Jean de la Fontaine 4 страница
Zadig é tait trop rempli de l'idé e d'Astarté 6 pour ne pas é luder7 cette dé claration; mais il alla dans l'instant trouver les chefs des tribus, leur dit ce qui s'é tait passé, et leur conseilla de faire une loi par laquelle il ne serait permis à une veuve de se brû ler qu'aprè s avoir entretenu un jeune homme tê te à tê te pendant une heure entiè re*. Depuis ce temps aucune dame ne se brû la en Arabie. On eut au seul Zadig l'obligation d'avoir dé truit en un jour une coutume si cruelle, qui durait depuis tant de siè cles. Il é tait donc le bienfaiteur de l'Arabie**.
Zadig, Chapitre XI (1747). Примечания:
1. Страна скифов, Скифия. 2. Брахман или брамин, индуистский жрец, священно- служитель. 3. Арабский купец, в рабство которому был продан герой сказки Задиг.
4. Объяснил, растолковал. 5. Имеют право и обычай. 6. Молодая женщина, в которую влюблен Задиг и которую он надеется обрести. 7. Уклониться.
Вопросы:
* On comparera ce passage avec La Jeune Veuve de La Fontaine.
** Quelle est l'idé e essentielle que dé tend ici Voltaire? Montrez qu'il la dé veloppe sout, la forme d'un apologue, que les traits malicieux et spirituels rendent plus plaisant. — Essayez de dé finir l'ironie voltairienne.
JEAN-JACQUES ROUSSEAU (1712 1778)
Force de dé pouillement et d'analytique pré cision, la prose franç aise risquait de verser dans une sé cheresse dé solé e. Aussi faut-il saluer comme un moment capital de son histoire l'avè nement du Genevois ROUSSEAU, qui sut lui rendre un souffle, une chaleur trop oublié s depuis Bossuet.
Mais le lyrisme de Jean-Jacques ne puise pas aux mê mes sources que celui de l'orateur chré tien: il provient d'une mé lancolie un peu vague, s'enveloppe couramment des brumes de la rê verie, et la phrase qu'il inspire n'a tant d'ampleur et de sinuosité que pour exprimer plus exactement des é tats d'â me eux-mê mes ondoyants et complexes. Au fond, si la prose de Rousseau est si volontiers musicale (et d'une musicalité fluide), c'est qu'elle veut traduire, plutô t que des sentiments pré cis, une sorte de musique inté rieure.
RÊ VERIE AU BORD DU LAC
Quand le lac1 agité ne me permettait pas la navigation, je passais mon aprè s-midi à parcourir l'î le, en herborisant à droite et à gauche; m'asseyant tantô t dans les ré duits les plus riants et les plus solitaires pour y rê ver à mon aise, tantô t sur les terrasses et les tertres, pour parcourir des yeux le superbe et ravissant coup d'oeil du lac et de ses rivages, couronné s d'un cô té par des montagnes prochaines et, de l'autre, é largis en riantes et fertiles plaines, dans lesquelles la vue s'é tendait jusqu'aux montagnes bleuâ tres plus é loigné es qui la bornaient.
Quand le soir approchait, je descendais des cimes de l'î le, et j'allais volontiers m'asseoir au bord du lac, sur la grè ve, dans quelque asile caché; là, le bruit des vagues et l'agitation de l'eau, fixant mes sens et chassant de mon â me toute autre agitation, la plongeaient dans une rê verie dé licieuse, où la nuit me surprenait souvent sans que je m'en fusse aperç u. Le flux et
reflux de cette eau, son bruit continu, mais renflé par intervalles, frappant sans relâ che mon oreille et mes yeux, supplé aient aux mouvements internes que la rê verie é teignait en moi, et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser. De temps à autre naissait quelque faible et courte ré flexion sur l'instabilité des choses de ce monde, dont la surface des eaux m'offrait l'image; mais bientô t ces impressions lé gè res s'effaç aient dans l'uniformité du mouvement continu qui me berç ait et qui, sans aucun concours actif de mon â me, ne laissait pas de2 m'attacher au point qu'appelé par l'heure et par le signal convenu je ne pouvais m'arracher de là sans efforts*.
Rê veries d'un Promeneur solitaire (publié es en 1782). Примечания:
1. Бьеннское озеро, посреди которого находится остров Сен-Пьер. Руссо был там в сентябре и октябре 1765 г. 2. Ne manquait pas de...
Вопросы:
* Montrez, dans la premiè re partie de ce texte, le caractè re conventionnel des qualificatifs: une seule é ptthè te apporte une nuance plus pré cise. — Dans la seconde partie, essayez de marquer le rythme si expressif des phrases: quelle place y tient à cet é gard l'accumulation des imparfaits?
STENDHAL (1783-1842)
Celui-là n'a pas l'ampleur, ni les couleurs, ni les timbres des grands roman- tiques, ses contemporains. Sa prose, qu'il s'applique à maintenir essentielle- ment pré cise et juste, pré fé rant la sé cheresse au pittoresque, traduit avec une impitoyable exactitude les pensé es et les sentiments les plus fugitifs. Elle a une transparence é tonnante, une intelligence sans dé faut.
UNE SOIRÉ E A LA CAMPAGNE
Julien Sorel est pré cepteur des enfants de Mme de Ré nal. Un soir que la famille est rassemblé e sous un tilleul, Julien, en parlant d'une faç on dé monstrative, heurte par mé garde la main de Mme de Ré nal appuyé e sur le dossier d'une chaise.
Cette main se retira bien vite; mais Julien pensa qu'il é tait de son devoir d'obtenir que l'on ne retirâ t pas cette main quand il la touchait. L'idé e d'un devoir à accomplir, et d'un ridicule, ou plutô t d'un sentiment d'infé riorité à
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à encourir si l'on n'y parvenait pas, é loigna sur-le-champ tout plaisir de son cœ ur.
Ses regards, le lendemain, quand il revit Mme de Ré nal, é taient singuliers; il l'observait comme un ennemi avec lequel il va falloir se battre. Ces regards, si diffé rents de ceux de la veille, firent perdre la tê teà Mme de Ré nal; elle avait é té bonne pour lui, et il paraissait fâ ché. Elle ne pouvait dé tacher ses regards des siens.
La pré sence de Mme Derville1 permettait à Julien de moins parler et de s'occuper davantage de ce qu'il avait dans la tê te. Son unique affaire, toute cette journé e, fut de se fortifier par la lecture du livre inspiré qui retrempait son â me. Il abré gea beaucoup les leç ons des enfants, et ensuite, quand la pré sence de Mme de Ré nal vint le rappeler tout à fait aux soins de sa gloire, il dé cida qu'il fallait absolument qu'elle permî t ce soir-là que sa rnain restâ t dans la sienne. Le soleil en baissant, et rapprochant le moment dé cisif, fit battre le cœ ur de Julien d'une faç on singuliè re. La nuit vint. Il observa, avec une joie qui lui ô ta un poids immense de dessus la poitrine, qu'elle serait fort obscure. Le ciel, chargé de gros nuages, promené s par un vent trè s chaud, semblait annoncer une tempê te.
Les deux amies se promenè rent fort tard. Tout ce qu'elles faisaient ce soir-là semblait singulier à Julien. Elles jouissaient de ce temps, qui, pour certaines â mes dé licates, semble augmenter le plaisir d'aimer.
On s'assit enfin, Mme de Ré nal à cô té de Julien, et Mme Derville prè s de son amie. Pré occupé de ce qu'il allait tenter, Julien ne trouvait rien à dire. La conversation languissait.
«Serai-je aussi tremblant et malheureux au premier duel qui me viendra?» se dit Julien; car il avait trop de mé fiance et de lui et des autres pour ne pas voir l'é tat de son â me.
Dans sa mortelle angoisse, tous les dangers lui eussent semblé pré fé r- ables. Que de fois ne dé sira-t-il pas voir survenir à Mme de Ré nal quelque affaire qui l'obligeâ t de rentrer à la maison et de quitter le jardin! La violence que Julien é tait obligé de se faire é tait trop forte pour que sa voix ne fû t pas profondé ment alté ré e; bientô t la voix de Mme de Ré nal devint tremblante aussi, mais Julien ne s'en aperç ut point. L'affreux combat que le devoir livrait à la timidité é tait trop pé nible pour qu'il fû t en é tat de rien observer hors lui-mê me. Neuf heures trois quarts venaient de sonner à l'horloge du châ teau, sans qu'il eû t encore rien osé. Julien, indigné de sa lâ cheté, se dit: «Au moment pré cis où dix heures sonneront, j'exé cuterai ce que, pendant toute la journé e, je me suis promis de faire ce soir, ou je monterai chez moi me brû ler la cervelle».
Aprè s un dernier moment d'attente et d'anxié té, pendant lequel l'excè s de l'é motion mettait Julien comme hors de lui, dix heures sonnè rent à l'horloge qui é tait au-dessus de sa tê te. Chaque coup de cette cloche fatale retentissait dans sa poitrine et y causait comme un mouvement physique.
Enfin, comme le dernier coup de dix heures retentissait encore, il é tendit la main, et prit celle de Mme de Ré nal, qui la retira aussitô t. Julien, sans trop savoir ce qu'il faisait, la saisit de nouveau. Quoique bien é mu lui- mê me, il fut frappé de la froideur glaciale de la main qu'il prenait; il la serrait avec une force convulsive; on fit un dernier effort pour la lui ô ter, mais enfin cette main lui resta.
Son â me fut inondé e de bonheur, non qu'il aimâ t Mme de Ré nal, mais un affreux supplice venait de cesser. Pour que Mme Derville ne s'aperç û t de rien, il se crut obligé de parler; sa voix alors é tait é clatante et forte. Celle de Mme de Ré nal, au contraire, trahissait tant d'é motion que son amie la crut malade et lui proposa de rentrer. Julien sentit le danger: «Si Mme de Ré nal rentre au salon, je vais retomber dans la position affreuse où j'ai passé la journé e. J'ai tenu cette main trop peu de temps pour que cela compte comme un avantage qui m'est acquis.»
Au moment où Mme Derville renouvelait la proposition de rentrer au salon, Julien serra fortement la main qu'on lui abandonnait.
Mme de Ré nal, qui se levait dé jà, se rassit, en disant, d'une voix mourante: «Je me sens, à la vé rité, un peu malade, mais le grand air me fait du bien.» Ces mots confirmè rent le bonheur de Julien, qui, dans ce moment, é tait extrê me: il parla, il oublia de feindre, il parut l'homme le plus aimable aux deux amies qui l'é coutaient. Cependant il y avait encore un peu de manque de courage dans cette é loquence qui lui arrivait tout à coup. Il craignait mortellement que Mme Derville, fatigué e du vent qui commenç ait à s'é lever, et qui pré cé dait la tempê te, ne voulû t rentrer seule au salon. Alors il serait resté en tê te-à -tê te avec Mme de Ré nal. Il avait eu presque par hasard le courage aveugle qui suffit pour agir; mais il sentait qu'il é tait hors de sa puissance de dire le mot le plus simple à Mme de Ré nal. Quelque lé gers que fussent ses reproches, il allait ê tre battu, et l'avantage qu'il venait d'obtenir ané anti*.
Heureusement pour lui, ce soir-là, ses discours touchants et emphatiques3 trouvè rent grâ ce devant Mme Derville, qui trè s souvent le trouvait gauche comme un enfant, et peu amusant. Pour Mme de Ré nal, la main dans celle de Julien, elle ne pensait à rien; elle se laissait vivre. Les heures qu'on passa sous ce grand tilleul, que la tradition du pays dit planté par Charles le Té mé raire4, furent pour elle une é poque de bonheur. Elle
é coutait avec dé lices les gé missements du vent dans l'é pais feuillage du tilleul, et le bruit de quelques gouttes rares qui commenç aient à tomber sur ses feuilles les plus basses.
Julien ne remarqua pas une circonstance qui l'eû t bien rassuré: Mme de Ré nal, qui avait é té obligé e de lui ô ter sa main, parce qu'elle se leva pour aider sa cousine à relever un vase de fleurs que le vent venait de renverser à leurs pieds, fut à peine assise de nouveau qu'elle lui rendit sa main presque sans difficulté, et comme si dé jà c'eû t é té entre eux une chose convenue.
Minuit é tait sonné depuis longtemps, il fallut enfin quitter le jardin: on se sé para. Mme de Ré nal, transporté e du bonheur d'aimer, é tait tellement ignorante qu'elle ne se faisait presque aucun reproche. Le bonheur lui ô tait le sommeil. Un sommeil de plomb s'empara de Julien, mortellement fatigué des combats que toute la journé e la timidité et l'orgueil s'é taient livré s dans son cœ ur**.
Le Rouge et le Noir, I, IX (1830). Примечания:
1. Родственница и подруга г-жи де Реналь. 2. Жюльен, пылкий поклонник Наполе- она, читал ''Мемориал Святой Елены", дневник, который вел граф де Лас Казе, сопут- ствовавший Наполеону в его изгнании. 3. Выспренние, высокопарные. 4. Карл Сме- лый (1433 - 1477) — последний герцог Бургундии, непримиримый враг французского короля Людовика XI.
Вопросы:
* On é tudiera le conflit de la volonté et de la timidité chez Julien.
** Zola a regretté que le cadre de cette scè ne n'ait pas é té é voqué avec plus d'exactitude. Qu'en pensez-vous?
GUSTAVE FLAUBERT (1821 1880)
Vé ritable forç at des lettres, capable de recommencer la mê me 'page quinze ou vingt fois et n'y mettant le point final qu'au moment où il en é tait pleinement satisfait, FLAUBERT offre l'image de l'é crivain consciencieux jusqu'à la torture. De là ses «affres», ses dé couragements, cette angoisse si souvent ressentie de ne jamais atteindre le terme de l'œ uvre entreprise. De là aussi, parfois, une certaine monotonie dans le style, trop tendu à force de viser à la perfection.
Mais l'œ uvre de Flaubert abonde é galement en pages d'une belle coulé e classique, où la ré ussite masque l'effort.
VICTOR, LE NEVEU DE FÉ LICITÉ 1
Il arrivait le dimanche aprè s la messe, les joues rosé s, la poitrine nue, et sentant l'odeur de la campagne qu'il avait traversé e. Tout de suite, elle dressait son couvert. Ils dé jeunaient l'un en face de l'autre; et, mangeant elle-mê me le moins possible pour é pargner la dé pense, elle le bourrait tellement de nourriture qu'il finissait par s'endormir. Au premier coup des vê pres, elle le ré veillait, brossait son pantalon, nouait sa cravate, et se rendait à l'é glise, appuyé e sur son bras dans un orgueil maternel.
Ses parents le chargeaient toujours d'en2 tirer quelque chose, soit un paquet de cassonade4, du savon, de l'eau-de-vie, parfois mê me de l'argent. Il apportait ses nippes5 à raccommoder et elle acceptait cette besogne, heureuse d'une occasion qui le forç ait à revenir.
Au mois d'aoû t, son pè re l'emmena au cabotage6.
C'é tait l'é poque des vacances. L'arrivé e des enfants7 la consola. Mais Paul devenait capricieux, et Virginie n'avait plus l'â ge d'ê tre tutoyé e, ce qui mettait une gê ne, une barriè re entre elles.
Victor alla successivement à Morlaix. à Dunkerque et à Brighton; au retour de chaque voyage, il lui offrait un cadeau. La premiè re fois, ce fut une boî te en coquilles, la seconde, une tasse à café; la troisiè me, un grand bonhomme en pain d'epice. Il embellisait, avait la taille bien prise, un peu moustache, de bons yeax francs, et un petit chapeau de cuir, placé en arriè re comme un pilote. Il l'amusait en lui racontant des histoires mê lé es de termes marins.
Un lundi, 14 juillet 1810 (elle n'oublia pas la date), Victor annonç a qu'il é tait engagé au long cours8 et, dans la nuit du surlendemain, par le paquebot de Honfleur9, irait rejoindre sa goé lette10, qui devait dé marrer11 du Havre prochainement. Il serait, peut-ê tre, deux ans parti.
La perspective d'une telle absence dé sola Fé licité; et pour lui dire encore adieu, le mercredi soir, aprè s le dî ner de Madame, elle chaussa des galoches12, et avala les quatre lieues qui sé paraient Pont-1'Evê que de Honfleur.
Quand elle fut devant le Calvaire, au lieu de prendre à gauche, elle prit à droite, se perdit dans des chantiers, revint sur ses pas; desgens qu'elle accosta14 l'engagè rent à se hâ ter. Elle fit le tour du bassin rempli des navires, se heurtait contre des amarres15; puis le terrain s'abaissa, des
lumiè res s'entrecroisè rent, et elle se crut folle, en apercevant des chevaux dans le ciel.
Au bord du quai, d'autres hennissaient, effrayé s par la mer. Un palan16 qui les enlevait les descendait dans un bateau, où des voyageurs se bousculaient entre les barriques de cidre, les paniers de fromage, les sacs de grain; on entendait chanter des poules, le capitaine jurait; et un mousse restait accoudé sur le bossoir17, indiffé rent à tout cela. Fé licité, qui ne l'avait pas reconnu, criait: «Victor!»; il leva la tê te; elle s'é lanç ait, quand on retira l'é chelle tout à coup*.
Un Cœ ur simple (1877). Примечания:
1. Имя служанки, чью жизнь Флобер описал в " Простом сердце" 2. У нее. т.е. у Фелисите. 3. Soit = c'est-à -dire. 4. Плохо очищенный сахар коричневатого цвета. 5. По- ношенная одежда, тряпье. 6. Торговые морские рейсы между портами, находящимися на одном побережье. 7. Дети госпожи Обен, хозяйки Фелисите. 8. В дальнее плавание. 9. Порт в устье Сены. 10. Шхуну. Название происходит, повидимому, от goé land — чайка. И. Отчалить, т.е. отправиться в плавание. 12. Грубые башмаки, изготовленные из дерева, либо с деревянной подошвой. 13. В субпрефектуре Кальвадос в Нормандии. 14. Подошла, обратилась. 15. Швартовы — канаты, которыми судно удерживается > причальной стенки. 16. Полиспаст, грузоподъемное устройство. 17. Крамбол — балка, на которой подвешивается якорь.
Вопросы:
* Comment l'auteur nous inté resse-t-il à cette pauvre femme. — Montrez la couleur maritime du passage.
GUY DE MAUPASSANT (1850-1893)
entre les romanciers de l'é poque ré aliste ou naturaliste, MAUPASSANT se distingue par la force nerveuse de son style, la simplicité de ses moyens d'expression.Voici une nouvelle, dont le thè me a inspiré plus d'un poè te ou d'un chansonnier (par exemple Tennyson dans Enoch Arden, ou l'auteur inconnu de la vieille chanson du Marin qui revient de guerre). Une intense é motion, une grande pitié se dé gagent de ce drame des humbles. Elles sont à la mesure de la discré tion voulue par l'auteur.
LE RETOUR
La mer fouette la cô te de sa vague courte et monotone. De petits nuages blancs passent vite à travers le grand ciel bleu, emporté s par le vent rapide, comme des oiseaux; et le village, dans le pli du vallon qui descend vers l'océ an, se chauffe au soleil.
Tout à l'entré e, la maison des Martin-Lé vesque, seule, au bord de la route. C'est une petite demeure de pê cheur, aux murs d'argile, au toit de chaume empanaché d'iris bleus. Un jardin large comme un mouchoir, où poussent des oignons, quelques choux, du persil, du cerfeuil, se carre2 devant la porte. Une haie le clô t le long du chemin.
L'homme est à la pê che, et la femme, devant la loge, ré pare les mailles d'un grand filet brun, tendu sur le mur ainsi qu'une immense toile d'araigné e. Une fillette de quatorze ans, à l'entré e du jardin, assise sur une chaise de paille, penché e en arriè re, raccommode du linge, du linge de pauvre, rapié cé, reprisé dé jà. Une autre gamine, plus jeune d'un an, berce dans ses bras un enfant tout petit, encore sans geste et sans parole; et deux mioches3 de deux ou trois ans, le derriè re dans la terre, nez à nez, jardinent de leurs mains maladroites et se jettent des poigné es de poussiè re dans la figure.
Personne ne parle. Seul le moutard" qu'on essaie d'endormir pleure d'une faç on continue, avec une petite voix aigre et frê le. Un chat dort sur la fenê tre; et des giroflé es é panouies font, au pied du mur, un beau bourrelet de fleurs blanches, sur qui4 bourdonne un peuple de mouches.
La fillette qui coud prè s de l'entré e appelle tout à coup:
«M'man!»
La mè re ré pond:
«Que qu'tas?
— Le r'voilà 5».
Elles sont inquiè tes depuis le matin, parce qu'un homme rô de autour de la maison; un vieux homme qui a l'air d'un pauvre. Elles l'ont aperç u comme elles allaient conduire le pè re à son bateau, pour l'embarquer. Il, é tait assis sur le fossé, en face de leur porte. Puis, quand elles sont revenues de la plage, elles l'ont retrouvé là, qui regardait la maison.
Il semblait malade et trè s misé rable. Il n'avait pas bougé pendant plus d'une heure; puis, voyant qu'on le considé rait comme un malfaiteur, il s'é tait levé et é tait parti en traî nant la jambe.
Mais bientô t elles l'avaient vu revenir de son pas lent et fatigué; et il s'é tait encore assis, un peu plus loin cette fois, comme pour les guetter.
La mè re et les fillettes avaient peur. La mè re surtout se tracassait parce qu'elle é tait d'un naturel craintif, et que son homme, Lé vesque, ne devait revenir de la mer qu'à la nuit tombante.
Son mari s'appelait Lé vesque; elle, on la nommait Martin, et on les avait baptisé s les Martin-Lé vesque. Voici pourquoi: elle avait é pousé en premiè res noces un matelot du nom de Martin, qui allait tous les é té s à Terre-Neuve, à la pê che de la morue.
Aprè s deux anné es de mariage, elle avait de lui une petite fille et elle é tait encore grosse de six mois quand le bâ timent qui portait son mari, les Deux-Sœ urs, un trois-mâ ts de Dieppe, disparut.
On n'en eut jamais aucune nouvelle; aucun des marins qui le montaient ne revint; on le considé ra donc comme perdu corps et biens6.
La Martin attendit son homme pendant dix ans, é levant à grand-peine ses deux enfants; puis, comme elle é tait vaillante et bonne femme, un pê cheur du pays, Lé vesque, veuf avec un garç on, la demanda en mariage. Elle l'é pousa, et eut encore de lui deux enfants en trois ans.
Ils vivaient pé niblement, laborieusement. Le pain é tait cher et la viande presque inconnue dans la demeure. On s'endettait parfois chez le boulanger, en hiver, pendant les mois de bourrasques. Les petits se portaient bien, cependant. On disait:
«C'est des braves gens, les Martin-Lé vesque. La Martin est dure à la peine, et Lé vesque n'a pas son pareil pour la pê che.»
La fillette assise à la barriè re reprit:
«On dirait qu'y nous connaî t. C'est p't-ê tre ben qué que pauvre d'Epré ville ou. d'Auzebosc7.»
Mais la mè re ne s'y trompait pas. Non, non, ç a n'é tait pas quelqu'un du pays, pour sû r!
Comme il ne remuait pas plus qu'un pieu, et qu'il fixait ses yeux avec obstination sur le logis des Martin-Lé vesque, la Martin devint furieuse et, la peur la rendant brave, elle saisit une pelle et sortit devant la porte.
«Que que vous faites là?» cria-t-elle au vagabond.
Il ré pondit d'une voix enroué e:
«J'prends la fraî che, donc! J'vous fais-ti tort8?»
Elle reprit:
«Pourqué qu'vous ê tes quasiment en espionnance devant ma maison9?»
L'homme ré pliqua:
«Je n'fais d'mal à personne. C'est-i point10 permis d's'asseoir sur la route?»
Ne trouvant rien à ré pondre, elle rentra chez elle.
Le journé e s'é coula lentement. Vers midi, l'homme disparut. Mais il repassa vers cinq heures. On ne le vit plus dans la soiré e.
Lé vesque rentra à la nuit tombé e. On lui dit la chose. Il conclut:
«C'est qué que fouineur ou qué que malicieux11.»
Et il se coucha sans inquié tude, tandis que sa compagne songeait à ce rô deur qui l'avait regardé e avec des yeux si drô les12.
Quand le jour vint, il faisait grand vent, et le matelot, voyant qu'il ne pourrait prendre la mer, aida sa femme à raccommoder ses filets.
Vers neuf heures, la fille aî né e, une Martin, qui é tait allé e chercher du pain, rentra en courant, la mine effaré e et cria:
«M'man, le r'voilà!»
La mè re eut une é motion, et, toute pâ le, dit à son homme:
«Va li parler, Lé vesque, pour qu'il ne nous guette point comme ç a, parce que, me, ç a me tourne les sangs 13.»
Et Lé vesque, un grand matelot au teint de brique, à la barbe drue et rouge, à l'œ il bleu percé d'un point noir, au cou fort, enveloppé toujours de laine par crainte du vent et de la pluie au large, sortit tranquillement et s'approcha du rô deur.
La mè re et les enfants les regardaient de loin, anxieux et fré missants.
Tout à coup, l'inconnu se leva et s'en vint, avec Lé vesque, vers la maison.
La Martin, effaré e, se reculait. Son homme lui dit:
«Donne-lui un p'tieu de pain et un verre de cidre, 1 n'a rien mâ qué depuis avant-hier14.»
Et ils entrè rent tous deux dans le logis, suivis de la femme et des enfants. Le rô deur s'assit et se mit à manger, la tê te baissé e sous tous les regards.
La mè re, debout, le dé visageait; les deux grandes filles, les Martin, adossé es à la porte, l'une portant le dernier enfant, plantaient sur lui leurs yeux avides, et les deux mioches, assis dans les cendres de la cheminé e, avaient cessé de jouer avec la marmite noire, comme pour contempler aussi cet é tranger.
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