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Voyage au centre de la terre 3 ñòðàíèöà






 

Ce dernier mot, un peu hasardé, je regrettai presque de l’avoir prononcé; le professeur fronç a son é pais sourcil, et je craignais d’avoir compromis les suites de cette conversation. Heureusement il n’en fut rien. Mon sé vè re interlocuteur é baucha une sorte de sourire sur ses lè vres et ré pondit:

 

«C’est ce que nous verrons.

 

– Ah! fis-je un peu vexé; mais permettez-moi d’é puiser la sé rie des objections relatives à ce document.

 

– Parle, mon garç on, ne te gê ne pas. Je te laisse toute liberté d’exprimer ton opinion. Tu n’es plus mon neveu, mais mon collè gue. Ainsi, va.

 

– Eh bien, je vous demanderai d’abord ce que sont ce Yocul, ce Sneffels et ce Scartaris, dont je n’ai jamais entendu parler?

 

– Rien n’est plus facile. J’ai pré cisé ment reç u, il y a quelque temps, une carte de mon ami Augustus Peterman de Leipzig; elle ne pouvait arriver plus à propos. Prends le troisiè me atlas dans la seconde travé e de la grande bibliothè que, sé rie Z, planche 4.»

 

Je me levai, et, grâ ce à ces indications pré cises, je trouvai rapidement l’atlas demandé. Mon oncle l’ouvrit et dit:

 

«Voici une des meilleures cartes de l’Islande, celle de Handerson, et je crois qu’elle va nous donner la solution de toutes tes difficulté s.»

 

Je me penchai sur la carte.

 

«Vois cette î le composé e de volcans, dit le professeur, et remarque qu’ils portent tous le nom de Yocul. Ce mot veut dire «glacier» en islandais, et, sous la latitude é levé e de l’Islande, la plupart des é ruptions se font jour à travers les couches de glace. De là cette dé nomination de Yocul appliqué e à tous les monts ignivomes de l’î le.

 

– Bien, ré pondis-je; mais qu’est-ce que le Sneffels?»

 

J’espé rais qu’à cette demande il n’y aurait pas de ré ponse. Je me trompais. Mon oncle reprit:

 

«Suis-moi sur la cô te occidentale de l’Islande. Aperç ois-tu Reykjawik, sa capitale? Oui. Bien. Remonte les fjords innombrables de ces rivages rongé s par la mer, et arrê te-toi un peu au-dessous du soixante-cinquiè me degré de latitude. Que vois-tu là?

 

– Une sorte de presqu’î le semblable à un os dé charné, que termine une é norme rotule.

 

– La comparaison est juste, mon garç on; maintenant, n’aperç ois-tu rien sur cette rotule?

 

– Si, un mont qui semble avoir poussé en mer.

 

– Bon! c’est le Sneffels.

 

– Le Sneffels?

 

– Lui-mê me, une montagne haute de cinq mille pieds, l’une des plus remarquables de l’î le, et à coup sû r la plus cé lè bre du monde entier, si son cratè re aboutit au centre du globe.

 

– Mais c’est impossible! m’é criai-je en haussant les é paules et ré volté contre une pareille supposition.

 

– Impossible! ré pondit le professeur Lidenbrock d’un ton sé vè re. Et pourquoi cela?

 

– Parce que ce cratè re est é videmment obstrué par les laves, les roches brû lantes, et qu’alors…

 

– Et si c’est un cratè re é teint?

 

– É teint?

 

– Oui. Le nombre des volcans en activité à la surface du globe n’est actuellement que de trois cents environ; mais il existe une bien plus grande quantité de volcans é teints. Or le Sneffels compte parmi ces derniers, et, depuis les temps historiques, il n’a eu qu’une seule é ruption, celle de 1219; à partir de cette é poque, ses rumeurs se sont apaisé es peu à peu, et il n’est plus au nombre des volcans actifs.»

 

À ces affirmations positives je n’avais absolument rien à ré pondre; je me rejetai donc sur les autres obscurité s que renfermait le document.

 

«Que signifie ce mot Scartaris, demandai-je, et que viennent faire là les calendes de juillet?»

 

Mon oncle prit quelques moments de ré flexion. J’eus un instant d’espoir, mais un seul, car bientô t il me ré pondit en ces termes:

 

«Ce que tu appelles obscurité est pour moi lumiè re. Cela prouve les soins ingé nieux avec lesquels Saknussemm a voulu pré ciser sa dé couverte. Le Sneffels est formé de plusieurs cratè res; il y avait donc né cessité d’indiquer celui d’entre eux qui mè ne au centre du globe. Qu’a fait le savant Islandais? Il a remarqué qu’aux approches des calendes de juillet, c’est-à -dire vers les derniers jours du mois de juin, un des pics de la montagne, le Scartaris, projetait son ombre jusqu’à l’ouverture du cratè re en question, et il a consigné le fait dans son document. Pouvait-il imaginer une indication plus exacte, et une fois arrivé s au sommet du Sneffels, nous sera-t-il possible d’hé siter sur le chemin à prendre?»

 

Dé cidé ment mon oncle avait ré ponse à tout. Je vis bien qu’il é tait inattaquable sur les mots du vieux parchemin. Je cessai donc de le presser à ce sujet, et, comme il fallait le convaincre avant tout, je passais aux objections scientifiques, bien autrement graves, à mon avis.

 

«Allons, dis-je, je suis forcé d’en convenir, la phrase de Saknussemm est claire et ne peut laisser aucun doute à l’esprit. J’accorde mê me que le document a un air de parfaite authenticité. Ce savant est allé au fond du Sneffels; il a vu l’ombre du Scartaris caresser les bords du cratè re avant les calendes de juillet; il a mê me entendu raconter dans les ré cits lé gendaires de son temps que ce cratè re aboutissait au centre de la terre; mais quant à y ê tre parvenu lui-mê me, quant à avoir fait le voyage et à en ê tre revenu, s’il l’a entrepris, non, cent fois non!

 

– Et la raison? dit mon oncle d’un ton singuliè rement moqueur.

 

– C’est que toutes les thé ories de la science dé montrent qu’une pareille entreprise est impraticable!

 

– Toutes les thé ories disent cela? ré pondit le professeur on prenant un air bonhomme. Ah! les vilaines thé ories! comme elles vont nous gê ner, ces pauvres thé ories!»

 

Je vis qu’il se moquait de moi, mais je continuai né anmoins:

 

«Oui! il est parfaitement reconnu que la chaleur augmente environ d’un degré par soixante-dix pieds de profondeur au-dessous de la surface du globe; or, en admettant cette proportionnalité constante, le rayon terrestre é tant de quinze cents lieues, il existe au centre une tempé rature de deux millions de degré s. Les matiè res de l’inté rieur de la terre se trouvent donc à l’é tat de gaz incandescent, car les mé taux, l’or, le platine, les roches les plus dures, ne ré sistent pas à une pareille chaleur. J’ai donc le droit de demander s’il est possible de pé né trer dans un semblable milieu!

 

– Ainsi, Axel, c’est la chaleur qui t’embarrasse?

 

– Sans doute. Si nous arrivions à une profondeur de dix lieues seulement, nous serions parvenus à la limite de l’é corce terrestre, car dé jà la tempé rature est supé rieure à treize cents degré s.

 

– Et tu as peur d’entrer en fusion?

 

– Je vous laisse la question à dé cider, ré pondis-je avec humeur.

 

– Voici ce que je dé cide, ré pondit le professeur Lidenbrock en prenant ses grands airs; c’est que ni toi ni personne ne sait d’une faç on certaine ce qui se passe à l’inté rieur du globe, attendu qu’on connaî t à peine la douze milliè me partie de son rayon; c’est que la science est é minemment perfectible et que chaque thé orie est incessamment dé truite par une thé orie nouvelle. N’a-t-on pas cru jusqu’à Fourier que la tempé rature des espaces plané taires allait toujours diminuant, et ne sait-on pas aujourd’hui que les plus grands froids des ré gions é thé ré es ne dé passent pas quarante ou cinquante degré s au-dessous de zé ro? Pourquoi n’en serait-il pas ainsi de la chaleur interne? Pourquoi, à une certaine profondeur, n’atteindrait-elle pas une limite infranchissable, au lieu de s’é lever jusqu’au degré de fusion des miné raux les plus ré fractaires?»

 

Mon oncle plaç ant la question sur le terrain des hypothè ses, je n’eus rien à ré pondre.

 

«Eh bien, je te dirai que de vé ritables savants, Poisson entre autres, ont prouvé que, si une chaleur de deux millions de degré s existait à l’inté rieur du globe, les gaz incandescents provenant des matiè res fondues acquerraient une é lasticité telle que l’é corce terrestre ne pourrait y ré sister et é claterait comme les parois d’une chaudiè re sous l’effort de la vapeur.

 

– C’est l’avis de Poisson, mon oncle, voilà tout.

 

– D’accord, mais c’est aussi l’avis d’autres gé ologues distingué s, que l’inté rieur du globe n’est formé ni de gaz ni d’eau, ni des plus lourdes pierres que nous connaissions, car, dans ce cas, la terre aurait un poids deux fois moindre.

 

– Oh! avec les chiffres on prouve tout ce qu’on veut!

 

– Et avec les faits, mon garç on, en est-il de mê me? N’est-il pas constant que le nombre des volcans a considé rablement diminué depuis les premiers jours du monde, et, si chaleur centrale il y a, ne peut-on en conclure qu’elle tend à s’affaiblir?

 

– Mon oncle, si vous entrez dans le champ des suppositions, je n’ai plus à discuter.

 

– Et moi j’ai à dire qu’à mon opinion se joignent les opinions de gens fort compé tents. Te souviens-tu d’une visite que me fit le cé lè bre chimiste anglais Humphry Davy en 1825?

 

– Aucunement, car je ne suis venu au monde que dix-neuf ans aprè s.

 

– Eh bien, Humphry Davy vint me voir à son passage à Hambourg. Nous discutâ mes longtemps, entre autres questions, l’hypothè se de la liquidité du noyau inté rieur de la terre. Nous é tions tous deux d’accord que cette liquidité ne pouvait exister, par une raison à laquelle la science n’a jamais trouvé de ré ponse.

 

– Et laquelle? dis-je un peu é tonné.

 

– C’est que cette masse liquide serait sujette comme l’Océ an, à l’attraction de la lune, et consé quemment, deux fois par jour, il se produirait des maré es inté rieures qui, soulevant l’é corce terrestre, donneraient lieu à des tremblements de terre pé riodiques!

 

– Mais il est pourtant é vident que la surface du globe a é té soumise à la combustion, et il est permis de supposer que la croû te exté rieure s’est refroidie d’abord, tandis que la chaleur se ré fugiait au centre.

 

– Erreur, ré pondit mon oncle; la terre a é té é chauffé e par la combustion de sa surface, et non autrement. Sa surface é tait composé e d’une grande quantité de mé taux, tels que le potassium, le sodium, qui ont la proprié té de s’enflammer au seul contact de l’air et de l’eau; ces mé taux prirent feu quand les vapeurs atmosphé riques se pré cipitè rent en pluie sur le sol, et peu à peu, lorsque les eaux pé né trè rent dans les fissures de l’é corce terrestre, elles dé terminè rent de nouveaux incendies avec explosions et é ruptions. De là les volcans si nombreux aux premiers jours du monde.

 

– Mais voilà une ingé nieuse hypothè se! m’é criai-je un peu malgré moi.

 

– Et qu’Humphry Davy me rendit sensible, ici mê me, par une expé rience bien simple. Il composa une boule mé tallique faite principalement des mé taux dont je viens de parler, et qui figurait parfaitement notre globe; lorsqu’on faisait tomber une fine rosé e à sa surface, celle-ci se boursouflait, s’oxydait et formait une petite montagne; un cratè re s’ouvrait à son sommet; l’é ruption avait lieu et communiquait à toute la boule une chaleur telle qu’il devenait impossible de la tenir à la main.»

 

Vraiment, je commenç ais à ê tre é branlé par les arguments du professeur; il les faisait valoir d’ailleurs avec sa passion et son enthousiasme habituels.

 

«Tu le vois, Axel, ajouta-t-il, l’é tat du noyau central a soulevé des hypothè ses diverses entre les gé ologues; rien de moins prouvé que ce fait d’une chaleur interne; suivant moi, elle n’existe pas; elle ne saurait exister; nous le verrons, d’ailleurs, et, comme Arne Saknussemm, nous saurons à quoi nous en tenir sur cette grande question.

 

– Eh bien! oui, ré pondis-je en me sentant gagner à cet enthousiasme; oui, nous le verrons, si on y voit toutefois.

 

– Et pourquoi pas? Ne pouvons-nous compter sur des phé nomè nes é lectriques pour nous é clairer, et mê me sur l’atmosphè re, que sa pression peut rendre lumineuse en s’approchant du centre?

 

– Oui, dis-je, oui! cela est possible, aprè s tout.

 

– Cela est certain, ré pondit triomphalement mon oncle; mais silence, entends-tu! silence sur tout ceci, et que personne n’ait idé e de dé couvrir avant nous le centre de la terre.»

 

VII

Ainsi se termina cette mé morable sé ance. Cet entretien me donna la fiè vre. Je sortis du cabinet de mon oncle comme é tourdi, et il n’y avait pas assez d’air dans les rues de Hambourg pour me remettre. Je gagnai donc les bords de l’Elbe, du cô té du bac à vapeur qui met la ville en communication avec le chemin de fer de Hambourg.

 

É tais-je convaincu de ce que je venais d’apprendre? N’avais-je pas subi la domination du professeur Lidenbrock? Devais-je prendre au sé rieux sa ré solution d’aller au centre du massif terrestre? Venais-je d’entendre les spé culations insensé es d’un fou ou les dé ductions scientifiques d’un grand gé nie? En tout cela, où s’arrê tait la vé rité, où commenç ait l’erreur?

 

Je flottais entre mille hypothè ses contradictoires, sans pouvoir m’accrocher à aucune.

 

Cependant je me rappelais avoir é té convaincu, quoique mon enthousiasme commenç â t à se modé rer; mais j’aurais voulu partir immé diatement et ne pas prendre le temps de la ré flexion. Oui, le courage ne m’eû t pas manqué pour boucler ma valise en ce moment.

 

Il faut pourtant l’avouer, une heure aprè s, cette surexcitation tomba; mes nerfs se dé tendirent, et des profonds abî mes de la terre je remontai à sa surface.

 

«C’est absurde! m’é criai-je; cela n’a pas le sens commun! Ce n’est pas une proposition sé rieuse à faire à un garç on sensé. Rien de tout cela n’existe. J’ai mal dormi, j’ai fait un mauvais rê ve.»

 

Cependant j’avais suivi les bords de l’Elbe et tourné la ville. Aprè s avoir remonté le port, j’é tais arrivé à la route d’Altona. Un pressentiment me conduisait, pressentiment justifié, car j’aperç us bientô t ma petite Graü ben qui, de son pied leste, revenait bravement à Hambourg.

 

«Graü ben!» lui criai-je de loin.

 

La jeune fille s’arrê ta, un peu troublé e, j’imagine, de s’entendre appeler ainsi sur une grande route. En dix pas je fus prè s d’elle.

 

«Axel! fit-elle surprise. Ah! tu es venu à ma rencontre! C’est bien cela, monsieur.»

 

Mais, en me regardant, Graü ben ne put se mé prendre à mon air inquiet, bouleversé.

 

«Qu’as-tu donc? dit-elle en me tendant la main.

 

– Ce que j’ai, Graü ben!» m’é criai-je.

 

En deux secondes et en trois phrases ma jolie Virlandaise é tait au courant de la situation. Pendant quelques instants elle garda le silence. Son cœ ur palpitait-il à l’é gal du mien? Je l’ignore, mais sa main ne tremblait pas dans la mienne. Nous fî mes une centaine de pas sans parler.

 

«Axel! me dit-elle enfin.

 

– Ma chè re Graü ben!

 

– Ce sera là un beau voyage.»

 

Je bondis à ces mots.

 

«Oui, Axel, un voyage digne du neveu d’un savant. Il est bien qu’un homme se soit distingué par quelque grande entreprise!

 

– Quoi! Graü ben, tu ne me dé tournes pas de tenter une pareille expé dition?

 

– Non, cher Axel, et ton oncle et toi, je vous accompagnerais volontiers, si une pauvre fille ne devait ê tre un embarras pour vous.

 

– Dis-tu vrai?

 

– Je dis vrai.»

 

Ah! femmes, jeunes filles, cœ urs fé minins toujours incompré hensibles! Quand vous n’ê tes pas les plus timides des ê tres, vous en ê tes les plus braves! La raison n’a que faire auprè s de vous. Quoi! cette enfant m’encourageait à prendre part à cette expé dition! Elle n’eû t pas craint de tenter l’aventure. Elle m’y poussait, moi qu’elle aimait cependant!

 

J’é tais dé concerté et, pourquoi ne pas le dire, honteux.

 

«Graü ben, repris-je, nous verrons si demain tu parleras de cette maniè re.

 

– Demain, cher Axel, je parlerai comme aujourd’hui.»

 

Graü ben et moi, nous tenant par la main, mais gardant un profond silence, nous continuâ mes notre chemin, j’é tais brisé par les é motions de la journé e.

 

«Aprè s tout, pensai-je, les calendes de juillet sont encore loin et, d’ici là, bien des é vé nements se passeront qui gué riront mon oncle de sa manie de voyager sous terre.»

 

La nuit é tait venue quand nous arrivâ mes à la maison de Kö nigstrasse. Je m’attendais à trouver la demeure tranquille, mon oncle couché suivant son habitude et la bonne Marthe donnant à la salle à manger le dernier coup de plumeau du soir.

 

Mais j’avais compté sans l’impatience du professeur. Je le trouvai criant, s’agitant au milieu d’une troupe de porteurs qui dé chargeaient certaines marchandises dans l’allé e; la vieille servante ne savait où donner de la tê te.

 

«Mais viens donc, Axel; hâ te-toi donc, malheureux! s’é cria mon oncle du plus loin qu’il m’aperç ut, et ta malle qui n’est pas faite, et mes papiers qui ne sont pas en ordre, et mon sac de voyage dont je ne trouve pas la clef, et mes guê tres qui n’arrivent pas!»

 

Je demeurai stupé fait. La voix me manquait pour parler. C’est à peine si mes lè vres purent articuler ces mots:

 

«Nous partons donc?

 

– Oui, malheureux garç on, qui vas te promener au lieu d’ê tre là!

 

– Nous partons? ré pé tai-je d’une voix affaiblie.

 

– Oui, aprè s-demain matin, à la premiè re heure.»

 

Je ne pus en entendre davantage, et je m’enfuis dans ma petite chambre.

 

Il n’y avait plus à en douter; mon oncle venait d’employer son aprè s-midi à se procurer une partie des objets et ustensiles né cessaires à son voyage; l’allé e é tait encombré e d’é chelles de cordes, de cordes à nœ uds, de torches, de gourdes, de crampons de fer, de pics, de bâ tons ferré s, de pioches, de quoi charger dix hommes au moins.

 

Je passai une nuit affreuse. Le lendemain je m’entendis appeler de bonne heure. J’é tais dé cidé à ne pas ouvrir ma porte. Mais le moyen de ré sister à la douce voix qui prononç ait ces mots: «Mon cher Axel?»

 

Je sortis de ma chambre. Je pensai que mon air dé fait, ma pâ leur, mes yeux rougis par l’insomnie allaient produire leur effet sur Graü ben et changer ses idé es.

 

«Ah! mon cher Axel, me dit-elle, je vois que tu te portes mieux et que la nuit t’a calmé.

 

– Calmé!» m’é criai-je.

 

Je me pré cipitai vers mon miroir. Eh bien, j’avais moins mauvaise mine que je ne le supposais. C’é tait à n’y pas croire.

 

«Axel, me dit Graü ben, j’ai longtemps causé avec mon tuteur. C’est un hardi savant, un homme de grand courage, et tu te souviendras que son sang coule dans tes veines. Il m’a raconté ses projets, ses espé rances, pourquoi et comment il espè re atteindre son but. Il y parviendra, je n’en doute pas. Ah! cher Axel, c’est beau de se dé vouer ainsi à la science! Quelle gloire attend M. Lidenbrock et rejaillira sur son compagnon! Au retour, Axel, tu seras un homme, son é gal, libre de parler, libre d’agir, libre enfin de…»

 

La jeune fille, rougissante, n’acheva pas. Ses paroles me ranimaient. Cependant je ne voulais pas croire encore à notre dé part. J’entraî nai Graü ben vers le cabinet du professeur.

 

«Mon oncle, dis-je, il est donc bien dé cidé que nous partons?

 

– Comment! tu en doutes?

 

– Non, dis-je afin de ne pas le contrarier. Seulement, je vous demanderai ce qui nous presse.

 

– Mais le temps! le temps qui fuit avec une irré parable vitesse!

 

– Cependant nous ne sommes qu’au 26 mai, et jusqu’à la fin de juin…

 

– Eh! crois-tu donc, ignorant, qu’on se rende si facilement en Islande? Si tu ne m’avais pas quitté comme un fou, je t’aurais emmené au Bureau-office de Copenhague, chez Liffender et Co. Là, tu aurais vu que de Copenhague à Reykjawik il n’y a qu’un service.

 

– Eh bien?

 

– Eh bien! si nous attendions au 22 juin, nous arriverions trop tard pour voir l’ombre du Scartaris caresser le cratè re du Sneffels! Il faut donc gagner Copenhague au plus vite pour y chercher un moyen de transport. Va faire ta malle!»

 

Il n’y avait pas un mot à ré pondre. Je remontai dans ma chambre. Graü ben me suivit. Ce fut elle qui se chargea de mettre en ordre, dans une petite valise, les objets né cessaires à mon voyage. Elle n’é tait pas plus é mue que s’il se fû t agi d’une promenade à Lubeck ou à Heligoland. Ses petites mains allaient et venaient sans pré cipitation. Elle causait avec calme. Elle me donnait les raisons les plus sensé es en faveur de notre expé dition. Elle m’enchantait, et je me sentais une grosse colè re contre elle. Quelquefois je voulais m’emporter, mais elle n’y prenait garde et continuait mé thodiquement sa tranquille besogne.

 

Enfin la derniè re courroie de la valise fut bouclé e. Je descendis au rez-de-chaussé e.

 

Pendant cette journé e les fournisseurs d’instruments de physique, d’armes, d’appareils é lectriques s’é taient multiplié s. La bonne Marthe en perdait la tê te.

 

«Est-ce que monsieur est fou?» me dit-elle.

 

Je fis un signe affirmatif.

 

«Et il vous emmè ne avec lui?»

 

Mê me affirmation.

 

«Où cela?» dit-elle.

 

J’indiquai du doigt le centre de la terre.

 

«À la cave? s’é cria la vieille servante.

 

– Non, dis-je enfin, plus bas!»

 

Le soir arriva. Je n’avais plus conscience du temps é coulé.

 

«À demain matin, dit mon oncle, nous partons à six heures pré cises.»

 

À dix heures je tombai sur mon lit comme une masse inerte.

 

Pendant la nuit mes terreurs me reprirent.

 

Je la passai à rê ver de gouffres! J’é tais en proie au dé lire. Je me sentais é treint par la main vigoureuse du professeur, entraî né, abî mé, enlisé! Je tombais au fond d’insondables pré cipices avec cette vitesse croissante des corps abandonné s dans l’espace. Ma vie n’é tait plus qu’une chute interminable.

 

Je me ré veillai à cinq heures, brisé de fatigue et d’é motion. Je descendis à la salle à manger. Mon oncle é tait à table. Il dé vorait. Je le regardai avec un sentiment d’horreur. Mais Graü ben é tait là. Je ne dis rien. Je ne pus manger.

 

À cinq heures et demie, un roulement se fit entendre dans la rue. Une large voiture arrivait pour nous conduire au chemin de fer d’Altona. Elle fut bientô t encombré e des colis de mon oncle.

 

«Et ta malle? me dit-il.

 

– Elle est prê te, ré pondis-je en dé faillant.

 

– Dé pê che-toi donc de la descendre, ou tu vas nous faire manquer le train!»

 

Lutter contre ma destiné e me parut alors impossible. Je remontai dans ma chambre, et, laissant glisser ma valise sur les marches de l’escalier, je m’é lanç ai à sa suite.

 

En ce moment mon oncle remettait solennellement entre les mains de Graü ben «les rê nes» de sa maison. Ma jolie Virlandaise conservait son calme habituel. Elle embrassa son tuteur, mais elle ne put retenir une larme en effleurant ma joue de ses douces lè vres.

 

«Graü ben! m’é criai-je.

 

– Va, mon cher Axel, va, me dit-elle, tu quittes ta fiancé e, mais tu trouveras ta femme au retour.»

 

Je serrai Graü ben dans mes bras, et pris place dans la voiture. Marthe et la jeune fille, du seuil de la porte, nous adressè rent un dernier adieu; puis les deux chevaux, excité s par le sifflement de leur conducteur, s’é lancè rent au galop sur la route d’Altona.

 

VIII

Altona, vé ritable banlieue de Hambourg, est tê te de ligne du chemin de fer de Kiel qui devait nous conduire au rivage des Belt. En moins de vingt minutes, nous entrions sur le territoire du Holstein.

 

À six heures et demie la voiture s’arrê ta devant la gare; les nombreux colis de mon oncle, ses volumineux articles de voyage furent dé chargé s, transporté s, pesé s, é tiqueté s, rechargé s dans le wagon de bagages, et à sept heures nous é tions assis l’un vis-à -vis de l’autre dans le mê me compartiment. La vapeur siffla, la locomotive se mit en mouvement. Nous é tions partis.


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