1808-1855)
LONGTEMPS considé ré comme un «gentil» poè te plutô t que comme un grand inspiré, et desservi par la folie qui embruma ses derniè res anné es avant de le conduire au suicide, GÉ RARD DE NERVAL, depuis une vingtaine d'anné es, s'est imposé comme l'un des plus importants pré curseurs du lyrisme moderne et contemporain. Par un curieux revirement, on s'est mis à redé couvrir et à aimer ce qui pré cisé ment avait maintenu son œ uvre dans l'ombre: ce sens de l'irré el et du fantastique, qui nous apparaî t aujourd'hui comme insé parable de la notion mê me de poé sie.
FANTAISIE
II est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber1, Un air trè s vieux, languissant et funè bre, Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon â me rajeunit2:
C'est sous Louis XIII... — Et je crois voir s'é tendre
Un coteau vert que le couchant jaunit;
Puis un châ teau de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâ tres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une riviè re
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs.
Puis une dame à sa haute fenê tre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens... Que, dans une autre existence, peut-ê tre, J'ai dé jà vue -— et dont je me souviens*!
Odelettes (1831). Примечания:
1 «II faut prononcer Wè bre, à l'allemande.» (Note du poè te). — 2. Cf. les deux derniers vers du poè me.
Вопросы:
* Cette ré miniscence, provoqué e par l'audition d'un air de musique, semble annoncer une page cé lè bre de Marcel Proust). Comparer le lyrisme de cette piè ce avec celui qui se dé gage des poè mes romantiques de Lamartine, de Vigny, de V. Hugo, cité s dans ce recueil.
THÉ OPHILE GAUTIER (1811-1872)
aprè s avoir é té, dans sa jeunesse, l'un des plus fougueux dé fenseurs du romantisme, THÉ OPHILE GAUTIER fut, vingt ans plus tard, un de ceux qui contribuè rent le plus efficacement à sa disparition.
Artiste é pris surtout d'exactitude dans la vision et de perfection dans la forme, il annonç ait, par ces exigences mç mes, les principes qui allaient assurer le triomphe de l'idé al parnassien '.
FUMÉ E
Là -bas, sous les arbres s'abrite Une chaumiè re au dos bossu*; Le toit penche, le mur s'effrite1 Le seuil de la porte est moussu.
La fenê tre, un volet la bouche; Mais du taudis2 comme au temps froid La tiè de baleine d'une bouche, La respiration se voit.
Un tire-bouchon de fumé e, Tournant son mince filet bleu, De l'â me en ce bouge4 enfermé e Porte des nouvelles à Dieu**.
É maux et Camé es (1852) Примечания:
1. Совершенное выражение этого идеала можно найти в " Трофеях" (1893) M де Эредиа. 2. Рассыпается, ветшает 3 Лачуга 4 Это слово, также означав! " лачуга", но чаще употребляется в значении " вертеп", " притон".
Вопросы:
* Expliquez cette image.
** Montrez comment la qualité de la facture, la pré cision sans lourdeur font oublier ici l'insignifiance du thè me. — Appré ciez: l'antithè se sur laquelle repose la composition de cette piè ce.
CHARLES BAUDELAIRE (1821 1867)
paul valé ry l'a souligné en termes inoubliables: il est «le plus important» des poè tes franç ais du XIXe siè cle. Car, dans l'instant mê me où le romantisme agonisant ne se survivait plus que grâ ce à l'intarissable é loquence de Hugo, où Gautier, tournant le dos à l'Inspiration, pré tendait ne plus rien cultiver que la forme, et où Leconte de Liste se fourvoyait parmi la peinture et la statuaire, BAUDELAIRE faisait é clater les murs vides de l'Art pour l'Art et ré introduisait la musique au sein de la poé sie.
Et puis, il mettait à la mode tant de thè mes qui, aprè s lui, allaient ê tre exploité s sans fin: les parfums, les paradis artificiels, le vin, les chats, la pipe, les assassins, les chiffonniers, les petites vieilles, — en somme tout un univers jusqu'alors dé laissé, et que sa Muse «vé nale et malade» osa chanter la premiè re...
L'INVITATION AU VOYAGE
Mon enfant, ma sœ ur, Songe à la douceur D'aller là -bas vivre ensemble!
Aimer à loisir,
Aimer et mourir Au pays qui te ressemble;
Les soleils mouillé s
De ces ciels brouillé s Pour mon esprit ont les charmes
Si mysté rieux
De tes traî tres yeux, Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants
Polis par les ans, Dé coreraient notre chambre;
Les plus rares fleurs
Mê lant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
A l'â me en secret Sa doué e langue natale.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde;
C'est pour assouvir
Ton moindre dé sir Qu'ils viennent du bout du monde.
— Les soleils couchants
Revê tent les champs, les canaux, la ville entiè re,
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