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Les nymphéas1 ou les surprises d'une aube d'ete






CLAUDE МОНЕТ (1840-1926) avait, dè s 1898, commencé la sé rie des fameux
Nymphé as. Or, l'ensemble dé coratif qu'on -peut admirer sous ce nom au musé e
de l'Orangerie, dans le jardin des Tuileries, le -peintre n'en fit don à l'Etat
qu'en 1923. C'est assez dire que ce thè me ne cessa d'occuper (et mê me
d'obsé der) toute la derniè re partie de la vie de l'artiste.

Des deux salles où sont exposé s les Nymphé as, ANDRÉ MASSON a pu é crire
qu'elles constituaient «la Sixtine de l'Impressionnisme». On ne saurait situer
avec plus de force l'importance du chef-d'œ uvre de Monet.

«Il n'y a point de Polype, ni de Camé lé on, qui fuisse changer de couleur aussi souvent

que l'eau.»

(jean-albert FABRICIUS, Thé ologie de l'Eau, trad. /747, P. 98.)

Les nymphé as sont les fleurs de l'é té. Elles marquent l'é té qui ne trahira
plus. Quand la fleur apparaî t sur l'é tang, les jardiniers prudents sortent les
orangers de la serre. Et si dè s septembre le né nuphar dé fleurit, c'est le signe
d'un dur et long hiver. Il faut se lever tô t et travailler vite pour faire,
comme Claude Monet, bonne provision de beauté aquatique, pour dire la
courte et ardente histoire des fleurs de la riviè re.

Voici donc notre Claude parti de bon matin. Songe-t-il en cheminant
vers l'anse des nymphé as que Mallarmé, le grand Sté phane, a pris, en
symbole de quelque Lé da" amoureusement poursuivie, le né nuphar blanc?
Se redit-il la page où le poè te prend la belle fleur «comme un noble œ uf de
cygne... qui ne se gonfle d'autre chose sinon de la vacance exquise de
soi4»... Oui, dé jà tout à la joie d'aller fleurir sa toile, le peintre se demande,
plaisantant avec «le modè le» dans les champs comme en son atelier:

Quel œ uf le né nuphar a-t-il fondu la nuit?
Il sourit d'avance de la surprise qui l'attend. Il hâ te le pas. Mais:
Dé jà la blanche fleur est sur son coquetier.


Et tout l'é tang sent la fleur fraî che, la fleur jeune, la fleur rajeunie par la
nuit. Quand le soir vient — Monet l'a vu mille fois — la jeune fleur s'en va
passer la nuit sous l'onde. Ne conte-t-on pas que son pé doncule5 la rappelle,
en se ré tractant, jusqu'au fond té né breux du limon? Ainsi, à chaque aurore,
aprè s le bon sommeil d'une nuit d'é té, la fleur du nymphé a, immense
sensitive des eaux, renaî t avec la lumiè re, fleur ainsi toujours jeune, fille
immaculé e de l'eau et du soleil.

Tant de jeunesse retrouvé e, une si fidè le soumission au rythme du jour
et de la nuit, une telle ponctualité à dire l'instant d'aurore, voilà ce qui fait
du nymphé a la fleur mê me de l'impressionnisme*. Le nymphé a est un
instant du monde. Il est un matin des yeux. Il est la fleur surprenante d'une
aube d'é té (...).

Le monde veut ê tre vu: avant qu'il y eû t des yeux pour voir, l'œ il de
l'eau, le grand œ il des eaux tranquilles regardait les fleurs s'é panouir. Et
c'est dans ce reflet — qui dira le contraire? — que le monde a pris la
premiè re conscience de sa beauté. De mê me, depuis que Claude Monet
a regardé les nymphé as, -les nymphé as de l'Ile-de-France sont plus beaux,
plus grands**. Ils flottent sur nos riviè res avec plus de feuilles, plus
tranquillement, sages comme des images de Lotus-enfants. J'ai lu, je ne sais
plus où, que dans les jardins d'Orient, pour que les fleurs fussent plus
belles, pour qu'elles fleurissent plus vite, plus posé ment, avec une claire
confiance en leur beauté, on avait assez de soin et d'amour pour mettre
devant une tige vigoureuse portant la promesse d'une jeune fleur deux
lampes et un miroir. Alors la fleur peut se mirer la nuit. Elle a ainsi sans fin
la jouissance de sa splendeur.

Claude Monet aurait compris cette immense charité du beau, cet
encouragement donné par l'homme à tout ce qui tend au beau, lui qui toute
sa vie a su augmenter la beauté de tout ce qui tombait sous son regard. Il
eut à Giverny quand il fut riche — si tard! —, des jardiniers d'eau pour
laver de toute souillure les larges feuilles des né nuphars en fleurs, pour
animer les justes courants qui stimulent les racines, pour ployer un peu
plus la branche du saule pleureur qui agace sous le vent le miroir des eaux.
Bref, dans tous les actes de sa vie, dans tous les efforts de son art,
Claude Monet fut un serviteur et un guide des forces de beauté qui mè nent
le monde.

gaston bachelard. Revue Verve. №' 27 et 28.
442


Примечания:

\. Нимфеи или ненюфары — белые водяные лилии. 2. Разновидность моллюсков,
отличающаяся разнообразием форм. 3. Чтобы овладеть Ледой. Зевс превратился
в лебедя. 4. Утонченным сознанием собственной пустоты. 5. Цветоножка, черешок.
6. Небольшая деревня близ Вернона (департамент Эвр), где Моне жил с 1883 г. и до
самой смерти.

Вопросы:

* Essayez, à votre tour, de justifier cette heureuse formule.

** En quel sens un peintre feut-il ajouter à la beauté de la nature?On songera à
cette dé finition que la scolastique donnait de l'art: «Homo additus naturae» (L'homme
ajouté à la nature).

GEORGES BRAQUE (né en 1882)

Bien qu'il soit né à Argenteuil, un des lieux qui ont le plus heureusement
inspiré Claude Monet, GEORGES BRAQUE sera l'un de ceux qui rompront de la
faç on la plus complè te et la plus brutale avec les diaprures et les papillo-
tements de l'impressionnisme. S'il est, en effet, possible de distinguer dans sa
longue carriè re des pé riodes jalonnant l'é volution de son art. Braque demeure,
avant tout, comme l'un des initiateurs du cubisme, c'est-à -dire du retour à la
«rè gle
» et à la composition.

PROPOS DE GEORGES BRAQUE

La seule chose qui compte, qui soit Valable à un moment donné, c'est le
rapport qui s'é tablit entre l'artiste et la ré alité. Le tableau naî t du rapport
entre l'artiste et le motif, et il se trouve quelquefois que le tableau
ressemble plus au motif qu'à l'artiste, comme un enfant ressemble plus à sa
mè re qu'à son pè re ou inversement. Pour moi les choses ne prennent leur
valeur que par rapport à moi, que lorsqu'elles se pré sentent à moi. Une
pierre est sur la route: je l'utilise pour caler une roue de ma voiture; elle
n'existait pas, je lui ai donné la vie en la faisant cale. En la quittant je la
restitue à son né ant. Ces rapports varient à l'infini. Ils cré ent la diversité à
l'infini de la peinture.


* * *

II ne faut pas croire que nous voyons un Raphaë l comme le voyaient les
contemporains de Raphaë l; les rapports ne sont pas les mê mes*. 11 y a
cependant une certaine permanence des rapports: le commun qui
personnifie l'humain. C'est pourquoi une peinture dé Raphaë l nous touche.
L'œ uvre d'art est un foyer qui ré pand une chaleur: chacun en prend ce qu'il
peut en recevoir. Il ne faut pas confondre commun et semblable. Entre
Raphaë l et Corot, il y a du commun; mais entre Corot et Trouillebert2, il n'y
a pas de commun, il y a du semblable.

A propos des peintures des premiers Cubistes, on a prononcé lp mot
«abstrait». Il y avait une sorte d'algè bre, parce que les objets é taient
remplacé s par des formes abstraites. Maintenant certains jeunes se disent
non figuratifs, mais ce sont les plus figuratifs des peintres. Ils prennent des
figures gé omé triques, un cercle par exemple, mais en peignant de rouge
l'inté rieur de ce cercle, ils en font un disque. La chose la plus abstraite et la
plus figurative en mê me temps, c'est un profil dessiné d'un seul trait.
Exprimer tous les volumes et obtenir une ressemblance avec un trait, cela
correspond à tous les moyens d'expression et un profil n'est pas un
symbole. La peinture non figurative nous est compré hensible grâ ce à la
complicité des choses que nous connaissons dé jà. Une peinture avec des
plans ronds nous est sensible parce que nous connaissons Cé zanne: un
rond, pour nous, c'est une pomme. Certains ne s'aperç oivent pas qu'ils font
de l'Impressionnisme, et que mê me leur touche n'est que de
l'Impressionnisme masqué. L'Impressionnisme est franç ais**. Un portrait
d'Ingres a un cô té atmosphé rique que l'on retrouve dans presque tous les
tableaux franç ais. Chez Cranach, rien de semblable: il est expressionniste
(...).

Quand on est jeune, le premier souci qu'on ait, est de se mesurer avec ce
qui est prè s de soi, sans choix. Quand j'é tais à l'Acadé mie3 je n'avais qu'une
idé e, c'é tait de faire aussi bien ou mieux que ceux qui é taient à cô té de moi.
Quand l'â ge de la ré flexion est venu, j'ai commencé à choisir un peu,
à avoir des pré fé rences pour certains artistes. Il y a une é volution; en
travaillant, on a la propre ré vé lation de soi-mê me; alors il n'y a plus qu'une
ressource, faire de ses dé fauts ses qualité s.

Vous avez le dé sir de faire un tableau, ce dé sir se pré cise et devient une
idé e. Mais souvent la toile n'accepte pas votre idé e; il y a lutte. Vous
travaillez, vous finissez sans ê tre entiè rement satisfait, il y a quelque chose
qui ne va pas. De guerre lasse, vous retournez la toile; deux mois aprè s,
vous la regardez, par hasard, et vous dé couvrez qu'au fond elle vous plaî t,


qu'elle s'est faite toute seule. Il s'est passé simplement ceci: que vous avez
perdu l'idé e qui vous obnubilait, que vous vous ê tes libé ré d'elle et vous
vous trouvez en pré sence du tableau terminé. L'idé e, c'est le ber4 du
tableau, l'é chafaudage qui sert à construire et à lancer le navire.

Avec la nature morte, il s'agit d'un espace tactile, et mê me manuel, que
l'on peut opposer à l'espace du paysage, espace visuel. La nature morte fait
participer le sens tactile dans la conception du tableau. Elle cesse d'ê tre
nature morte dè s qu'elle n'est plus à la porté e de la main. Dans l'espace
tactile, vous mesurez la distance qui vous sé pare de l'objet tandis que dans
l'espace visuel, vous mesurez la distance qui sé pare les choses entre elles.
C'est ce qui m'a amené, autrefois, du paysage à la nature morte.

Arrivé à un certain â ge, on n'est plus dominé par aucune pré occupation
de dé monstration quelconque. Il ne s'agit plus d'acqué rir, il s'agit de
s'accomplir***. On est aussi disponible qu'à vingt ans: c'est le moment de '
regarder librement la nature.

J'ai trouvé mes ré flexions, aprè s coup, en regardant ce que j'avais fait.

{Ces propos ont é té noté s au cours de conversations pendant le printemps 1952)

Revue Verve. №s 27 et 28

Примечания:

1. «J'aime la rè gle qui corrige l'é motion» (G. Braque). 2. Французский пейзажист,
подражавший стилю Коро. 3. В Академии Художеств. 4. Салазки, с помощью которых
производится спуск корабля на воду.

Вопросы:

* Cherchez des exemples de cette relativité du goû t.

** Que signifie cette formule de G. Braque?

*** Montrez que la carriè re du peintre justifie magnifiquement cette affirmation.

HECTOR BERLIOZ (1803 1869)

BERLIOZ rappelle Beethoven et, en mê me temps, annonce Wagner. Beethoven
par sa Symphonie fantastique, et de grands morceaux d'orchestre tels que
Romé o et Juliette ou l'ouverture du Carnaval romain. Wagner par ses opé ras:
La Damnation de Faust et Les Troyens à Carthage...


A une é poque où la musique franç aise s'enlisait dans l'art le plus
conventionnel, il a su montrer qu'elle pouvait cependant inspirer un gé nie,
capable d'exprimer toutes les nuances du sentiment humain, depuis les
suavité s de L'Enfance du Christ jusqu'aux tonnerres d'outre-tombe du
Requiem...

UNE TOURNEE DE BERLIOZ EN EUROPE CENTRALE

Depuis le sé jour de Bonn1, Berlioz est repris d'une fringale de voyages
et il tente d'organiser en hâ te de futurs concerts en Autriche, en Hongrie, en
Bohê me. Paris l'ennuie et le dé vore. Il s'y use en de petites besognes
exté nuantes. Aussi lorsqu'il peut reprendre son vol, vers la fin d'octobre
(1845), a-t-il le sentiment d'une dé livrance. Et cette humeur joyeuse se
maintient jusqu'à Vienne, malgré la longueur d'un trajet qu'il faut
accomplir par eau ou sur des chemins de fer encore tout à fait primitifs.

«Oh! monsieur Berlioz, que vous est-il donc arrivé? s'é crie le douanier
autrichien à sa descente du bateau, depuis huit jours nous vous attendions
et nous é tions fort inquiets de ne pas vous voir.» Cela ne donne-t-il pas la
mesure de la passion qu'ont les Viennois pour la musique? Est-ce qu'à Paris
un modeste fonctionnaire?.. Allons voilà qui est d'un heureux augure. Et la
sé rie des concerts commence aussitô t dans ces salles illustres: le thé â tre de
Kà rntner Thor; la salle du manè ge Impé rial; le thé â tre An der Wien, où
chante Jenny Lind; la grande salle des Redoutes où Beethoven, trente ans
auparavant, «faisait entendre ses chefs-d'œ uvre adoré s maintenant de toute
l'Europe et accueillis alors des Viennois avec le plus monstrueux dé dain2».
Enthousiasme de Berlioz, respect, dé votion. Lorsqu'il monte au pupitre
(celui-là mê me qui servait à Beethoven pour diriger ses Symphonies), ses
jambes se dé robent sous lui. Voici l'emplacement du piano sur lequel
Beethoven improvisait; l'escalier par lequel il descendait de l'estrade, les
chaises du foyer où il demeurait assis au milieu de l'indiffé rence gé né rale.
К SOus combien de Ponce Pilate ce Christ a-t-il ainsi é té crucifié *!»

Et dans cette mê me salle des Redoutes, Berlioz assiste aux grands bals
de la Saison, regarde tourbillonner les valseurs sous la baguette de Johann
Strauss. Il loue ces rythmes contraires, ces divisions de la mesure et ces
accentuations syncopé es de la mé lodie dans une forme constamment
ré guliè re et identique. Il fait la connaissance de tous les musiciens viennois
de renom et reç oit d'eux un bâ ton de mesure en vermeil, portant les noms
d'Artaria, de Bê cher, du prince Czartoriski, de Czerny, de Diabelli, d'Ernst,
de Hasiinger, etc. «Puisse ce bâ ton de mesure rappeler à votre souvenir la
ville où Gluck, Haydn, Mozart et Beethoven ont vé cu et les amis de l'art


musical qui s'unissent à moi pour crier: vive Berlioz!» Ainsi s'exprime le
baron de Lannoy au nom des donateurs. Et tout cela est dû presque
entiè rement «à notre pauvre Fantastique*; la Scè ne aux Champs et la
Marche au Supplice ont retourné les entrailles autrichiennes; quant au Car-
naval
et à la Marche des Pè lerins5, ce sont des morceaux populaires. On
fait maintenant ici jusqu'à des pâ té s qui portent mon nom6». Ce qui, au
surplus, n'empê che nullement les critiques des spé cialistes. Mais Berlioz
finit par en prendre l'habitude (bien qu'aucun artiste ne s'y ré signe jamais
sans une certaine aigreur). Toutefois, si certains le traitent de toqué 7, de
maniaque, d'excentrique, d'autres ne disent-ils pas: «Berlioz est une sorte
de levain spirituel qui met en fermentation tous les esprits... Berlioz est un
tremblement de terre musical!» Et cela compense tout le reste.

L'Empereur en personne assiste à l'un de ses concerts et lui fait remettre
un pré sent accompagné de ce compliment: «Dites à Berlioz que je me suis
bien amusé.» Mais le personnage qu'il voudrait voir surtout est le prince de
Metternich8, ce patron de la politique europé enne, le manieur le plus habile
de la grande sè che aux yeux louches et au cœ ur dur9. Or, pour cela, il s'agit
de mobiliser un officier «lié avec un conseiller, qui parlerait à un membre
de la Chancellerie de la Cour assez puissant pour l'introduire auprè s d'un
secré taire d'ambassade, qui obtiendrait de l'ambassadeur qu'il voulû t bien
parler à un ministre» afin qu'il pré sentâ t Berlioz. Coupant net à ce circuit et
bravant l'é tiquette, le musicien s'achemine vers le palais du prince,
s'explique avec un officier de garde, pré sente sa carte, est reç u de la faç on
la plus affable.

«Ah! c'est donc vous, monsieur, qui composez de la musique pour cinq
cents musiciens?»

Et l'impertinent de ré pondre:

«Pas toujours, monseigneur; j'en fais quelquefois pour quatre cent
cinquante.»

A Budapest, succè s «é bouriffant» grâ ce à l'adjonction au programme de
la Marche hongroise (Rakoczy-marche). Un amateur viennois lui avait
donné le conseil d'orchestrer ce thè me national hongrois, et, à la veille de
son dé part pour Pest, Berlioz l'é crivit dans la nuit. Est-ce scrupuleusement
vrai? Peut-ê tre. En tout cas le conseil é tait bon. Ecrit de verve, et
pressentant le retentissement qu'un tel morceau aurait sur le public
hongrois, si sensible, si ardemment national, il le plaç a à la fin du concert.
Bien lui en prit10. Car aprè s une sonnerie de trompettes annonç ant le thè me
exé cuté piano par les flû tes et les clarinettes, l'auditoire fut aussitô t comme
parcouru d'un frissonnement d'attente. Mais quand, sur un long crescendo,


des fragments fugues" du thè me reparurent, entrecoupé s de notes sourdes
de la grosse caisse simulant des coups de canon lointains, la salle se mit
à fermenter et, au moment où l'orchestre dé chaî né dans une mê lé e furieuse
lanç a son fortissimo si longtemps contenu, des cris, des tré pignements
é branlè rent la salle du haut en bas: «La fureur concentré e de toutes ces
â mes bouillonnantes fit explosion avec des accents qui me donnè rent le
frisson de la terreur; il me sembla sentir mes cheveux se hé risser et à partir
de cette fatale mesure je dus dire adieu à la pé roraison de mon morceau, la
tempê te de l'orchestre é tant incapable de lutter contre l'é ruption de ce
volcan dont rien ne pouvait arrê ter les violences12.» Il fallut le bisser
aussitô t, le trisser mê me. Puis on se pré cipita de partout pour embrasser
l'auteur, l'é touffer. Un homme se jeta sur lui en balbutiant: «Ah! monsieur,
monsieur! Moi Hongrois... pauvre diable..., pas parler franç ais... un poco
l'italiano... pardonnez... Ah! ai compris votre canon... Oui, oui la grande
bataille...» (...) Et se frappant la poitrine à grands coups de poing: «Dans le
cœ ur, moi... je vous porte... Ah! Franç ais... ré volutionnaires... savoir faire
la musique des ré volutions.»... Lis/t lui-mê me connut-il dans son pays
natal pareil triomphe**?

GUY DE POURTALÈ S. Berlioz et l'Europe romantique (1930).
Примечания:

1. Летом 1845 г. 2. Эти строки принадлежат Берлиозу. 3. Берлиоз упоминает здесь
" Фантастическую симфонию". " Сцена на полях" и " Шествие на казнь" являются наи-
более известными эпизодами из нее. 4. " Римского карнавала". 5. Из " Гарольда в Ита-
лии". 6. См. прим. 2. 7. Чудаком, тронутым (разг.). 8. Австрийский министр иностран-
ных дел, инициатор создания Священного союза 9. Меттерних был создателем кон-
цепции т.н. европейской политики. 10. Результаты этой идеи оказались весьма удачны
для него. 11. Трактованные, как фуга: различные партии на одну тему следуют друг за
другом и чередуются. 12. См. прим. 2.

Вопросы:

* Essayez dé faire un rapprochement entre la musique de Berlioz et celle de Beethoven.
** Pourquoi l'auteur de La Damnation de Faust peut-il ê tre regardé comme une grande
figure romantique?

QEORQES BIZET (1838 1875)

quand, en 1875, Georges Bizet fit repré senter Carmen à l'Opé ra-Comique, les
critiques lui reprochè rent d'avoir cé dé à la mode du «wagné risme». Ceux
d'aujourd'hui risqueraient plutô t d'ê tre offusqué s par l'excessive popularité de
l'ouvrage.


C'est pour ré pondre à ce grief injuste que FRANÇ OIS MAURIAC, d'une plume
vibrante, a pris la «dé fense de Carmen».

DÉ FENSE DE CARMEN

Comme il existe une fausse dé licatesse, il existe une fausse vulgarité.
Carmen est le type mê me de l'œ uvre faussement vulgaire. C'est un piè ge
pour les esprits qui se croient distingué s, un piè ge que tous les musiciens
é ventent: je n'en connais aucun qui n'assigne à Carmen sa vraie place.

Mais il n'existe pas de chef-d'œ uvre plus maltraité. Au Grand Thé â tre
de Bordeaux, quand j'é tais é tudiant, à cause de l'accent terrible des «brunes
cigariè res1» et des «petits soldats'», je croyais assister à des repré sentati
ons ridicules. Aprè s tant d ' anné es, je dé couvre que Carmen é tait joué e là
comme elle doit l'ê tre, dans une ivresse joyeuse, dans une odeur de jasmin
et d'abattoir, devant un peuple dressé, les dimanches d'é té, à acclamer les
matadors é tincelants lorsqu'ils roulaient vers les arè nes, dans de vieilles
victorias2. Au deuxiè me acte, une toute jeune danseuse, Ré ginaBadet,
tournait sur une table de la «posada3», excité e par les claquements de
mains des figurants et du public.

Carmen nous é tait familiè re: avec ses accroche-cœ urs4 luisants et ses
œ illets, elle vendait des royans5 d'Arcachon, rue Sainte-Catherine6,
escorté e de voyous frê les et redoutables. La scè ne prolongeait la rue:
Escamillo7, pour nous, s'appelait Guerita, Mazzantini, Reverte, Algabeno,
Fucutè s, Bombita8, tous les diestros9 que nous adorions pendant la
«temporada».

Et la gitane" avait bien le visage de cette passion contre laquelle nos
pieux maî tres nous avaient mis en garde au collè ge: la mauvaise femme, la
fille damné e pour qui les soldats dé sertent et deviennent assassins, le
pré dicateur de la retraite de fin d'é tudes nous en avait fait une peinture
vé ridique:

Vous -pouvez m'arrê ter
C'est moi qui l'ai tué e,
Carmen, ma Carmen adoré e l2!

A la sortie, je rê vais un instant sous le pé ristyle. Le vent d'Espagne
soulevait tristement la poussiè re des allé es de Tourny; de larges gouttes
s'é crasaient sur les pavé s.

Plein de ces souvenirs, j'avais dit à mes enfants: «II faut que vous
entendiez Carmen!» Nous partî mes donc, un samedi soir, pour l'Opé ra-


Comique. D'avance, je me faisais une fê te de leur joie. Je leur avais dé crit
ce premier acte fourmillant, cette place espagnole rongé e de soleil, le corps
de garde avec les soldats à califourchon sur des chaises, la manufacture de
tabac, la garde montante et les gamins qui dé filaient en chantant, et les
cigariè res qui se crê pent le chignon13, et Carmen dé poitraillé e, la chemise
dé chiré e, avec du sang sur son é paule de camé lia14 Je leur pré disais
l'enthousiasme de la foule, tous les airs bissé s par le poulailler15 en dé lire.

Quelle stupeur! Nous accablons la pauvre Comé die-Franç aise, parce
que tout de mê me il nous arrive d'y aller quelquefois. Mais qui donc
a jamais eu l'idé e de louer, un samedi soir, une loge à l'Opé ra-Comique,
pour voir jouer Carmen? Un public inclassable; des Polytechniciens, aux
yeux aveugles derriè re leurs binocles, des Saint-Cyriens16 sortant de l'œ uf!
Aussi la troupe «ne s'en fait pas», comme on dit. L'ouverture est joué e au
petit bonheur, avec une morne ré signation, comme dans un café de second
ordre. Le rideau se lè ve sur la place où personne ne passe'7 sur un plateau
lugubre, occupé par des fonctionnaires ré solus à «en mettre le moins
possible» et qui, sans aucune bonne grâ ce, dé bitent leurs airs derriè re la
grille d'un bureau de poste*.

Et pourtant, le vieux chef-d'œ uvre, à la fin, demeurait le plus fort, galva-
nisait peu à peu ces employé s somnolents. Le don José ventru qui avait
gueulé: «La fleur que tu m'avais jeté e» retrouvait au dernier acte une
espè ce de style.

En dé pit des interprè tes, l'enchantement renaissait enfin. Sublime
dernier acte de Carmen! Et d'abord, la musique sauvage, haletante, é veillait
dans mon sang cette fiè vre que nous connaissions tous, d'avant la corrida,
l'attente d'un triste bonheur... Carmen, sous sa mantille neigeuse, au milieu
d'une palpitation d'é ventails, avanç ait suspendue au bras d'Escamillo, et le
cou gonflé, chantait avec un roucoulement rauque: «Oui, je t'aime,
Escamillo.»
Et tout à coup, dans la rumeur de cette fê te, dans la poussiè re
doré e de ce beau jour, passait comme un souffle avant-coureur de la
foudre, la voix angoissé e d'une amie: «Carmen, ne reste pas ici; il est là,
don José... il se cache... Prends garde!»

La musique de la «plaza19» se dissipe. L'homme se dé tache de la
muraille. Alors é clate la plainte é ternelle: «Je ne menace pas, j'implore, je
supplie...»
Et tout ce qui s'est toujours dit, dans tous les pays du monde,
sous tous les ciels, à ce tournant d'une passion: «J'oublie tout... Nous
recommencerons une autre vie...»
Et cet avertissement monotone sans
cesse repris, cette petite vague dé sespé ré e qui bat, en vain, le cœ ur pé trifié
de la femme: «Carmen, il est temps encore...», et qui nous donne la


sensation presque intolé rable de la fatalité, et enfin ce sanglot: «Tu ne
m'aimes donc plus!»
avec cette phrase dé chirante des violons... Et toute la
suite, jusqu'au cri suprê me de don José: il nous atteint au plus secret de
notre cœ ur, parce qu'il dé couvre brutalement une vé rité insupportable,
connue de tous pourtant, mais qu'il faut tenir caché e, si on veut supporter
de vivre: «L'amour, dont la guerre est le moyen, é crit Nietzsche à propos de
Carmen, dont la haine mortelle des sexes est la base**...»

FRANÇ OIS MAURIAC. Journal, tome II (1937).

Примечания:

1. Персонажи оперы. 2. Крытые экипажи, которые ввела в моду королева Викто-
рия. 3. Харчевня (исп.). 4. Завитки на висках и на лбу. 5. Разновидность сардин.
6. Торговая улица в Бордо. 7. Имя тореадора, соперника Хозе. 8. Имена знаменитых
матадоров. 9. Мастера тавромахии (исп.). 10. Коррида (исп.). II. Кармен. 12. Слова
Хозе в финале оперы. 13. Таскают друг друга за волосы (рак.) 14. Белого, как каме-
лия, цвета 15. Галерка (букв, курятник, а также нашест, на котором спят куры).
16. Политехническая школа и Сен-Сир — главные высшие военные учебные заведе-
ния во Франции. 17. Ироническое истолкование постановки и исполнения оперы.
18. Знаменитая ария. — Gueuler: кричать во все горло, вопить. 19. Площадь, арена,
где происходит коррида.

Вопросы:

* É ludiea l'art de la satire et mê me de la charge dans ce paragraphe.

** Pourquoi Nietzsche aimait-il tellement la musique de Georges Bizet?Pourquoi le
romancier Mauriac s'inté resse-t-il ainsi à la passion de don José?

CLAUDE DEBUSSY (1862-1918)

On sait l'é pitaphe que souhaitait et qu'a obtenue l'auteur de Pellé as et
Me'lisande: «Claude Debussy, musicien franç ais». Et certes, il y a un peu de
provocation dans cette formule: il s'agit, jusqu'au tombeau, de faire piè ce à la
tyrannie wagné rienne.

Mais l'œ uvre de Debussy est assez originale pour n'avoir besoin de s'opposer
à celle de personne. Ses vrais titres de gloire, elle les trouve dans les
harmonies si neuves qui é voquent les caprices bondissants du Faune dans le
fameux Pré lude, ou les jeux aé riens du soleil et du vent sur La Mer, ou les
formes é lastiques et changeantes des Nuages dans le ciel. Et puis, et surtout, il
y a l'enchantement subtil et tragique de Pellé as...


PRESTIGES DE PELLÉ AS...

Toute la fin de Pellé as est un continu chef-d'œ uvre. Quoi de plus beau
que les merveilleux accords, où se suivent les yeux innocents de Mé lisande
jusque dans le plus sombre dé lire de son bourreau, ces doubles quintes où
passent on ne sait quels anges du ciel? Seul Parsifal a cette profondeur de
musique et ce sens du mystè re; il faut toujours juger d'une musique sur le
philtre qu'elle nous verse et sur le gé nie qu'elle a d'exprimer l'inexprimable.
La musique n'illustre pas un texte: elle le transpose dans un autre ordre:
elle le prend à l'intelligence pour l'é lever à la connaissance amoureuse de
l'é motion. Et comme la poé sie ne pré tend pas moins faire avec les moyens
qui lui sont propres, telle est la guerre du grand poè te et du grand musicien
au thé â tre: un grand poè me se suffit, la musique le gâ te*. Pour le grand
musicien, le seul poè me qui lui convienne est celui où la musique peut
mettre la grande poé sie qui n'y est point.

Quand les pauvres amants osent enfin s'avouer leur amour, au seuil de
la mort, ré pondant à l'ivresse de Pellé as, le murmure de Mé lisande, presque
imperceptible, presque morne, sur une seule note, forme un aveu sublime.
Et l'adorable sourire de la mé lodie: Je suis heureux, mais je suis triste, est
à la fois d'une profondeur et d'une dé licatesse qu'on n'a jamais trouvé es
ensemble ni jamais é galé es. Presque partout, la simplicité des moyens le
dispute au raffinement. Il n'est musique prè s de celle-là qui ne semble ou
un peu vide ou au contraire trop grossiè re.

Le charme de l'expression sonore, la beauté d'un orchestre où le gé nie
des timbres fait ré gner une incomparable unité, la perfection de la phrase
vocale, tout concourt à masquer la puissance. L'œ uvre paraî t simple et
facile à force d'art. Parce qu'elle est sans clameur et sans cri, parce qu'elle
ne fait jamais de bruit, on pourrait la croire sans baleine. Enfin elle semble
se jouer dans la demi-teinte, parce qu'elle possè de la maî trise des valeurs et
du clair-obscur. Rien n'est si faux. Il est né cessaire, au thé â tre ou dans la
chambre' sur le clavier ou à l'orchestre, d'exprimer avec un soin jaloux
toutes les nuances de cette musique: on s'é tonne alors de tout ce qu'elle
recè le: on perç oit, à la juste é chelle de l'ensemble, la puissance des é clats,
du tragique et de la passion, comme on sent dé jà le charme extrê me de la
tendresse et les sé ductions de la mé lancolie. Le dé dain de Debussy pour
l'effet est sans parallè le2. Pour moi, eû t-il commis des crimes, Debussy est
par là d'une sainte vertu: depuis la Renaissance, il n'y a que Bach pour la
partager avec lui3. Il finit presque toutes les scè nes et tous les actes de son
drame dans une sorte de silence inimitable, qui est pré cisé ment la


palpitation profonde de l'é motion: elle prend fin, à la lettre, comme on
meurt, comme on s'é vanouit, soit de douleur, soit de plaisir. Prè s de ce
soupir, tout cri est faible. Toute explosion manque de force et d'é cho prè s
de ce fré missement. Et on ne comprend rien à Debussy, tant qu'on ne l'a
pas saisi dans cet é branlement secret de l'ardeur la plus intime**.

ANDRÉ SUARÈ S. Debussy (1922).

Примечания:

1. Имеется в виду камерная музыка. 2. Единственным в своем роде. 3. «Et, pour ê tre
juste, assez souvent Moussorgski.» (Note de l'auteur.)

\

Вопросы:

* «Un grand poè me se suffit, la musique le gâ te.»Ê tes-vous de cet avis? Connaissez-
vous dt grands poè tes qui ont accepté ou mê me souhaité de voir ta musique ilhistier leurs
csuwes)

** L'auteur n'a-t-il pas cherché un style souvent proche de celui du musicien?


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