Le vol historique de Louis blériot
Dans le domaine de l'aviation, les Franç ais ont souvent joué un rô le de premier plan. Ils pourraient s'enorgueillir d'avoir, avec Ader, cré é le premier aé roplane volant, que son inventeur baptisa du nom giacieux d'avion (1897). Mais l'initiateur essentiel, celui qui s'est acquis la double gloire d'ê tre le constructeur et le pilote du premier appareil capable de traverser la mer, c'est Louis BLÉ RIOT. Le 25 juillet 1909, il parvint à survoler la Manche et à joindre, en trente-deux minutes, la France à l'Angleterre. Un monument, é levé en sol britannique, marque d'ailleurs le point pré cis où s'acheva cet exploit.
A 4 heures 41, je dé collai le 25 juillet 1909. J'é tais quelque peu é mu. Qu'allait-il m'arriver? Atteindrais-je Douvres ou me poserais-je au milieu de la Manche?
Je piquai directement vers la cô te anglaise, m'é levant progressivement mè tre par mè tre. Te passai au-dessus de la dune d'où Alfred Leblanc1 m'envoyait ses souhaits. J'é tais entre le ciel et l'eau. Du bleu partout.
A partir du moment où j'eus quitté le sol, je n'é prouvai plus la moindre é motion et n'eus plus le temps d'analyser mes impressions. C'est par la suite que je me rendis compte des risques courus et de l'importance de mon vol.
Là -haut, je trouvais seulement que ma vitesse é tait bien au-dessous de ce que j'espé rais. Cela tenait au tapis uniforme qui s'é tendait sous mes ailes. Je n'avais pas le moindre point de repè re, alors que sur la terre, les arbres, les maisons, les bois constituent autant de bornes permettant d'avoir une idé e de l'allure de l'appareil en vol. Survoler l'eau est d'une monotonie exaspé rante.
Pendant les dix premiè res minutes, je me dirigeai perpendiculairement à la cô te, laissant à ma droite le contre-torpilleur Escopette, chargé de me convoyer et que je dé passai rapidement.
Sans boussole, perdant de vue la terre de France, ne distinguant pas le territoire anglais, j'immobilisai mes deux pieds pour ne pas bouger le gouvernail de direction. J'avais peur de dé river.
Pendant dix nouvelles minutes, je volai à cent mè tres en aveugle, droit devant moi. L'Escopette é tait loin derriè re. Je n'avais plus le moindre guide. Mon isolement é tait sinistre.
Enfin, voici à l'horizon une ligne grise. L'espoir du triomphe naî t en moi. J'approche. Je fais environ soixante à l'heure. Le vent s'é lè ve. Je m'aperç ois que j'ai é té dé porté de plus de six kilomè tres vers la droite malgré mes pré cautions. Au lieu de me trouver face à Douvres, je suis devant Saint-Margaret.
Trois bateaux s'offrent à ma vue. Les é quipages agitent leurs casquettes, leurs bras, me faisant part de leur enthousiasme. Oui, mais j'aimerais mieux apprendre d'eux de quel cô té me diriger, d'autant plus que je ne sais pas ce qui m'attend, n'ayant pas eu la possibilité de venir é tudier les terrains susceptibles de me recevoir.
A Saint-Margaret, les falaises sont trop hautes. Chaque fois que je tente de passer au-dessus, un remous me rabat de vingt mè tres. Le sol britannique se dé fend vigoureusement. Vais-je ê tre obligé d'abandonner alors que je touche au port? Et ma provision d'essence qui doit commencer à s'é puiser... Il faut me dé pê cher et sortir de cette prison dans laquelle je
semble enfermé.
Pour gagner Douvres, je vole dans le sens des petits bateaux qui, au-dessous de moi, semblent rentrer. Je longe la cô te du nord au sud. О joie! Elle commence à dé croî tre. Je peux passer. Mais le vent, qui s'est levé et contre lequel je lutte dé sespé ré ment, reprend de plus belle.
Tout à coup j'aperç ois un drapeau tricolore qu'on agite avec fureur. Je me rappelle alors que le journaliste franç ais Fontaine m'avait é crit qu'il me signalerait de la sorte un endroit propice pour l'atterrissage. Je n'y pensais plus. C'est lui. Quel bonheur! Je vais pouvoir me poser.
Je me pré cipite vers la terre où je suis ainsi appelé et me pré pare à atterrir. Je subis des remous — tant pis. Je suis renvoyé par un tourbillon en approchant du sol. Qu'importé. Je peux bien risquer de casser une fois de plus mon maté riel. Le jeu en vaut la chandelle. Je coupe l'allumage à vingt mè tres de haut et j'attends. Il n'est pas d'exemple que, dans pareil cas, on s'é ternise en l'air. Le sol opè re comme un aimant: mon fidè le Bl.-XI s'en tire avec l'hé lice brisé e, le châ ssis endommagé *.
LOUIS BLÉ RIOT (cité par Jacques Mortane). Примечания:
1. Преданный друг Луи Блерио. Вопросы:
*'D'aprè s ce ré cit, quelle idé e peut-on se faire de la difficulté de l'expiait ré alisé par Louis Blé riot? — Montrez l'extrê me simplicité avec laquelle s'exprime l'aviateur.
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