Pour une médecine humaniste
RENÉ LERICHE (1881-1955), fondateur de la Chirurgie physiologique, a é té l'un des plus grands praticiens de son temps. Mais il ne s'est pas appliqué seulement à perfectionner la qualité scientifique et technique de son art. N'oubliant jamais que l'homme est un «ê tre de sentiment autant qu'œ uvre de chair», 17 a voulu conserver à la mé decine et à la chirurgie un caractè re profondé ment humain.
Pour ne pas se laisser aller à oublier l'inté rê t du malade, pour ne pas dé passer ce qui lui est permis, il faut que la chirurgie conserve le souci de l'humain, le chirurgien demeurant le serviteur compré hensif et respectueux de l'homme malade. Tout chirurgien doit avoir le sentiment profond du respect dû par chacun de nous à la personne humaine.
Pré sence de l'homme dans la chirurgie, pourrait-on dire.
J'ai cherché un mot pour dé signer ce que je voulais exprimer ainsi (...). Celui d'humanisme s'est imposé à moi; humanisme: é lan de l'homme vers l'homme, souci de 1 individuel, recherche de chacun dans sa vente.
Je sais bien que dans la tradition de l'é cole, le mot d'humanisme a une tout autre signification et ne devrait s'entendre que d'une attitude voulue de l'intelligence. Mais, de nos jours mê mes, au terme d'une longue mé ditation, la conception humaniste s'est affirmé e plus large que jamais. Elle prend dé sormais pour objet l'homme tout entier, l'homme individu, dans les œ uvres de son esprit, dans les mouvements de son intelligence et de son cœ ur, dans ses inquié tudes, ses espoirs, ses dé sespé rances, dans son aspiration faustienne' à la vie. C'est donc bien un courant de pensé e que l'on peut faire passer au travers de la chirurgie.
En fait, cet humanisme, c'est celui que tout mé decin sent s'é veiller en lui au contact de la souffrance et de la misè re des hommes.
C'est lui qui permet au chirurgien d'ê tre proche du malade tourmenté, proche sans effort, sans mot appris dè s que la maladie fait affleurer ce tré fonds de vie secrè te où la psychanalyse a trouvé matiè re à tant d'explorations ré vé latrices. C'est lui seul qui peut maintenir la chirurgie dans sa ligne droite, car il est la seule é thique3 qui puisse fixer, pour chacun de nous, la limite des droits et l'é tendue des devoirs.
Malheureusement, nos faculté s de mé decine ne s'en inquiè tent guè re. Elles n'enseignent pas cette science de l'homme total (...). Sans doute, à l'hô pital, chaque jour, des maî tres de haute conscience prê chent l'humanisme par leur exemple. Mais le cadre de leurs leç ons vé cues est parfois tellement inhumain que l'idé e se dilue. Dans nos hô pitaux, tout choque l'humanisme: la promiscuité des corps, la violation des intimité s secrè tes, l'impudeur des voisinages, le contact permanent avec la soufftance, l'indiffé rence devant la mort.
Aussi peut-on aborder la chirurgie sans en avoir compris la valeur humaine, sans ê tre moralement pré paré à ce qu'elle impose. Et c'est là d'où vient le danger.
Sans doute, les mé decins sont gé né ralement impré gné s de cette culture classique qui aide tant à comprendre l'homme, mais à l'â ge où il est mis en contact avec la pensé e antique, le futur mé decin est trop jeune pour en saisir la signification ré elle. Et c'est plus tard, de lui-mê me, que, sensible à la misè re des hommes, le mé decin trouve au lit du malade le sens vé ritable de sa profession. Certes, la plupart des mé decins sont des humanistes, mais peut-ê tre serait-il bon qu'on ne laisse pas attendre à chacun d'eux les messages de l'expé rience.
C'est pourquoi il y a lieu de dire les devoirs que la pensé e humaniste impose aux chirurgiens, pour que la chirurgie soit vraiment à la mesure de l'homme*.
RENÉ LERICHE. La Philosophie de la Chirurgie (1951). Примечания:
1 В фаустовском гepoe средневековой легенды, на основе которой Гете написал своего " Фауста" 2. Выхолит на поверхность эгих таинственных глубин 3. Единственная мораль
Вопросы:
* D aprè s cette page montrez que la mé decine est une é thique non moins qu'une science. 212
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