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Voyage au centre de la terre 2 ñòðàíèöà






 

Je revis la fidè le compagne de mes travaux et de mes plaisirs. Elle m’aidait à ranger chaque jour les pré cieuses pierres de mon oncle; elle les é tiquetait avec moi. C’é tait une trè s forte miné ralogiste que mademoiselle Graü ben! Elle aimait à approfondir les questions ardues de la science. Que de douces heures nous avions passé es à é tudier ensemble, et combien j’enviai souvent le sort de ces pierres insensibles qu’elle maniait de ses charmantes mains!

 

Puis, l’instant de la ré cré ation venue, nous sortions tous les deux, nous prenions par les allé es touffues de l’Alster, et nous nous rendions de compagnie au vieux moulin goudronné qui fait si bon effet à l’extré mité du lac; chemin faisant, on causait en se tenant par la main. Je lui racontais des choses dont elle riait de son mieux. On arrivait ainsi jusqu’au bord de l’Elbe, et, aprè s avoir dit bonsoir aux cygnes qui nagent parmi les grands né nuphars blancs, nous revenions au quai par la barque à vapeur.

 

Or, j’en é tais là de mon rê ve, quand mon oncle, frappant la table du poing, me ramena violemment à la ré alité.

 

«Voyons, dit-il, la premiè re idé e qui doit se pré senter à l’esprit pour brouiller les lettres d’une phrase, c’est, il me semble, d’é crire les mots verticalement au lieu de les tracer horizontalement.

 

– Tiens! pensai-je.

 

– Il faut voir ce que cela produit. Axel, jette une phrase quelconque sur ce bout de papier; mais, au lieu de disposer les lettres à la suite les unes des autres, mets-les successivement par colonnes verticales, de maniè re à les grouper en nombre de cinq ou six.»

 

Je compris ce dont il s’agissait, et immé diatement j’é crivis de haut en bas:

 

J m n e G e

 

e e, t r n

 

t’b m i a!

 

a i a t ü

 

i e p e b

 

«Bon, dit le professeur, sans avoir lu. Maintenant, dispose ces mots sur une ligne horizontale.»

 

J’obé is, et j’obtins la phrase suivante:

 

JmneGe ee, trn t’bmia! aiatü iepeb

 

«Parfait! fit mon oncle en m’arrachant le papier des mains, voilà qui a dé jà la physionomie du vieux document: les voyelles sont groupé es ainsi que les consonnes dans le mê me dé sordre; il y a mê me des majuscules au milieu des mots, ainsi que des virgules, tout comme dans le parchemin de Saknussemm!»

 

Je ne puis m’empê cher de trouver ces remarques fort ingé nieuses.

 

«Or, reprit mon oncle en s’adressant directement à moi, pour lire la phrase que tu viens d’é crire, et que je ne connais pas, il me suffira de prendre successivement la premiè re lettre de chaque mot, puis la seconde, puis la troisiè me, ainsi de suite.»

 

Et mon oncle, à son grand é tonnement, et surtout au mien, lut:

 

Je t’aime bien, ma petite Graü ben!

 

«Hein!» fit le professeur.

 

Oui, sans m’en douter, en amoureux maladroit, j’avais tracé cette phrase compromettante!

 

«Ah! tu aimes Graü ben! reprit mon oncle d’un vé ritable ton de tuteur!

 

– Oui… Non… balbutiai-je!

 

– Ah! tu aimes Graü ben, reprit-il machinalement. Eh bien, appliquons mon procé dé au document en question!»

 

Mon oncle, retombé dans son absorbante contemplation, oubliait dé jà mes imprudentes paroles. Je dis imprudentes, car la tê te du savant ne pouvait comprendre les choses du cœ ur. Mais, heureusement, la grande affaire du document l’emporta.

 

Au moment de faire son expé rience capitale, les yeux du professeur Lidenbrock lancè rent des é clairs à travers ses lunettes. Ses doigts tremblè rent, lorsqu’il reprit le vieux parchemin; il é tait sé rieusement é mu. Enfin il toussa fortement, et d’une voix grave, appelant successivement la premiè re lettre, puis la seconde de chaque mot, il me dicta la sé rie suivante:

 

messunkaSenrA. icefdoK. segnittamurtn

ecertserrette, rotaivsadua, ednecsedsadne

lacartniiiluJsiratracSarbmutabiledmek

meretarcsilucoYsleffenSnl

 

En finissant, je l’avouerai, j’é tais é motionné, ces lettres, nommé es une à une, ne m’avaient pré senté aucun sens à l’esprit; j’attendais donc que le professeur laissâ t se dé rouler pompeusement entre ses lè vres une phrase d’une magnifique latinité.

 

Mais, qui aurait pu le pré voir! Un violent coup de poing é branla la table. L’encre rejaillit, la plume me sauta des mains.

 

«Ce n’est pas cela! s’é cria mon oncle, cela n’a pas le sens commun!»

 

Puis, traversant le cabinet comme un boulet, descendant l’escalier comme une avalanche, il se pré cipita dans Kö nigstrasse, et s’enfuit à toutes jambes.

 

IV

«Il est parti? s’é cria Marthe en accourant au bruit de la porte de la rue qui, violemment refermé e, venait d’é branler la maison tout entiè re.

 

– Oui! ré pondis-je, complè tement parti!

 

– Eh bien! et son dî ner? fit la vieille servante.

 

– Il ne dî nera pas!

 

– Et son souper?

 

– Il ne soupera pas!

 

– Comment? dit Marthe en joignant les mains.

 

– Non, bonne Marthe, il ne mangera plus, ni personne dans la maison! Mon oncle Lidenbrock nous met tous à la diè te jusqu’au moment où il aura dé chiffré un vieux grimoire qui est absolument indé chiffrable!

 

– Jé sus! nous n’avons donc plus qu’à mourir de faim!»

 

Je n’osai pas avouer qu’avec un homme aussi absolu que mon oncle, c’é tait un sort iné vitable.

 

La vieille servante, sé rieusement alarmé e, retourna dans sa cuisine en gé missant.

 

Quand je fus seul, l’idé e me vint d’aller tout conter à Graü ben. Mais comment quitter la maison? Le professeur pouvait rentrer d’un instant à l’autre. Et s’il m’appelait? Et s’il voulait recommencer ce travail logogryphique, qu’on eû t vainement proposé au vieil Œ dipe! Et si je ne ré pondais pas à son appel, qu’adviendrait-il?

 

Le plus sage é tait de rester. Justement, un miné ralogiste de Besanç on venait de nous adresser une collection de gé odes siliceuses qu’il fallait classer. Je me mis au travail. Je triai, j’é tiquetai, je disposai dans leur vitrine toutes ces pierres creuses au-dedans desquelles s’agitaient de petits cristaux.

 

Mais cette occupation ne m’absorbait pas; l’affaire du vieux document ne laissait point de me pré occuper é trangement. Ma tê te bouillonnait, et je me sentais pris d’une vague inquié tude. J’avais le pressentiment d’une catastrophe prochaine.

 

Au bout d’une heure, mes gé odes é taient é tagé es avec ordre. Je me laissai aller alors dans le grand fauteuil d’Utrecht, les bras ballants et la tê te renversé e. J’allumai ma pipe à long tuyau courbe, dont le fourneau sculpté repré sentait une naï ade nonchalamment é tendue; puis, je m’amusai à suivre les progrè s de la carbonisation, qui de ma naï ade faisait peu à peu une né gresse accomplie. De temps en temps, j’é coutais si quelque pas retentissait dans l’escalier. Mais non. Où pouvait ê tre mon oncle en ce moment? Je me le figurais courant sous les beaux arbres de la route d’Altona, gesticulant, tirant au mur avec sa canne, d’un bras violent battant les herbes, dé capitant les chardons et troublant dans leur repos les cigognes solitaires.

 

Rentrerait-il triomphant ou dé couragé? Qui aurait raison l’un de l’autre, du secret ou de lui? Je m’interrogeais ainsi, et, machinalement, je pris entre mes doigts la feuille de papier sur laquelle s’allongeait l’incompré hensible sé rie des lettres tracé es par moi. Je me ré pé tais:

 

«Qu’est-ce que cela signifie?»

 

Je cherchai à grouper ces lettres de maniè re à former des mots. Impossible! Qu’on les ré unit par deux, trois, ou cinq, ou six, cela ne donnait absolument rien d’intelligible. Il y avait bien les quatorziè me, quinziè me et seiziè me lettres qui faisaient le mot anglais «ice», et la quatre-vingt-quatriè me, la quatre-vingt-cinquiè me et la quatre-vingt-sixiè me formaient le mot «sir». Enfin, dans le corps du document, et à la deuxiè me et à la troisiè me ligne, je remarquai aussi les mots latins «rota», «mutabile», «ira», «nec», «atra».

 

«Diable, pensai-je, ces derniers mots sembleraient donner raison à mon oncle sur la langue du document! Et mê me, à la quatriè me ligne, j’aperç ois encore le mot «luco» qui se traduit par «bois sacré». Il est vrai qu’à la troisiè me, on lit le mot «tabiled» de tournure parfaitement hé braï que, et à la derniè re, les vocables «mer», «arc», «mè re», qui sont purement franç ais.»

 

Il y avait là de quoi perdre la tê te! Quatre idiomes diffé rents dans cette phrase absurde! Quel rapport pouvait-il exister entre les mots «glace, monsieur, colè re, cruel, bois sacré, changeant, mè re, arc ou mer?» Le premier et le dernier seuls se rapprochaient facilement; rien d’é tonnant que, dans un document é crit en Islande, il fû t question d’une «mer de glace». Mais de là à comprendre le reste du cryptogramme, c’é tait autre chose.

 

Je me dé battais donc contre une insoluble difficulté; mon cerveau s’é chauffait, mes yeux clignaient sur la feuille de papier; les cent trente-deux lettres semblaient voltiger autour de moi, comme ces larmes d’argent qui glissent dans l’air autour de notre tê te, lorsque le sang s’y est violemment porté.

 

J’é tais en proie à une sorte d’hallucination; j’é touffais; il me fallait de l’air. Machinalement, je m’é ventai avec la feuille de papier, dont le verso et le recto se pré sentè rent successivement à mes regards.

 

Quelle fut ma surprise, quand, dans l’une de ces voltes rapides, au moment où le verso se tournait vers moi, je crus voir apparaî tre des mots parfaitement lisibles, des mots latins, entre autres «craterem» et «terrestre»!

 

Soudain une lueur se fit dans mon esprit; ces seuls indices me firent entrevoir la vé rité; j’avais dé couvert la loi du chiffre. Pour lire ce document, il n’é tait pas mê me né cessaire de le lire à travers la feuille retourné e! Non. Tel il é tait, tel il m’avait é té dicté, tel il pouvait ê tre é pelé couramment. Toutes les ingé nieuses combinaisons du professeur se ré alisaient; il avait eu raison pour la disposition des lettres, raison pour la langue du document! Il s’en é tait fallu de «rien» qu’il pû t lire d’un bout à l’autre cette phrase latine, et ce «rien», le hasard venait de me le donner!

 

On comprend si je fus é mu! Mes yeux se troublè rent. Je ne pouvais m’en servir. J’avais é talé la feuille de papier sur la table. Il me suffisait d’y jeter un regard pour devenir possesseur du secret.

 

Enfin je parvins à calmer mon agitation. Je m’imposai la loi de faire deux fois le tour de la chambre pour apaiser mes nerfs, et je revins m’engouffrer dans le vaste fauteuil.

 

«Lisons», m’é criai-je, aprè s avoir refait dans mes poumons une ample provision d’air.

 

Je me penchai sur la table; je posai mon doigt successivement sur chaque lettre, et, sans m’arrê ter, sans hé siter, un instant, je prononç ai à haute voix la phrase tout entiè re.

 

Mais quelle stupé faction, quelle terreur m’envahit! Je restai d’abord comme frappé d’un coup subit. Quoi! ce que je venais d’apprendre s’é tait accompli! Un homme avait eu assez d’audace pour pé né trer! …

 

«Ah! m’é criai-je en bondissant, mais non! mais non! mon oncle ne le saura pas! Il ne manquerait plus qu’il vint à connaî tre un semblable voyage! Il voudrait en goû ter aussi! Rien ne pourrait l’arrê ter! Un gé ologue si dé terminé! Il partirait quand mê me, malgré tout, en dé pit de tout! Et il m’emmè nerait avec lui, et nous n’en reviendrions pas! Jamais! jamais!»

 

J’é tais dans une surexcitation difficile à peindre.

 

«Non! non! ce ne sera pas, dis-je avec é nergie, et, puisque je peux empê cher qu’une pareille idé e vienne à l’esprit de mon tyran, je le ferai. À tourner et à retourner ce document, il pourrait par hasard en dé couvrir la clef! Dé truisons-le.»

 

Il y avait un reste de feu dans la cheminé e. Je saisis non seulement la feuille de papier, mais le parchemin de Saknussem; d’une main fé brile j’allais pré cipiter le tout sur les charbons et ané antir ce dangereux secret, quand la porte du cabinet s’ouvrit. Mon oncle parut.

 

V

Je n’eus que le temps de replacer sur la table le malencontreux document.

 

Le professeur Lidenbrock paraissait profondé ment absorbé. Sa pensé e dominante ne lui laissait pas un instant de ré pit; il avait é videmment scruté, analysé l’affaire, mis en œ uvre toutes les ressources de son imagination pendant sa promenade, et il revenait appliquer quelque combinaison nouvelle.

 

En effet, il s’assit dans son fauteuil, et, la plume à la main, il commenç a à é tablir des formules qui ressemblaient à un calcul algé brique.

 

Je suivais du regard sa main fré missante; je ne perdais pas un seul de ses mouvements. Quelque ré sultat inespé ré allait-il donc inopiné ment se produire? Je tremblais, et sans raison, puisque la vraie combinaison, la «seule», é tant dé jà trouvé e, toute autre recherche devenait forcé ment vaine.

 

Pendant trois longues heures, mon oncle travailla sans parler, sans lever la tê te, effaç ant, reprenant, raturant, recommenç ant mille fois.

 

Je savais bien que, s’il parvenait à arranger des lettres suivant toutes les positions relatives qu’elles pouvaient occuper, la phrase se trouverait faite. Mais je savais aussi que vingt lettres seulement peuvent former deux quintillions, quatre cent trente-deux quatrillions, neuf cent deux trillions, huit milliards, cent soixante-seize millions, six cent quarante mille combinaisons. Or, il y avait cent trente-deux lettres dans la phrase, et ces cent trente-deux lettres donnaient un nombre de phrases diffé rentes composé de cent trente-trois chiffres au moins, nombre presque impossible à é numé rer et qui é chappe à toute appré ciation.

 

J’é tais rassuré sur ce moyen hé roï que de ré soudre le problè me.

 

Cependant le temps s’é coulait; la nuit se fit; les bruits de la rue s’apaisè rent; mon oncle, toujours courbé sur sa tâ che, ne vit rien, pas mê me la bonne Marthe qui entrouvrit la porte; il n’entendit rien, pas mê me la voix de cette digne servante, disant:

 

«Monsieur soupera-t-il ce soir?»

 

Aussi Marthe dut-elle s’en aller sans ré ponse. Pour moi, aprè s avoir ré sisté pendant quelque temps, je fus pris d’un invincible sommeil, et je m’endormis sur un bout du canapé, tandis que mon oncle Lidenbrock calculait et raturait toujours.

 

Quand je me ré veillai, le lendemain, l’infatigable piocheur é tait encore au travail. Ses yeux rouges, son teint blafard, ses cheveux entremê lé s sous sa main fié vreuse, ses pommettes empourpré es indiquaient assez sa lutte terrible avec l’impossible, et, dans quelles fatigues de l’esprit, dans quelle contention du cerveau, les heures durent s’é couler pour lui.

 

Vraiment, il me fit pitié. Malgré les reproches que je croyais ê tre en droit de lui faire, une certaine é motion me gagnait. Le pauvre homme é tait tellement possé dé de son idé e, qu’il oubliait de se mettre en colè re; toutes ses forces vives se concentraient sur un seul point, et, comme elles ne s’é chappaient pas par leur exutoire ordinaire, on pouvait craindre que leur tension ne le fî t é clater d’un instant à l’autre.

 

Je pouvais d’un geste desserrer cet é tau de fer qui lui serrait le crâ ne, d’un mot seulement! Et je n’en fis rien.

 

Cependant j’avais bon cœ ur. Pourquoi restai-je muet en pareille circonstance? Dans l’inté rê t mê me de mon oncle.

 

«Non, non, ré pé tai-je, non, je ne parlerai pas! Il voudrait y aller, je le connais; rien ne saurait l’arrê ter. C’est une imagination volcanique, et, pour faire ce que d’autres gé ologues n’ont point fait, il risquerait sa vie. Je me tairai; je garderai ce secret dont le hasard m’a rendu maî tre! Le dé couvrir, ce serait tuer le professeur Lidenbrock! Qu’il le devine, s’il le peut. Je ne veux pas me reprocher un jour de l’avoir conduit à sa perte!»

 

Ceci bien ré solu, je me croisai les bras, et j’attendis. Mais j’avais compté sans un incident qui se produisit à quelques heures de là.

 

Lorsque la bonne Marthe voulut sortir de la maison pour se rendre au marché, elle trouva la porte close; la grosse clef manquait à la serrure. Qui l’avait ô té e? Mon oncle é videmment, quand il rentra la veille aprè s son excursion pré cipité e.

 

É tait-ce à dessein? É tait-ce par mé garde? Voulait-il nous soumettre aux rigueurs de la faim? Cela m’eû t paru un peu fort. Quoi! Marthe et moi, nous serions victimes d’une situation qui ne nous regardait pas le moins du monde? Sans doute, et je me souvins d’un pré cé dent de nature à nous effrayer. En effet, il y a quelques anné es, à l’é poque où mon oncle travaillait à sa grande classification miné ralogique, il demeura quarante-huit heures sans manger, et toute sa maison dut se conformer à cette diè te scientifique. Pour mon compte, j’y gagnai des crampes d’estomac fort peu ré cré atives chez un garç on d’un naturel assez vorace.

 

Or, il me parut que le dé jeuner allait faire dé faut comme le souper de la veille. Cependant je ré solus d’ê tre hé roï que et de ne pas cé der devant les exigences de la faim. Marthe prenait cela trè s au sé rieux et se dé solait, la bonne femme. Quant à moi, l’impossibilité de quitter la maison me pré occupait davantage et pour cause. On me comprend bien.

 

Mon oncle travaillait toujours; son imagination se perdait dans le monde idé al des combinaisons; il vivait loin de la terre, et vé ritablement en dehors des besoins terrestres.

 

Vers midi, la faim m’aiguillonna sé rieusement; Marthe, trè s innocemment, avait dé voré la veille les provisions du garde-manger; il ne restait plus rien à la maison, Cependant je tins bon. J’y mettais une sorte de point d’honneur.

 

Deux heures sonnè rent. Cela devenait ridicule, intolé rable mê me. J’ouvrais des yeux dé mesuré s. Je commenç ai à me dire que j’exagé rais l’importance du document; que mon oncle n’y ajouterait pas foi; qu’il verrait là une simple mystification; qu’au pis aller on le retiendrait malgré lui, s’il voulait tenter l’aventure; qu’enfin il pouvait dé couvrit lui-mê me la clef du «chiffre», et que j’en serais alors pour mes frais d’abstinence.

 

Ces raisons, que j’eusse rejeté es la veille avec indignation, me parurent excellentes; je trouvai mê me parfaitement absurde d’avoir attendu si longtemps, et mon parti fut pris de tout dire.

 

Je cherchais donc une entré e en matiè re, pas trop brusque, quand le professeur se leva, mit son chapeau et se pré para à sortir.

 

Quoi, quitter la maison, et nous enfermer encore! Jamais.

 

«Mon oncle!» dis-je.

 

Il ne parut pas m’entendre.

 

«Mon oncle Lidenbrock! ré pé tai-je en é levant la voix.

 

– Hein? fit-il comme un homme subitement ré veillé.

 

– Eh bien! cette clef?

 

– Quelle clef? La clef de la porte?

 

– Mais non, m’é criai-je, la clef du document!»

 

Le professeur me regarda par-dessus ses lunettes; il remarqua sans doute quelque chose d’insolite dans ma physionomie, car il me saisit vivement le bras, et, sans pouvoir parler, il m’interrogea du regard. Cependant jamais demande ne fut formulé e d’une faç on plus nette.

 

Je remuai la tê te de haut en bas.

 

Il secoua la sienne avec une sorte de pitié, comme s’il avait affaire à un fou.

 

Je fis un geste plus affirmatif.

 

Ses yeux brillè rent d’un vif é clat; sa main devint menaç ante.

 

Cette conversation muette dans ces circonstances eû t inté ressé le spectateur le plus indiffé rent. Et vraiment j’en arrivais à ne plus oser parler, tant je craignais que mon oncle ne m’é touffâ t dans les premiers embrassements de sa joie. Mais il devint si pressant qu’il fallut ré pondre.

 

«Oui, cette clef! … le hasard! …

 

– Que dis-tu? s’é cria-t-il avec une indescriptible é motion.

 

– Tenez, dis-je en lui pré sentant la feuille de papier sur laquelle j’avais é crit, lisez.

 

– Mais cela ne signifie rien! ré pondit-il en froissant la feuille.

 

– Rien, en commenç ant à lire par le commencement, mais par la fin…»

 

Je n’avais pas achevé ma phrase que le professeur poussait un cri, mieux qu’un cri, un vé ritable rugissement! Une ré vé lation venait de se faire, dans son esprit. Il é tait transfiguré.

 

«Ah! ingé nieux Saknussemm! s’é cria-t-il, tu avais donc d’abord é crit ta phrase à l’envers?»

 

Et se pré cipitant sur la feuille de papier, l’œ il trouble, la voix é mue, il lut le document tout entier, en remontant de la derniè re lettre à la premiè re.

 

Il é tait conç u en ces termes:

 

In Sneffels Yoculis craterem kem delibat umbra Scartaris Julii intra calendas descende, audas viator, et terrestre centrum attinges. Kod feci. Arne Saknussem.

Ce qui, de ce mauvais latin, peut ê tre traduit ainsi:

 

Descends dans le cratè re du Yocul de Sneffels que l’ombre du Scartaris vient caresser avant les calendes de Juillet, voyageur audacieux, et tu parviendras au centre de la Terre. Ce que j’ai fait. Arne Saknussemm.

Mon oncle, à cette lecture, bondit comme s’il eû t inopiné ment touché une bouteille de Leyde. Il é tait magnifique d’audace, de joie et de conviction. Il allait et venait; il prenait sa tê te à deux mains; il dé plaç ait les siè ges; il empilait ses livres; il jonglait, c’est à ne pas le croire, avec ses pré cieuses gé odes; il lanç ait un coup de poing par-ci, une tape par-là. Enfin ses nerfs se calmè rent et, comme un homme é puisé par une trop grande dé pense de fluide, il retomba dans son fauteuil.

 

«Quelle heure est-il donc? demanda-t-il aprè s quelques instants de silence.

 

– Trois heures, ré pondis-je.

 

– Tiens! mon dî ner a passé vite. Je meurs de faim. À table. Puis ensuite…

 

– Ensuite?

 

– Tu feras ma malle.

 

– Hein! m’é criai-je.

 

– Et la tienne!» ré pondit l’impitoyable professeur en entrant dans la salle à manger.

 

VI

À ces paroles, un frisson me passa par tout le corps. Cependant je me contins. Je ré solus mê me de faire bonne figure. Des arguments scientifiques pouvaient seuls arrê ter le professeur Lidenbrock; or, il y en avait, et de bons, contre la possibilité d’un pareil voyage. Aller au centre de la terre! Quelle folie! Je ré servai ma dialectique pour le moment opportun, et je m’occupai du repas.

 

Inutile de rapporter les impré cations de mon oncle devant la table desservie. Tout s’expliqua. La liberté fut rendue à la bonne Marthe. Elle courut au marché et fit si bien, qu’une heure aprè s ma faim é tait calmé e, et je revenais au sentiment de la situation.

 

Pendant le repas, mon oncle fut presque gai; il lui é chappait de ces plaisanteries de savant qui ne sont jamais bien dangereuses. Aprè s le dessert, il me fit signe de le suivre dans son cabinet.

 

J’obé is. Il s’assit à un bout de sa table de travail, et moi à l’autre.

 

«Axel, dit-il d’une voix assez douce, tu es un garç on trè s ingé nieux; tu m’as rendu là un fier service, quand, de guerre lasse, j’allais abandonner cette combinaison. Où me serais-je é garé? Nul ne peut le savoir! Je n’oublierai jamais cela, mon garç on, et de la gloire que nous allons acqué rir tu auras ta part.»

 

«Allons! pensai-je, il est de bonne humeur; le moment est venu de discuter cette gloire.»

 

«Avant tout, reprit mon oncle, je te recommande le secret le plus absolu, tu m’entends? Je ne manque pas d’envieux dans le monde des savants, et beaucoup voudraient entreprendre ce voyage, qui ne s’en douteront qu’à notre retour.

 

– Croyez-vous, dis-je, que le nombre de ces audacieux fû t si grand?

 

– Certes! qui hé siterait à conqué rir une telle renommé e? Si ce document é tait connu, une armé e entiè re de gé ologues se pré cipiterait sur les traces d’Arne Saknussemm!

 

– Voilà ce dont je ne suis pas persuadé, mon oncle, car rien ne prouve l’authenticité de ce document.

 

– Comment! Et le livre dans lequel nous l’avons dé couvert!

 

– Bon! j’accorde que ce Saknussemm ait é crit ces lignes, mais s’ensuit-il qu’il ait ré ellement accompli ce voyage, et ce vieux parchemin ne peut-il renfermer une mystification?»


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