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Le modè le chinois de contrô le social est en crise
Pé kin, Correspondant - Le Parti communiste chinois (PCC) s'est longtemps vanté de l'efficacité de son mode de gouvernance, mettant en avant que la stabilité qu'il a apporté e, dans un pays aussi grand et peuplé, é tait essentielle au dé collage é conomique de ces trente derniè res anné es. Aujourd'hui, ce consensus se fissure. L'outillage sophistiqué de " maintien de la stabilité " mis en place par l'Etat-parti non seulement peine à calmer les esprits – les manifestations populaires, souvent violentes, ciblent la police et les administrations, tandis que des pé titionnaires individuels se suicident ou organisent des attentats vengeurs –, mais il s'avè re contre-productif, dans une socié té de plus en plus informé e, mature et ouverte aux dé bats. Les signes d'usure du modè le de gouvernance s'accumulent. Dans les ré gions de minorité s ethniques, ré pression culturelle et religieuse se font au nom d'un arsenal idé ologique mis au placard partout ailleurs en Chine. Dans les villes, la corruption exaspè re les petites gens. Toute une bourgeoisie é mergente accepte mal de ne pas avoir de prise sur les affaires qui la concernent. Quant aux migrants des campagnes, grands perdants du miracle é conomique chinois, ils se ré veillent, au point que la province du Guangdong, le cœ ur de la machine à exporter, a connu deux é meutes ces derniè res semaines, un an aprè s les grè ves chez Honda et les suicides d'ouvriers de Foxconn.
" PRISONS NOIRES" Si les migrants " ne sont pas absorbé s dans la socié té urbaine et ne jouissent pas des droits qui leur sont dus, les conflits ne vont cesser de s'accumuler… Les politiques doivent faire face à la ré alité pressante que la nouvelle gé né ration de travailleurs migrants veut rester dans les villes", lit-on dans un rapport publié, mardi 14 juin, par le Centre de recherche pour le dé veloppement du Conseil d'Etat, un think tank du gouvernement chinois. Les rouages de la " machinerie de pré servation de la stabilité " ont mê me fait l'objet, sous ce titre, d'une grande enquê te dans l'hebdomadaire libé ral Caijing, le 6 juin. Une premiè re. Divers mé dias avaient, ces derniè res anné es, levé un coin du voile sur les aberrations de la politique sé curitaire, comme les " prisons noires" pour les ré cidivistes de la pé tition. Ou encore, dans une version plus douce, les " commentateurs du Net" qui s'immiscent dans les conversations en ligne pour appeler à l'apaisement. Les tabous se brisent. Tout un pan de la socié té chinoise, mais aussi du parti, milite pour une approche diffé rente du " maintien de la stabilité " et l'abandon d'une mentalité ré pressive: " Dans les autres pays, ce genre d'incidents est considé ré comme l'expression ordinaire des inté rê ts [des gens], ils participent de leurs liberté s. On ne les appelle pas “incidents de masse” et il n'existe pas de concept de 'maintien de la stabilité '", expliquait, dé but 2011 dans une interview au magazine Guoji Xianqu Daobao, de l'agence Xinhua, le politologue Wang Yukai, du centre de recherche China Society for Administration Reform. Il pré conise de cesser de " diaboliser les incidents de masse" et de s'ouvrir à " l'idé e d'un maintien normal de l'ordre social".
LE MAINTIEN DE LA STABILITÉ La " machinerie de pré servation de la stabilité " dé crite par Caijing est contrô lé e au sommet par le Comité politico-lé gal du parti, dont les extensions locales dé cident des verdicts dans les tribunaux, selon la ligne politique du parti. Le systè me est renforcé en 1991: le maintien de la stabilité devient une " tâ che de la plus haute importance". Un " groupe de travail de la haute direction" – sa composition reste secrè te – se voit octroyer " l'autorité suprê me" sur les questions de stabilité. " L'office 610" – spé cialisé dans la lutte anti-Falun Gong – est cré é en 1999. Au fil des anné es, le systè me se dote d'outils plus modernes, d'é valuation des risques et de fourniture de services sociaux, notamment aux migrants. Un ré seau de commissions et de bureaux de " maintien de la stabilité " se constitue à tous les é chelons administratifs. Rien qu'au niveau du canton, le plus bas en Chine, des milliers de personnes sont impliqué es dans cette mission et reç oivent des budgets. Un systè me d'incitations financiè res ré compense, par exemple, l'absence " d'incidents de masse" au cours de l'anné e. L'interception de pé titionnaires qui se rendent à Pé kin a conduit, dé nonce le magazine, à la cré ation d'un vé ritable " marché du maintien de la stabilité ", dont profitent les officiers de liaison des provinces à la capitale, mais aussi toutes sortes de " rentiers du systè me, d'intermé diaires ou de gangsters".
" PEUR DES MÉ TIERS DE LA JUSTICE"
L'externalisation de la tâ che de rapatriement des plaignants vers leur lieu de ré sidence à des socié té s privé es en est un autre exemple: l'agence Anyuanding, dont pé titionnaires et avocats ont dé noncé les pratiques violentes et illé gales en 2010, fut ainsi sous contrat de 19 gouvernements provinciaux. En primant sur tout le reste, le " maintien de la stabilité " a fait reculer la construction de l'Etat de droit, pourtant programmé e dans le cadre de l'ouverture é conomique: " Avant les anné es 2003 et 2004, le pré sident de la Cour suprê me avait lancé des ré formes pour consolider le statut des juges. Tout allait dans le sens d'une plus grande indé pendance de la justice et d'une professionnalisation", explique au Monde He Weifang, professeur de droit à l'université de Pé kin. Mais, poursuit-il, " la plus haute direction du parti a voulu ré affirmer son contrô le sur la justice. Un recul pour les libé raux. En fait, les autorité s ont eu peur des mé tiers de la justice".
Brice Pedroletti
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