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Voyage au centre de la terre 5 ñòðàíèöà






 

La conversation se fit en langue indigè ne, que mon oncle entremê lait d’allemand et M. Fridriksson de latin, afin que je pusse la comprendre. Elle roula sur des questions scientifiques, comme il convient à des savants; mais le professeur Lidenbrock se tint sur la plus excessive ré serve, et ses yeux me recommandaient, à chaque phrase, un silence absolu touchant nos projets à venir.

 

Tout d’abord, M. Fridriksson s’enquit auprè s de mon oncle du ré sultat de ses recherches à la bibliothè que.

 

«Votre bibliothè que! s´ é cria ce dernier, elle ne se compose que de livres dé pareillé s sur des rayons presque dé serts.

 

– Comment! ré pondit M. Fridriksson, nous possé dons huit mille volumes dont beaucoup sont pré cieux et rares, des ouvrages en vieille langue scandinave, et toutes les nouveauté s dont Copenhague nous approvisionne chaque anné e.

 

– Où prenez-vous ces huit mille volumes? Pour mon compte…

 

– Oh! monsieur Lidenbrock, ils courent le pays; on a le goû t de l’é tude dans notre vieille î le de glace! Pas un fermier, pas un pê cheur qui ne sache lire et qui ne lise. Nous pensons que des livres, au lieu de moisir derriè re une grille de fer, loin des regards curieux, sont destiné s à s’user sous les yeux des lecteurs. Aussi ces volumes passent-ils de main en main, feuilleté s, lus et relus, et souvent ils ne reviennent à leur rayon qu’aprè s un an ou deux d’absence.

 

– En attendant, ré pondit mon oncle avec un certain dé pit, les é trangers…

 

– Que voulez-vous! les é trangers ont chez eux leurs bibliothè ques, et, avant tout, il faut que nos paysans s’instruisent. Je vous le ré pè te, l’amour de l’é tude est dans le sang islandais. Aussi, en 1816, nous avons fondé une Socié té litté raire qui va bien; des savants é trangers s’honorent d’en faire partie; elle publie des livres destiné s à l’é ducation de nos compatriotes et rend de vé ritables services au pays. Si vous voulez ê tre un de nos membres correspondants, monsieur Lidenbrock, vous nous ferez le plus grand plaisir.»

 

Mon oncle, qui appartenait dé jà à une centaine de socié té s scientifiques, accepta avec une bonne grâ ce dont fut touché M. Fridriksson.

 

«Maintenant, reprit celui-ci, veuillez m’indiquer les livres que vous espé riez trouver à notre bibliothè que, et je pourrai peut-ê tre vous renseigner à leur é gard.»

 

Je regardai mon oncle. Il hé sita à ré pondre. Cela touchait directement à ses projets. Cependant, aprè s avoir ré flé chi, il se dé cida à parler.

 

«Monsieur Fridriksson, dit-il, je voulais savoir si, parmi les ouvrages anciens, vous possé diez ceux d’Arne Saknussemm?

 

– Arne Saknussemm! ré pondit le professeur de Reykjawik; vous voulez parler de ce savant du seiziè me siè cle, à la fois grand naturaliste, grand alchimiste et grand voyageur?

 

– Pré cisé ment.

 

– Une des gloires de la litté rature et de la science islandaises?

 

– Comme vous dites.

 

– Un homme illustre entre tous?

 

– Je vous l’accorde.

 

– Et dont l’audace é galait le gé nie?

 

– Je vois que vous le connaissez bien.»

 

Mon oncle nageait dans la joie à entendre parler ainsi de son hé ros. Il dé vorait des yeux M. Fridriksson.

 

«Eh bien! demanda-t-il, ses ouvrages?

 

– Ah! ses ouvrages, nous ne les avons pas!

 

– Quoi! en Islande?

 

– Ils n’existent ni en Islande ni ailleurs.

 

– Et pourquoi?

 

– Parce que Arne Saknussemm fut persé cuté pour cause d’hé ré sie, et qu’en 1573 ses ouvrages furent brû lé s à Copenhague par la main du bourreau.

 

– Trè s bien! Parfait! s’é cria mon oncle, au grand scandale du professeur de sciences naturelles.

 

– Hein? fit ce dernier.

 

– Oui! tout s’explique, tout s’enchaî ne, tout est clair, et je comprends pourquoi Saknussemm, mis à l’index et forcé de cacher les dé couvertes de son gé nie, a dû enfouir dans un incompré hensible cryptogramme le secret…

 

– Quel secret? demanda vivement M. Fridriksson.

 

– Un secret qui… dont…, ré pondit mon oncle en balbutiant.

 

– Est-ce que vous auriez quelque document particulier? reprit notre hô te.

 

– Non. Je faisais une pure supposition.

 

– Bien, ré pondit M. Fridriksson, qui eut la bonté de ne pas insister en voyant le trouble de son interlocuteur. J’espè re, ajouta-t-il, que vous ne quitterez pas notre î le sans avoir puisé à ses richesses miné ralogiques?

 

– Certes, ré pondit mon oncle; mais j’arrive un peu tard; des savants ont dé jà passé par ici?

 

– Oui, monsieur Lidenbrock; les travaux de MM. Olafsen et Povelsen exé cuté s par ordre du roi, les é tudes de Troï l, la mission scientifique de MM. Gaimard et Robert, à bord de la corvette franç aise La Recherche [2], et derniè rement, les observations des savants embarqué s sur la fré gate L a Reine-Hortense ont puissamment contribué à la reconnaissance de l’Islande. Mais, croyez-moi, il y a encore à faire.

 

– Vous pensez? demanda mon oncle d’un air bonhomme, en essayant de modé rer l’é clair de ses yeux.

 

– Oui. Que de montagnes, de glaciers, de volcans à é tudier, qui sont peu connus! Et tenez, sans aller plus loin, voyez ce mont qui s’é lè ve à l’horizon. C’est le Sneffels.

 

– Ah! fit mon oncle, le Sneffels.

 

– Oui, l’un des volcans les plus curieux et dont on visite rarement le cratè re.

 

– É teint?

 

– Oh! é teint depuis cinq cents ans.

 

– Eh bien! ré pondit mon oncle, qui se croisait fré né tiquement les jambes pour ne pas sauter en l’air, j’ai envie de commencer mes é tudes gé ologiques par ce Seffel… Fessel… comment dites-vous?

 

– Sneffels, reprit l’excellent M. Fridriksson.»

 

Cette partie de la conversation avait eu lieu en latin; j’avais tout compris, et je gardais à peine mon sé rieux à voir mon oncle contenir sa satisfaction qui dé bordait de toutes parts; il prenait un petit air innocent qui ressemblait à la grimace d’un vieux diable.

 

«Oui, fit-il, vos paroles me dé cident; nous essayerons de gravir ce Sneffels, peut-ê tre mê me d’é tudier son cratè re!

 

– Je regrette bien, ré pondit M. Fridriksson, que mes occupations ne me permettent pas de m’absenter; je vous aurais accompagné avec plaisir et profit.

 

– Oh! non, oh! non, ré pondit vivement mon oncle; nous ne voulons dé ranger personne, monsieur Fridriksson; je vous remercie de tout mon cœ ur. La pré sence d’un savant tel que vous eû t é té trè s utile, mais les devoirs de votre profession…»

 

J’aime à penser que notre hô te, dans l’innocence de son â me islandaise, ne comprit pas les grosses malices de mon oncle.

 

«Je vous approuve fort, monsieur Lidenbrock, dit-il, de commencer par ce volcan; vous ferez là une ample moisson d’observations curieuses. Mais, dites-moi, comment comptez-vous gagner la presqu’î le de Sneffels!

 

– Par mer, en traversant la baie. C’est la route la plus rapide.

 

– Sans doute; mais elle est impossible à prendre.

 

– Pourquoi?

 

– Parce que nous n’avons pas un seul canot à Reykjawik.

 

– Diable!

 

– Il faudra aller par terre, en suivant la cô te. Ce sera plus long, mais plus inté ressant.

 

– Bon. Je verrai à me procurer un guide.

 

– J’en ai pré cisé ment un à vous offrir.

 

– Un homme sû r, intelligent?

 

– Oui, un habitant de la presqu’î le. C’est un chasseur d’eider, fort habile, et dont vous serez content. Il parle parfaitement le danois.

 

– Et quand pourrai-je le voir?

 

– Demain, si cela vous plaî t.

 

– Pourquoi pas aujourd’hui?

 

– C’est qu’il n’arrive que demain.

 

– À demain donc», ré pondit mon oncle avec un soupir.

 

Cette importante conversation se termina quelques instants plus tard par de chaleureux remerciements du professeur allemand au professeur islandais. Pendant ce dî ner, mon oncle venait d’apprendre des choses importantes, entre autres l’histoire de Saknussemm, la raison de son document mysté rieux, comme quoi son hô te ne l’accompagnerait pas dans son expé dition, et que dè s le lendemain un guide serait à ses ordres.

 

XI

Le soir, je fis une courte promenade sur les rivages de Reykjawik, et je revins de bonne heure me coucher dans mon lit de grosses planches, où je dormis d’un profond sommeil.

 

Quand je me ré veillai, j’entendis mon oncle parler abondamment dans la salle voisine. Je me levai aussitô t et je me hâ tai d’aller le rejoindre.

 

Il causait en danois avec un homme de haute taille, vigoureusement dé couplé. Ce grand gaillard devait ê tre d’une force peu commune. Ses yeux, percé s dans une tê te trè s grosse et assez naï ve, me parurent intelligents. Ils é taient d’un bleu rê veur. De longs cheveux, qui eussent passé pour roux, mê me en Angleterre, tombaient sur ses athlé tiques é paules. Cet indigè ne avait les mouvements souples, mais il remuait peu les bras, en homme qui ignorait ou dé daignait la langue des gestes. Tout en lui ré vé lait un tempé rament d’un calme parfait, non pas indolent, mais tranquille. On sentait qu’il ne demandait rien à personne, qu’il travaillait à sa convenance, et que, dans ce monde, sa philosophie ne pouvait ê tre ni é tonné e ni troublé e.

 

Je surpris les nuances de ce caractè re, à la maniè re dont l’Islandais é couta le verbiage passionné de son interlocuteur. Il demeurait les bras croisé s, immobile au milieu des gestes multiplié s de mon oncle; pour nier, sa tê te tournait de gauche à droite; elle s’inclinait pour affirmer, et cela si peu, que ses longs cheveux bougeaient à peine; c’é tait l’é conomie du mouvement poussé e jusqu’à l’avarice.

 

Certes, à voir cet homme, je n’aurais jamais deviné sa profession de chasseur; celui-là ne devait pas effrayer le gibier, à coup sû r, mais comment pouvait-il l’atteindre?

 

Tout s’expliqua quand M. Fridriksson m’apprit que ce tranquille personnage n’é tait qu’un «chasseur d’eider», oiseau dont le duvet constitue la plus grande richesse de l’î le. En effet, ce duvet s’appelle l’é dredon, et il ne faut pas une grande dé pense de mouvement pour le recueillir.

 

Aux premiers jours de l’é té, la femelle de l’eider, sorte de joli canard, va bâ tir son nid parmi les rochers des fjö rds[3] dont la cô te est toute frangé e; ce nid bâ ti, elle le tapisse avec de fines plumes qu’elle s’arrache du ventre. Aussitô t le chasseur, ou mieux le né gociant, arrive, prend le nid, et la femelle de recommencer son travail; cela dure ainsi tant qu’il lui reste quelque duvet. Quand elle s’est entiè rement dé pouillé e, c’est au mâ le de se dé plumer à son tour. Seulement, comme la dé pouille dure et grossiè re de ce dernier n’a aucune valeur commerciale, le chasseur ne prend pas la peine de lui voler le lit de sa couvé e; le nid s’achè ve donc; la femelle pond ses œ ufs; les petits é closent, et, l’anné e suivante, la ré colte de l’é dredon recommence.

 

Or, comme l’eider ne choisit pas les rocs escarpé s pour y bâ tir son nid, mais plutô t des roches faciles et horizontales qui vont se perdre en mer, le chasseur islandais pouvait exercer son mé tier sans grande agitation. C’é tait un fermier qui n’avait ni à semer ni à couper sa moisson, mais à la ré colter seulement.

 

Ce personnage grave, flegmatique et silencieux, se nommait Hans Bjelke; il venait à la recommandation de M. Fridriksson. C’é tait notre futur guide. Ses maniè res contrastaient singuliè rement avec celles de mon oncle.

 

Cependant ils s’entendirent facilement. Ni l’un ni l’autre ne regardaient au prix; l’un prê t à accepter ce qu’on lui offrait, l’autre prê t à donner ce qui lui serait demandé. Jamais marché ne fut plus facile à conclure.

 

Or, des conventions il ré sulta que Hans s’engageait à nous conduire au village de Stapi, situé sur la cô te mé ridionale de la presqu’î le du Sneffels, au pied mê me du volcan. Il fallait compter par terre vingt-deux milles environ, voyage à faire en deux jours, suivant l’opinion de mon oncle.

 

Mais quand il apprit qu’il s’agissait de milles danois de vingt-quatre mille pieds, il dut rabattre de son calcul et compter, vu l’insuffisance des chemins, sur sept ou huit jours de marche.

 

Quatre chevaux devaient ê tre mis à sa disposition, deux pour le porter, lui et moi, deux autres destiné s à nos bagages. Hans, suivant son habitude, irait à pied. Il connaissait parfaitement cette partie de la cô te, et il promit de prendre par le plus court.

 

Son engagement avec mon oncle n’expirait pas à notre arrivé e à Stapi; il demeurait à son service pendant tout le temps né cessaire à nos excursions scientifiques au prix de trois rixdales par semaine. [4] Seulement, il fut expressé ment convenu que cette somme serait compté e au guide chaque samedi soir, condition sine qua non de son engagement.

 

Le dé part fut fixé au 16 juin. Mon oncle voulut remettre au chasseur les arrhes du marché, mais celui-ci refusa d’un seul mot.

 

«Efter, fit-il.

 

– Aprè s», me dit le professeur pour mon é dification.

 

Hans, le traité conclu, se retira tout d’une piè ce.

 

«Un fameux homme, s’é cria mon oncle, mais il ne s’attend guè re au merveilleux rô le que l’avenir lui ré serve de jouer.

 

– Il nous accompagne donc jusqu’au…

 

– Oui, Axel, jusqu’au centre de la terre.»

 

Quarante-huit heures restaient encore à passer; à mon grand regret, je dus les employer à nos pré paratifs; toute notre intelligence fut employé e à disposer chaque objet de la faç on la plus avantageuse, les instruments d’un cô té, les armes d’un autre, les outils dans ce paquet, les vivres dans celui-là. En tout quatre groupes.

 

Les instruments comprenaient:

 

1° Un thermomè tre centigrade de Eigel, gradué jusqu’à cent cinquante degré s, ce qui me paraissait trop ou pas assez. Trop, si la chaleur ambiante devait monter là, auquel cas nous aurions cuit. Pas assez, s’il s’agissait de mesurer la tempé rature de sources ou toute autre matiè re en fusion;

 

2° Un manomè tre à air comprimé, disposé de maniè re à indiquer des pressions supé rieures à celles de l’atmosphè re au niveau de l’Océ an. En effet, le baromè tre ordinaire n’eû t pas suffi, la pression atmosphé rique devant augmenter proportionnellement à notre descente au-dessous de la surface de la terre;

 

3° Un chronomè tre de Boissonnas jeune de Genè ve, parfaitement ré glé au mé ridien de Hambourg;

 

4° Deux boussoles d’inclinaison et de dé clinaison;

 

5° Une lunette de nuit;

 

6° Deux appareils de Ruhmkorff, qui, au moyen d’un courant é lectrique, donnaient une lumiè re trè s portative, sû re et peu encombrante.[5]

 

Les armes consistaient en deux carabines de Purdley More et Co, et de deux revolvers Colt. Pourquoi des armes? Nous n’avions ni sauvages ni bê tes fé roces à redouter, je suppose. Mais mon oncle paraissait tenir à son arsenal comme à ses instruments, surtout à une notable quantité de fulmicoton inalté rable à l’humidité, et dont la force expansive est fort supé rieure à celle de la poudre ordinaire.

 

Les outils comprenaient deux pics, deux pioches, une é chelle de soie, trois bâ tons ferré s, une hache, un marteau, une douzaine de coins et pitons de fer, et de longues cordes à nœ uds. Cela ne laissait pas de faire un fort colis, car l’é chelle mesurait trois cents pieds de longueur.

 

Enfin, il y avait les provisions; le paquet n’é tait pas gros, mais rassurant, car je savais qu’en viande concentré e et en biscuits secs il contenait pour six mois de vivres. Le geniè vre en formait toute la partie liquide, et l’eau manquait totalement; mais nous avions des gourdes, et mon oncle comptait sur les sources pour les remplir; les objections que j’avais pu faire sur leur qualité, leur tempé rature, et mê me leur absence, é taient resté es sans succè s.

 

Pour complé ter la nomenclature exacte de nos articles de voyage, je noterai une pharmacie portative contenant des ciseaux à lames mousses, des attelles pour fracture, une piè ce de ruban en fil é cru, des bandes et compresses, du sparadrap, une palette pour saigné e, toutes choses effrayantes; de plus, une sé rie de flacons contenant de la dextrine, de l’alcool vulné raire, de l’acé tate de plomb liquide, de l’é ther, du vinaigre et de l’ammoniaque, toutes drogues d’un emploi peu rassurant; enfin les matiè res né cessaires aux appareils de Ruhmkorff.

 

Mon oncle n’avait eu garde d’oublier la provision de tabac, de poudre de chasse et d’amadou, non plus qu’une ceinture de cuir qu’il portait autour des reins et où se trouvait une suffisante quantité de monnaie d’or, d’argent et de papier. De bonnes chaussures, rendues impermé ables par un enduit de goudron et de gomme é lastique, se trouvaient au nombre de six paires dans le groupe des outils.

 

«Ainsi vê tus, chaussé s, é quipé s, il n’y a aucune raison pour ne pas aller loin», me dit mon oncle.

 

La journé e du 14 fut employé e tout entiè re à disposer ces diffé rents objets. Le soir, nous dî nâ mes chez le baron Trampe, en compagnie du maire de Reykjawik et du docteur Hyaltalin, le grand mé decin du pays. M. Fridriksson n’é tait pas au nombre des convives; j’appris plus tard que le gouverneur et lui se trouvaient en dé saccord sur une question d’administration et ne se voyaient pas. Je n’eus donc pas l’occasion de comprendre un mot de ce qui se dit pendant ce dî ner semi-officiel. Je remarquai seulement que mon oncle parla tout le temps.

 

Le lendemain 15, les pré paratifs furent achevé s. Notre hô te fit un sensible plaisir au professeur en lui remettant une carte de l’Islande, incomparablement plus parfaite que celle d’Henderson, la carte de M. Olaf Nikolas Olsen, ré duite au 1/480 000, et publié e par la Socié té litté raire islandaise, d’aprè s les travaux gé odé siques de M. Scheel Frisac, et le levé topographique de M. Bjorn Gumlaugsonn. C’é tait un pré cieux document pour un miné ralogiste.

 

La derniè re soiré e se passa dans une intime causerie avec M. Fridriksson, pour lequel je me sentais pris d’une vive sympathie; puis, à la conversation succé da un sommeil assez agité, de ma part du moins.

 

À cinq heures du matin, le hennissement de quatre chevaux qui piaffaient sous ma fenê tre me ré veilla. Je m’habillai à la hâ te et je descendis dans la rue. Là, Hans achevait de charger nos bagages sans se remuer, pour ainsi dire. Cependant il opé rait avec une adresse peu commune. Mon oncle faisait plus de bruit que de besogne, et le guide paraissait se soucier fort peu de ses recommandations.

 

Tout fut terminé à six heures, M, Fridriksson nous serra les mains. Mon oncle le remercia en islandais de sa bienveillante hospitalité, et avec beaucoup de cœ ur. Quant à moi, j’é bauchai dans mon meilleur latin quelque salut cordial; puis nous nous mî mes en selle, et M. Fridriksson me lanç a avec son dernier adieu ce vers que Virgile semblait avoir fait pour nous, voyageurs incertains de la route:

 

Et quacumque viam dederit fortuna sequamur.

XII

Nous é tions partis par un temps couvert, mais fixe. Pas de fatigantes chaleurs à redouter, ni pluies dé sastreuses. Un temps de touristes.

 

Le plaisir de courir à cheval à travers un pays inconnu me rendait de facile composition sur le dé but de l’entreprise. J’é tais tout entier au bonheur de l’excursionniste fait de dé sirs et de liberté. Je commenç ais à prendre mon parti de l’affaire.

 

«D’ailleurs, me disais-je, qu’est-ce que je risque? de voyager au milieu du pays le plus curieux! de gravir une montagne fort remarquable! au pis-aller de descendre au fond d’un cratè re é teint? Il est bien é vident que ce Saknussemm n’a pas fait autre chose. Quant à l’existence d’une galerie qui aboutisse au centre du globe, pure imagination! pure impossibilité! Donc, ce qu’il y a de bon à prendre de cette expé dition, prenons-le, et sans marchander!»

 

Ce raisonnement à peine achevé, nous avions quitté Reykjawik.

 

Hans marchait en tê te, d’un pas rapide, é gal et continu. Les deux chevaux chargé s de nos bagages le suivaient, sans qu’il fû t né cessaire de les diriger. Mon oncle et moi, nous venions ensuite, et vraiment sans faire trop mauvaise figure sur nos bê tes petites, mais vigoureuses.

 

L’Islande est une des grandes î les de l’Europe. Elle mesure quatorze cents milles de surface, et ne compte que soixante mille habitants. Les gé ographes l’ont divisé e en quatre quartiers, et nous avions à traverser presque obliquement celui qui porte le nom de Pays du quart du Sud-Ouest, «Sudvestr Fjordù ngr.»

 

Hans, en laissant Reykjawik, avait immé diatement suivi les bords de la mer. Nous traversions de maigres pâ turages qui se donnaient bien du mal pour ê tre verts; le jaune ré ussissait mieux. Les sommets rugueux des masses trachytiques s’estompaient à l’horizon dans les brumes de l’est; par moments quelques plaques de neige, concentrant la lumiè re diffuse, resplendissaient sur le versant des cimes é loigné es; certains pics, plus hardiment dressé s, trouaient les nuages gris et ré apparaissaient au-dessus des vapeurs mouvantes, semblables à des é cueils é mergé s en plein ciel.

 

Souvent ces chaî nes de rocs arides faisaient une pointe vers la mer et mordaient sur le pâ turage; mais il restait toujours une place suffisante pour passer. Nos chevaux, d’ailleurs, choisissaient d’instinct les endroits propices sans jamais ralentir leur marche. Mon oncle n’avait pas mê me la consolation d’exciter sa monture de la voix ou du fouet; il ne lui é tait pas permis d’ê tre impatient. Je ne pouvais m’empê cher de sourire en le voyant si grand sur son petit cheval, et, comme ses longues jambes rasaient le sol, il ressemblait à un centaure à six pieds.

 

«Bonne bê te! bonne bê te! disait-il. Tu verras, Axel, que pas un animal ne l’emporte en intelligence sur le cheval islandais; neiges, tempê tes, chemins impraticables, rochers, glaciers, rien ne l’arrê te. Il est brave, il est sobre, il est sû r. Jamais un faux pas, jamais une ré action. Qu’il se pré sente quelque riviè re, quelque fjö rd à traverser, et il s’en pré sentera, tu le verras sans hé siter se jeter à l’eau, comme un amphibie, et gagner le bord opposé! Mais ne le brusquons pas, laissons-le agir, et nous ferons, l’un portant l’autre, nos dix lieues par jour.

 

– Nous, sans doute, ré pondis-je, mais le guide?

 

– Oh! il ne m’inquiè te guè re. Ces gens-là, cela marche sans s’en apercevoir; celui-ci se remue si peu qu’il ne doit pas se fatiguer. D’ailleurs, au besoin, je lui cé derai ma monture. Les crampes me prendraient bientô t, si je ne me donnais pas quelque mouvement. Les bras vont bien, mais il faut songer aux jambes.»

 

Cependant nous avancions d’un pas rapide; le pays é tait dé jà à peu prè s dé sert. Ç a et là une ferme isolé e, quelque boë r[6] solitaire, fait de bois, de terre, de morceaux de lave, apparaissait comme un mendiant au bord d’un chemin creux. Ces huttes dé labré es avaient l’air d’implorer la charité des passants, et, pour un peu, on leur eû t fait l’aumô ne. Dans ce pays, les routes, les sentiers mê me manquaient absolument, et la vé gé tation, si lente qu’elle fû t, avait vite fait d’effacer le pas des rares voyageurs.

 

Pourtant cette partie de la province, situé e à deux pas de sa capitale, comptait parmi les portions habité es et cultivé es de l’Islande. Qu’é taient alors les contré es plus dé sertes que ce dé sert? Un demi-mille franchi, nous n’avions encore rencontré ni un fermier sur la porte de sa chaumiè re, ni un berger sauvage paissant un troupeau moins sauvage que lui; seulement quelques vaches et des moutons abandonné s à eux-mê mes. Que seraient donc les ré gions convulsionné es, bouleversé es par les phé nomè nes é ruptifs, né es des explosions volcaniques et des commotions souterraines?

 

Nous é tions destiné s à les connaî tre plus tard; mais, en consultant la carte d’Olsen, je vis qu’on les é vitait en longeant la sinueuse lisiè re du rivage; en effet, le grand mouvement plutonique s’est concentré surtout à l’inté rieur de l’î le; là les couches horizontales de roches superposé es, appelé es trapps en langue scandinave, les bandes trachytiques, les é ruptions de basalte, de tufs et de tous les conglomé rats volcaniques, les coulé es de lave et de porphyre en fusion, ont fait un pays d’une surnaturelle horreur. Je ne me doutais guè re alors du spectacle qui nous attendait à la presqu’î le du Sneffels, où ces dé gâ ts d’une nature fougueuse forment un formidable chaos.


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