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Voyage au centre de la terre 1 ñòðàíèöà






(1864)


Table des matiè res

 

I. 5

II. 11

III. 18

IV.. 27

V.. 32

VI. 39

VII. 49

VIII. 58

IX.. 66

X.. 74

XI. 81

XII. 89

XIII. 96

XIV.. 103

XV.. 110

XVI. 117

XVII. 124

XVII. 130

XIX.. 138

XX.. 144

XXI. 150

XXII. 156

XXIII. 160

XXIV.. 167

XXV.. 172

XXVI. 179

XXVII. 183

XXVIII. 188

XXIX.. 197

XXX.. 203

XXXI. 212

XXXII. 219

XXXIII. 227

XXXIV.. 236

XXXV.. 243

XXXVI. 250

XXXVII. 258

XXXVIII. 263

XXXIX.. 270

XL. 278

XLI. 285

XLII. 291

XLIII. 299

XLIV.. 307

XLV.. 315

À propos de cette é dition é lectronique. 320

 


I

Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeur Lidenbrock, revint pré cipitamment vers sa petite maison situé e au numé ro 19 de Kö nigstrasse, l’une des plus anciennes rues du vieux quartier de Hambourg.

 

La bonne Marthe dut se croire fort en retard, car le dî ner commenç ait à peine à chanter sur le fourneau de la cuisine.

 

«Bon, me dis-je, s’il a faim, mon oncle, qui est le plus impatient des hommes, va pousser des cris de dé tresse.

 

– Dé jà M. Lidenbrock! s’é cria la bonne Marthe stupé faite, en entrebâ illant la porte de la salle à manger.

 

– Oui, Marthe; mais le dî ner a le droit de ne point ê tre cuit, car il n’est pas deux heures. La demie vient à peine de sonner à Saint-Michel.

 

– Alors pourquoi M. Lidenbrock rentre-t-il?

 

– Il nous le dira vraisemblablement.

 

– Le voilà! je me sauve, monsieur Axel, vous lui ferez entendre raison.»

 

Et la bonne Marthe regagna son laboratoire culinaire.

 

Je restai seul. Mais de faire entendre raison au plus irascible des professeurs, c’est ce que mon caractè re un peu indé cis ne me permettait pas. Aussi je me pré parais à regagner prudemment ma petite chambre du haut, quand la porte de la rue cria sur ses gonds; de grands pieds firent craquer l’escalier de bois, et le maî tre de la maison, traversant la salle à manger, se pré cipita aussitô t dans son cabinet de travail.

 

Mais, pendant ce rapide passage, il avait jeté dans un coin sa canne à tê te de casse-noisettes, sur la table son large chapeau à poils rebroussé s, et à son neveu ces paroles retentissantes:

 

«Axel, suis-moi!»

 

Je n’avais pas eu le temps de bouger que le professeur me criait dé jà avec un vif accent d’impatience:

 

«Eh bien! tu n’es pas encore ici?»

 

Je m’é lanç ai dans le cabinet de mon redoutable maî tre.

 

Otto Lidenbrock n’é tait pas un mé chant homme, j’en conviens volontiers; mais, à moins de changements improbables, il mourra dans la peau d’un terrible original.

 

Il é tait professeur au Johannaeum, et faisait un cours de miné ralogie pendant lequel il se mettait ré guliè rement en colè re une fois ou deux. Non point qu’il se pré occupâ t d’avoir des é lè ves assidus à ses leç ons, ni du degré d’attention qu’ils lui accordaient, ni du succè s qu’ils pouvaient obtenir par la suite; ces dé tails ne l’inquié taient guè re. Il professait «subjectivement», suivant une expression de la philosophie allemande, pour lui et non pour les autres. C’é tait un savant é goï ste, un puits de science dont la poulie grinç ait quand on en voulait tirer quelque chose: en un mot, un avare.

 

Il y a quelques professeurs de ce genre en Allemagne.

 

Mon oncle, malheureusement, ne jouissait pas d’une extrê me facilité de prononciation, sinon dans l’intimité, au moins quand il parlait en public, et c’est un dé faut regrettable chez un orateur. En effet, dans ses dé monstrations au Johannaeum, souvent le professeur s’arrê tait court; il luttait contre un mot ré calcitrant qui ne voulait pas glisser entre ses lè vres, un de ces mots qui ré sistent, se gonflent et finissent par sortir sous la forme peu scientifique d’un juron. De là, grande colè re.

 

Or, il y a en miné ralogie bien des dé nominations semi-grecques, semi-latines, difficiles à prononcer, de ces rudes appellations qui é corcheraient les lè vres d’un poè te. Je ne veux pas dire du mal de cette science. Loin de moi. Mais lorsqu’on se trouve en pré sence des cristallisations rhomboé driques, des ré sines ré tinasphaltes, des ghé lé nites, des fangasites, des molybdates de plomb, des tungstates de manganè se et des titaniates de zircone, il est permis à la langue la plus adroite de fourcher.

 

Donc, dans la ville, on connaissait cette pardonnable infirmité de mon oncle, et on en abusait, et on l’attendait aux passages dangereux, et il se mettait en fureur, et l’on riait, ce qui n’est pas de bon goû t, mê me pour des Allemands. Et s’il y avait toujours grande affluence d’auditeurs aux cours de Lidenbrock, combien les suivaient assidû ment qui venaient surtout pour se dé rider aux belles colè res du professeur!

 

Quoi qu’il en soit, mon oncle, je ne saurais trop le dire, é tait un vé ritable savant. Bien qu’il cassâ t parfois ses é chantillons à les essayer trop brusquement, il joignait au gé nie du gé ologue l’œ il du miné ralogiste. Avec son marteau, sa pointe d’acier, son aiguille aimanté e, son chalumeau et son flacon d’acide nitrique, c’é tait un homme trè s fort. À la cassure, à l’aspect, à la dureté, à la fusibilité, au son, à l’odeur, au goû t d’un miné ral quelconque, il le classait sans hé siter parmi les six cents espè ces que la science compte aujourd’hui.

 

Aussi le nom de Lidenbrock retentissait avec honneur dans les gymnases et les associations nationales. MM. Humphry Davy, de Humboldt, les capitaines Franklin et Sabine, ne manquè rent pas de lui rendre visite à leur passage à Hambourg. MM. Becquerel, Ebelmen, Brewster, Dumas, Milne-Edwards, Sainte-Claire-Deville, aimaient à le consulter sur des questions les plus palpitantes de la chimie. Cette science lui devait d’assez belles dé couvertes, et, en 1853, il avait paru à Leipzig un Traité de Cristallographie transcendante, par le professeur Otto Lidenbrock, grand in-folio avec planches, qui cependant ne fit pas ses frais.

 

Ajoutez à cela que mon oncle é tait conservateur du musé e miné ralogique de M. Struve, ambassadeur de Russie, pré cieuse collection d’une renommé e europé enne.

 

Voilà donc le personnage qui m’interpellait avec tant d’impatience. Repré sentez-vous un homme grand, maigre, d’une santé de fer, et d’un blond juvé nile qui lui ô tait dix bonnes anné es de sa cinquantaine. Ses gros yeux roulaient sans cesse derriè re des lunettes considé rables; son nez, long et mince, ressemblait à une lame affilé e; les mé chants pré tendaient mê me qu’il é tait aimanté et qu’il attirait la limaille de fer. Pure calomnie: il n’attirait que le tabac, mais en grande abondance, pour ne point mentir.

 

Quand j’aurai ajouté que mon oncle faisait des enjambé es mathé matiques d’une demi-toise, et si je dis qu’en marchant il tenait ses poings solidement fermé s, signe d’un tempé rament impé tueux, on le connaî tra assez pour ne pas se montrer friand de sa compagnie.

 

Il demeurait dans sa petite maison de Kö nigstrasse, une habitation moitié bois, moitié brique, à pignon dentelé; elle donnait sur l’un de ces canaux sinueux qui se croisent au milieu du plus ancien quartier de Hambourg que l’incendie de 1842 a heureusement respecté.

 

La vieille maison penchait un peu, il est vrai, et tendait le ventre aux passants; elle portait son toit incliné sur l’oreille, comme la casquette d’un é tudiant de la Tugendbund; l’aplomb de ses lignes laissait à dé sirer; mais, en somme, elle se tenait bien, grâ ce à un vieil orme vigoureusement encastré dans la faç ade, qui poussait au printemps ses bourgeons en fleurs à travers les vitraux des fenê tres.

 

Mon oncle ne laissait pas d’ê tre riche pour un professeur allemand. La maison lui appartenait en toute proprié té, contenant et contenu. Le contenu, c’é tait sa filleule Graü ben, jeune Virlandaise de dix-sept ans, la bonne Marthe et moi. En ma double qualité de neveu et d’orphelin, je devins son aide-pré parateur dans ses expé riences.

 

J’avouerai que je mordis avec appé tit aux sciences gé ologiques; j’avais du sang de miné ralogiste dans les veines, et je ne m’ennuyais jamais en compagnie de mes pré cieux cailloux.

 

En somme, on pouvait vivre heureux dans cette maisonnette de Kö nigstrasse, malgré les impatiences de son proprié taire, car, tout en s’y prenant d’une faç on un peu brutale, celui-ci ne m’en aimait pas moins. Mais cet homme-là ne savait pas attendre, et il é tait plus pressé que nature.

 

Quand, en avril, il avait planté dans les pots de faï ence de son salon des pieds de ré sé da ou de volubilis, chaque matin il allait ré guliè rement les tirer par les feuilles afin de hâ ter leur croissance.

 

Avec un pareil original, il n’y avait qu’à obé ir. Je me pré cipitai donc dans son cabinet.

 

II

Ce cabinet é tait un vé ritable musé e. Tous les é chantillons du rè gne miné ral s’y trouvaient é tiqueté s avec l’ordre le plus parfait, suivant les trois grandes divisions des miné raux inflammables, mé talliques et lithoï des.

 

Comme je les connaissais, ces bibelots de la science miné ralogique! Que de fois, au lieu de muser avec des garç ons de mon â ge, je m’é tais plu à é pousseter ces graphites, ces anthracites, ces houilles, ces lignites, ces tourbes! Et les bitumes, les ré sines, les sels organiques qu’il fallait pré server du moindre atome de poussiè re! Et ces mé taux, depuis le fer jusqu’à l’or, dont la valeur relative disparaissait devant l’é galité absolue des spé cimens scientifiques! Et toutes ces pierres qui eussent suffi à reconstruire la maison de Kö nigstrasse, mê me avec une belle chambre de plus, dont je me serais si bien arrangé!

 

Mais, en entrant dans le cabinet, je ne songeais guè re à ces merveilles. Mon oncle seul occupait ma pensé e. Il é tait enfoui dans son large fauteuil garni de velours d’Utrecht, et tenait entre les mains un livre qu’il considé rait avec la plus profonde admiration.

 

«Quel livre! quel livre!» s’é criait-il.

 

Cette exclamation me rappela que le professeur Lidenbrock é tait aussi bibliomane à ses moments perdus; mais un bouquin n’avait de prix à ses yeux qu’à la condition d’ê tre introuvable, ou tout au moins illisible.

 

«Eh bien! me dit-il, tu ne vois donc pas? Mais c’est un tré sor inestimable que j’ai rencontré ce matin en furetant dans la boutique du juif Hevelius.

 

– Magnifique!» ré pondis-je avec un enthousiasme de commande.

 

En effet, à quoi bon ce fracas pour un vieil in-quarto dont le dos et les plats semblaient faits d’un veau grossier, un bouquin jaunâ tre auquel pendait un signet dé coloré?

 

Cependant les interjections admiratives du professeur ne discontinuaient pas.

 

«Vois, disait-il, en se faisant à lui-mê me demandes et ré ponses; est-ce assez beau? Oui, c’est admirable! Et quelle reliure! Ce livre s’ouvre-t-il facilement? Oui, car il reste ouvert à n’importe quelle page! Mais se ferme-t-il bien? Oui, car la couverture et les feuilles forment un tout bien uni, sans se sé parer ni bâ iller en aucun endroit. Et ce dos qui n’offre pas une seule brisure aprè s sept cents ans d’existence! Ah! voilà une reliure dont Bozerian, Closs ou Purgold eussent é té fiers!»

 

En parlant ainsi, mon oncle ouvrait et fermait successivement le vieux bouquin, Je ne pouvais faire moins que de l’interroger sur son contenu, bien que cela ne m’inté ressâ t aucunement.

 

«Et quel est donc le titre de ce merveilleux volume? demandai-je avec un empressement trop enthousiaste pour n’ê tre pas feint.

 

– Cet ouvrage! ré pondit mon oncle en s’animant, c’est l’ Heims-Kringla de Snorre Turleson, le fameux auteur islandais du XIIe siè cle! C’est la Chronique des princes norvé giens qui ré gnè rent en Islande!

 

– Vraiment! m’é criai-je de mon mieux, et, sans doute, c’est une traduction en langue allemande?

 

– Bon! riposta vivement le professeur, une traduction! Et qu’en ferais-je de ta traduction! Qui se soucie de ta traduction? Ceci est l’ouvrage original en langue islandaise, ce magnifique idiome, riche et simple à la fois, qui autorise les combinaisons grammaticales les plus varié es et de nombreuses modifications de mots!

 

– Comme l’allemand, insinuai-je avec assez de bonheur.

 

– Oui, ré pondit mon oncle en haussant les é paules, sans compter que la langue islandaise admet les trois genres comme le grec et dé cline les noms propres comme le latin!

 

– Ah! fis-je un peu é branlé dans mon indiffé rence, et les caractè res de ce livre sont-ils beaux?

 

– Des caractè res! Qui te parle de caractè res, malheureux Axel! Il s’agit bien de caractè res! Ah! tu prends cela pour un imprimé! Mais, ignorant, c’est un manuscrit, et un manuscrit runique! …

 

– Runique?

 

– Oui! Vas-tu me demander maintenant de t’expliquer ce mot?

 

– Je m’en garderai bien», ré pliquai-je avec l’accent d’un homme blessé dans son amour-propre.

 

Mais mon oncle continua de plus belle et m’instruisit, malgré moi, de choses que je ne tenais guè re à savoir.

 

«Les runes, reprit-il, é taient des caractè res d’é criture usité s autrefois en Islande, et, suivant la tradition, ils furent inventé s par Odin lui-mê me! Mais regarde donc, admire donc, impie, ces types qui sont sortis de l’imagination d’un dieu!»

 

Ma foi, faute de ré plique, j’allais me prosterner, genre de ré ponse qui doit plaire aux dieux comme aux rois, car elle a l’avantage de ne jamais les embarrasser, quand un incident vint dé tourner le cours de la conversation.

 

Ce fut l’apparition d’un parchemin crasseux qui glissa du bouquin et tomba à terre.

 

Mon oncle se pré cipita sur ce brimborion avec une avidité facile à comprendra. Un vieux document, enfermé depuis un temps immé morial dans un vieux livre, ne pouvait manquer d’avoir un haut prix à ses yeux.

 

«Qu’est-ce que cela?» s’é cria-t-il.

 

Et, en mê me temps, il dé ployait soigneusement sur sa table un morceau de parchemin long de cinq pouces, large de trois, et sur lequel s’allongeaient, en lignes transversales, des caractè res de grimoire.

 

En voici le fac-similé exact. Je tiens à faire connaî tre ces signes bizarres, car ils amenè rent le professeur Lidenbrock et son neveu à entreprendre la plus é trange expé dition du dix-neuviè me siè cle:

 

 

Le professeur considé ra pendant quelques instants cette sé rie de caractè res; puis il dit en relevant ses lunettes:

 

«C’est du runique; ces types sont absolument identiques à ceux du manuscrit de Snorre Turleson! Mais… qu’est-ce que cela peut signifier?»

 

Comme le runique me paraissait ê tre une invention de savants pour mystifier le pauvre monde, je ne fus pas fâ ché de voir que mon oncle n’y comprenait rien. Du moins, cela me sembla ainsi au mouvement de ses doigts qui commenç aient à s’agiter terriblement.

 

«C’est pourtant du vieil islandais!» murmurait-il entre ses dents.

 

Et le professeur Lidenbrock devait bien s’y connaî tre, car il passait pour ê tre un vé ritable polyglotte. Non pas qu’il parlâ t couramment les deux mille langues et les quatre mille idiomes employé s à la surface du globe, mais enfin il en savait sa bonne part.

 

Il allait donc, en pré sence de cette difficulté, se livrer à toute l’impé tuosité de son caractè re, et je pré voyais une scè ne violente, quand deux heures sonnè rent au petit cartel de la cheminé e.

 

Aussitô t la bonne Marthe ouvrit la porte du cabinet en disant:

 

«La soupe est servie.

 

– Au diable la soupe, s’é cria mon oncle, et celle qui l’a faite, et ceux qui la mangeront!»

 

Marthe s’enfuit. Je volai sur ses pas, et, sans savoir comment, je me trouvai assis à ma place habituelle dans la salle à manger.

 

J’attendis quelques instants. Le professeur ne vint pas. C’é tait la premiè re fois, à ma connaissance, qu’il manquait à la solennité du dî ner. Et quel dî ner, cependant! Une soupe au persil, une omelette au jambon relevé e d’oseille à la muscade, une longe de veau à la compote de prunes, et, pour dessert, des crevettes au sucre, le tout arrosé d’un joli vin de la Moselle.

 

Voilà ce qu’un vieux papier allait coû ter à mon oncle. Ma foi, en qualité de neveu dé voué, je me crû s obligé de manger pour lui, en mê me temps que pour moi. Ce que je fis en conscience.

 

«Je n’ai jamais vu chose pareille! disait la bonne Marthe. M. Lidenbrock qui n’est pas à table!

 

– C’est à ne pas le croire.

 

– Cela pré sage quelque é vé nement grave!» reprenait la vieille servante en hochant la tê te.

 

Dans mon opinion, cela ne pré sageait rien, sinon une scè ne é pouvantable quand mon oncle trouverait son dî ner dé voré.

 

J’en é tais à ma derniè re crevette, lorsqu’une voix retentissante m’arracha aux volupté s du dessert. Je ne fis qu’un bond de la salle dans le cabinet.

 

III

«C’est é videmment du runique, disait le professeur en fronç ant le sourcil. Mais il y a un secret, et je le dé couvrirai, sinon…»

 

Un geste violent acheva sa pensé e.

 

«Mets-toi là, ajouta-t-il en m’indiquant la table du poing, et é cris.»

 

En un instant je fus prê t.

 

«Maintenant, je vais te dicter chaque lettre de notre alphabet qui correspond à l’un de ces caractè res islandais. Nous verrons ce que cela donnera. Mais, par saint Michel! garde-toi bien de te tromper!»

 

La dicté e commenç a. Je m’appliquai de mon mieux; chaque lettre fut appelé e l’une aprè s l’autre, et forma l’incompré hensible succession des mots suivants:

 

mm. rnlls esreuel seecJde
sgtssmf unteief niedrke
kt, samn atrateS Saodrrn
emtnael nuaect rrilSa
Atvaar . nscrc ieaabs
ccdrmi eeutul frantu
dt, iac oseibo KediiY

 

Quand ce travail fut terminé, mon oncle prit vivement la feuille sur laquelle je venais d’é crire, et il l’examina longtemps avec attention.

 

«Qu’est-ce que cela veut dire?» ré pé tait-il machinalement.

 

Sur l’honneur, je n’aurais pas pu le lui apprendre. D’ailleurs il ne m’interrogea pas à cet é gard, et il continua de se parler à lui-mê me:

 

«C’est ce que nous appelons un cryptogramme, disait-il, dans lequel le sens est caché sous des lettres brouillé es à dessein, et qui, convenablement disposé es, formeraient une phrase intelligible! Quand je pense qu’il y a là peut-ê tre l’explication ou l’indication d’une grande dé couverte!»

 

Pour mon compte, je pensais qu’il n’y avait absolument rien, mais je gardai prudemment mon opinion. Le professeur prit alors le livre et le parchemin, et les compara tous les deux.

 

«Ces deux é critures ne sont pas de la mê me main, dit-il; le cryptogramme est posté rieur au livre, et j’en vois tout d’abord une preuve irré fragable. En effet, la premiè re lettre est une double M qu’on chercherait vainement dans le livre de Turleson, car elle ne fut ajouté e à l’alphabet islandais qu’au quatorziè me siè cle. Ainsi donc, il y a au moins deux cents ans entre le manuscrit et le document.»

 

Cela, j’en conviens, me parut assez logique.

 

«Je suis donc conduit à penser, reprit mon oncle, que l’un des possesseurs de ce livre aura tracé ces caractè res mysté rieux. Mais qui diable é tait ce possesseur? N’aurait-il point mis son nom à quelque endroit de ce manuscrit?»

 

Mon oncle releva ses lunettes, prit une forte loupe, et passa soigneusement en revue les premiè res pages du livre. Au verso de la seconde, celle du faux titre, il dé couvrit une sorte de macule, qui faisait à l’œ il l’effet d’une tache d’encre. Cependant, en y regardant de prè s, on distinguait quelques caractè res à demi effacé s. Mon oncle comprit que là é tait le point inté ressant; il s’acharna donc sur la macule et, sa grosse loupe aidant, il finit par reconnaî tre les signes que voici, caractè res runiques qu’il lut sans hé siter:

 

 

«Arne Saknussemm! s’é cria-t-il d’un ton triomphant, mais c’est un nom cela, et un nom islandais encore, celui d’un savant du seiziè me siè cle, d’un alchimiste cé lè bre!»

 

Je regardai mon oncle avec une certaine admiration.

 

«Ces alchimistes, reprit-il, Avicenne, Bacon, Lulle, Paracelse, é taient les vé ritables, les seuls savants de leur é poque. Ils ont fait des dé couvertes dont nous avons le droit d’ê tre é tonné s. Pourquoi, ce Saknussemm n’aurait-il pas enfoui sous cet incompré hensible cryptogramme quelque surprenante invention? Cela doit ê tre ainsi. Cela est.»

 

L’imagination du professeur s’enflammait à cette hypothè se.

 

«Sans doute, osai-je ré pondre, mais quel inté rê t pouvait avoir ce savant à cacher ainsi quelque merveilleuse dé couverte?

 

– Pourquoi? pourquoi? Eh! le sais-je? Galilé e n’en a-t-il pas agi ainsi pour Saturne? D’ailleurs, nous verrons bien; j’aurai le secret de ce document, et je ne prendrai ni nourriture ni sommeil avant de l’avoir deviné.»

 

«Oh!» pensai-je.

 

«Ni toi, non plus, Axel», reprit-il.

 

«Diable! me dis-je, il est heureux que j’aie dî né pour deux!»

 

«Et d’abord, fit mon oncle, il faut trouver la langue de ce «chiffre.» Cela ne doit pas ê tre difficile.»

 

À ces mots, je relevai vivement la tê te. Mon oncle reprit son soliloque:

 

«Rien n’est plus aisé. Il y a dans ce document cent trente-deux lettres qui donnent soixante-dix-neuf consonnes contre cinquante-trois voyelles. Or, c’est à peu prè s suivant cette proportion que sont formé s les mots des langues mé ridionales, tandis que les idiomes du nord sont infiniment plus riches en consonnes. Il s’agit donc d’une langue du midi.»

 

Ces conclusions é taient fort justes.

 

«Mais quelle est cette langue?»

 

C’est là que j’attendais mon savant, chez lequel cependant je dé couvrais un profond analyste.

 

«Ce Saknussemm, reprit-il, é tait un homme instruit; or, dè s qu’il n’é crivait pas dans sa langue maternelle, il devait choisir de pré fé rence la langue courante entre les esprits cultivé s du seiziè me siè cle, je veux dire le latin. Si je me trompe, je pourrai essayer de l’espagnol, du franç ais, de l’italien, du grec, de l’hé breu. Mais les savants du seiziè me siè cle é crivaient gé né ralement en latin. J’ai donc le droit de dire a priori: ceci est du latin.»

 

Je sautai sur ma chaise. Mes souvenirs de latiniste se ré voltaient contre la pré tention que cette suite de mots baroques pû t appartenir à la douce langue de Virgile.

 

«Oui! du latin, reprit mon oncle, mais du latin brouillé.»

 

«À la bonne heure! pensai-je. Si tu le dé brouilles, tu seras fin, mon oncle.»

 

«Examinons bien, dit-il, en reprenant la feuille sur laquelle j’avais é crit. Voilà une sé rie de cent trente-deux lettres qui se pré sentent sous un dé sordre apparent. Il y a des mots où les consonnes se rencontrent seules comme le premier «m. rnlls», d’autres où les voyelles, au contraire, abondent, le cinquiè me, par exemple, «unteief», ou l’avant-dernier «oseibo.» Or, cette disposition n’a é videmment pas é té combiné e; elle est donné e mathé matiquement par la raison inconnue qui a pré sidé à la succession de ces lettres. Il me paraî t certain que la phrase primitive a é té é crite ré guliè rement, puis retourné e suivant une loi qu’il faut dé couvrir. Celui qui possé derait la clef de ce «chiffre» le lirait couramment. Mais quelle est cette clef? Axel, as-tu cette clef?»

 

À cette question je ne ré pondis rien, et pour cause. Mes regards s’é taient arrê té s sur un charmant portrait suspendu au mur, le portrait de Graü ben. La pupille de mon oncle se trouvait alors à Altona, chez une de ses parentes, et son, absence me rendait fort triste, car, je puis l’avouer maintenant, la jolie Virlandaise et le neveu du professeur s’aimaient avec toute la patience et toute la tranquillité allemandes. Nous nous é tions fiancé s à l’insu de mon oncle, trop gé ologue pour comprendre de pareils sentiments. Graü ben é tait une charmante jeune fille blonde aux yeux bleus, d’un caractè re un peu grave, d’un esprit un peu sé rieux; mais elle ne m’en aimait pas moins; pour mon compte, je l’adorais, si toutefois ce verbe existe dans la langue tudesque! L’image de ma petite Virlandaise me rejeta donc, en un instant, du monde des ré alité s dans celui des chimè res, dans celui des souvenirs.


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