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Voyage au centre de la terre 15 ñòðàíèöà






 

Ce n’est pas que nous n’eussions fait des pertes assez sensibles, nos armes, par exemple; mais enfin on pouvait s’en passer. La provision de poudre é tait demeuré e intacte, aprè s avoir failli sauter pendant la tempê te.

 

«Eh bien, s’é cria le professeur, puisque les fusils manquent, nous en serons quittes pour ne pas chasser.

 

– Bon; mais les instruments?

 

– Voici le manomè tre, le plus utile de tous, et pour lequel j’aurais donné les autres! Avec lui, je puis calculer la profondeur et savoir quand nous aurons atteint le centre. Sans lui, nous risquerions d’aller au delà et de ressortir par les antipodes!»

 

Cette gaî té é tait fé roce.

 

«Mais la boussole? demandai-je.

 

– La voici, sur ce rocher, en parfait é tat, ainsi que le chronomè tre et les thermomè tres. Ah! le chasseur est un homme pré cieux!»

 

Il fallait bien le reconnaî tre, en fait d’instruments, rien ne manquait.. Quant aux outils et aux engins, j’aperç us, é pars sur le sable, é chelles, cordes, pics, pioches, etc.

 

Cependant il y avait encore la question des vivres à é lucider.

 

«Et les provisions? dis-je.

 

– Voyons les provisions», ré pondit mon oncle.

 

Les caisses qui les contenaient é taient aligné es sur la grè ve dans un parfait é tat de conservation; la mer les avait respecté es pour la plupart, et somme toute, en biscuits, viande salé e, geniè vre et poissons secs, on pouvait compter encore sur quatre mois de vivres.

 

«Quatre mois! s’é cria le professeur. Nous avons le temps d’aller et de revenir, et avec ce qui restera je veux donner un grand dî ner à tous mes collè gues du Johannaeum!»

 

J’aurais dû ê tre habitué, depuis longtemps, au tempé rament de mon oncle, et pourtant cet homme-là m’é tonnait toujours.

 

«Maintenant, dit-il, nous allons refaire notre provision d’eau avec la pluie que l’orage a versé e dans tous ces bassins de granit; par consé quent, nous n’avons pas à craindre d’ê tre pris par la soif. Quant au radeau, je vais recommander à Hans de le ré parer de son mieux, quoiqu’il ne doive plus nous servir, j’imagine!

 

– Comment cela? m’é criai-je.

 

– Une idé e à moi, mon garç on! Je crois que nous ne sortirons pas par où nous sommes entré s.»

 

Je regardai le professeur avec une certaine dé fiance. Je me demandai s’il n’é tait pas devenu fou. Et cependant «il ne savait pas si bien dire.»

 

«Allons dé jeuner», reprit-il.

 

Je le suivis sur un cap é levé, aprè s qu’il eut donné ses instructions au chasseur. Là, de la viande sè che, du biscuit et du thé composè rent un repas excellent, et, je dois l’avouer, un des meilleurs que j’eusse fait de ma vie. Le besoin, le grand air, le calme aprè s les agitations, tout contribuait à me mettre en appé tit.

 

Pendant le dé jeuner, je posai à mon oncle la question de savoir où nous é tions en ce moment.

 

«Cela, dis-je, me paraî t difficile à calculer.

 

– À calculer exactement, oui, ré pondit-il; c’est mê me impossible, puisque, pendant ces trois jours de tempê te, je n’ai pu tenir note de la vitesse et de la direction du radeau; mais cependant nous pouvons relever notre situation à l’estime.

 

– En effet, la derniè re observation a é té faite à l’î lot du geyser…

 

– À l’î lot Axel, mon garç on. Ne dé cline pas cet honneur d’avoir baptisé de ton nom la premiè re î le dé couverte au centre du massif terrestre.

 

– Soit! À l’î lot Axel, nous avions franchi environ deux cent soixante-dix lieues de mer et nous nous trouvions à plus de six cents lieues de l’Islande.

 

– Bien! partons de ce point alors et comptons quatre jours d’orage, pendant lesquels notre vitesse n’a pas dû ê tre infé rieure à quatre-vingts lieues par vingt-quatre heures.

 

– Je le crois. Ce serait donc trois cents lieues à ajouter.

 

– Oui, et la mer Lidenbrock aurait à peu prè s six cents lieues d’un rivage à l’autre! Sais-tu bien, Axel, qu’elle peut lutter de grandeur avec la Mé diterrané e?

 

– Oui, surtout si nous ne l’avons traversé e que dans sa largeur!

 

– Ce qui est fort possible!

 

– Et, chose curieuse, ajoutai-je, si nos calculs sont exacts, nous avons maintenant cette Mé diterrané e sur notre tê te.

 

– Vraiment!

 

– Vraiment, car nous sommes à neuf cents lieues de Reykjawik!

 

– Voilà un joli bout de chemin, mon garç on; mais, que nous soyons plutô t sous la Mé diterrané e que sous la Turquie ou sous l’Atlantique, cela ne peut s’affirmer que si notre direction n’a pas dé vié.

 

– Non, le vent paraissait constant; je pense donc que ce rivage doit ê tre situé au sud-est de Port-Graü ben.

 

– Bon, il est facile de s’en assurer en consultant la boussole. Allons consulter la boussole!»

 

Le professeur se dirigea vers le rocher sur lequel Hans avait dé posé les instruments. Il é tait gai, allè gre, il se frottait les mains, il prenait des poses! Un vrai jeune homme! Je le suivis, assez curieux de savoir si je ne me trompais pas dans mon estime.

 

Arrivé au rocher, mon oncle prit le compas, le posa horizontalement et observa l’aiguille, qui, aprè s avoir oscillé, s’arrê ta dans une position fixe sous l’influence magné tique.

 

Mon oncle regarda, puis il se frotta les yeux et regarda de nouveau. Enfin il se retourna de mon cô té, stupé fait.

 

«Qu’y a-t-il?» demandai-je.

 

Il me fit signe d’examiner l’instrument. Une exclamation de surprise m’é chappa. La fleur de l’aiguille marquait le nord là où nous supposions le midi! Elle se tournait vers la grè ve au lieu de montrer la pleine mer!

 

Je remuai la boussole, je l’examinai; elle é tait en parfait é tat. Quelque position que l’on fî t prendre à l’aiguille; celle-ci reprenait obstiné ment cette direction inattendue.

 

Ainsi donc, il ne fallait plus en douter, pendant la tempê te une saute de vent s’é tait produite dont nous ne nous é tions pas aperç us et avait ramené le radeau vers les rivages que mon oncle croyait laisser derriè re lui.

 

XXXVII

Il me serait impossible de peindre la succession des sentiments qui agitè rent le professeur Lidenbrock, la stupé faction, l’incré dulité et enfin la colè re. Jamais je ne vis un homme si dé contenancé d’abord, si irrité ensuite. Les fatigues de la traversé e, les dangers courus, tout é tait à recommencer! Nous avions reculé au lieu de marcher en avant!

 

Mais mon oncle reprit rapidement le dessus.

 

«Ah! la fatalité me joue de pareils tours! s’é cria-t-il. Les é lé ments conspirent contre moi! L’air, le feu et l’eau combinent leurs efforts pour s’opposer à mon passage! Eh bien! l’on saura ce que peut ma volonté. Je ne cé derai pas, je ne reculerai pas d’une ligne, et nous verrons qui l’emportera de l’homme ou de la nature!»

 

Debout sur le rocher, irrité, menaç ant, Otto Lidenbrock, pareil au farouche Ajax, semblait dé fier les dieux. Mais je jugeai à propos d’intervenir et de mettre un frein à cette fougue insensé e.

 

«É coutez-moi, lui dis-je d’un ton ferme. Il y a une limite à toute ambition ici-bas; il ne faut pas lutter contre l’impossible; nous sommes mal é quipé s pour un voyage sur mer; cinq cents lieues ne se font pas sur un mauvais assemblage de poutres avec une couverture pour voile, un bâ ton en guise de mâ t, et contre les vents dé chaî né s. Nous ne pouvons gouverner, nous sommes le jouet des tempê tes, et c’est agir en fous que de tenter une seconde fois cette impossible traversé e!»

 

De ces raisons toutes irré futables je pus dé rouler la sé rie pendant dix minutes sans ê tre interrompu, mais cela vint uniquement de l’inattention du professeur, qui n’entendit pas un mot de mon argumentation.

 

«Au radeau! s’é cria-t-il.

 

Telle fut sa ré ponse. J’eus beau faire, supplier, m’emporter, je me heurtai à une volonté plus dure que le granit.

 

Hans achevait en ce moment de ré parer le radeau. On eû t dit que cet ê tre bizarre devinait les projets de mon oncle. Avec quelques morceaux de surtarbrandur il avait consolidé l’embarcation. Une voile s’y é levait dé jà et le vent jouait dans ses plis flottants.

 

Le professeur dit quelques mots au guide, et aussitô t celui-ci d’embarquer les bagages et de tout disposer pour le dé part. L’atmosphè re é tait assez pure et le vent du nord-ouest tenait bon.

 

Que pouvais-je faire? Ré sister seul contre deux? Impossible. Si encore Hans se fû t joint à moi. Mais non! Il semblait que l’Islandais eû t mis de cô té toute volonté personnelle et fait vœ u d’abné gation. Je ne pouvais rien obtenir d’un serviteur aussi infé odé à son maî tre. Il fallait marcher en avant.

 

J’allais donc prendre sur le radeau ma place accoutumé e, quand mon oncle m’arrê ta de la main.

 

«Nous ne partirons que demain», dit-il.

 

Je fis le geste d’un homme ré signé à tout.

 

«Je ne dois rien né gliger, reprit-il, et puisque la fatalité m’a poussé sur cette partie de la cô te, je ne la quitterai pas sans l’avoir reconnue.»

 

Cette remarque sera comprise quand on saura que nous é tions revenus au rivage du nord, mais non pas à l’endroit mê me de notre premier dé part. Port-Graü ben devait ê tre situé plus à l’ouest. Rien de plus raisonnable dè s lors que d’examiner avec soin les environs de ce nouvel atterrissage.

 

«Allons à la dé couverte!» dis-je.

 

Et, laissant Hans à ses occupations, nous voilà partis. L’espace compris entre les relais de la mer et le pied des contreforts é tait fort large. On pouvait marcher une demi-heure avant d’arriver à la paroi de rochers. Nos pieds é crasaient d’innombrables coquillages de toutes formes et de toutes grandeurs, où vé curent les animaux des premiè res é poques. J’apercevais aussi d’é normes carapaces dont le diamè tre dé passait souvent quinze pieds. Elles avaient appartenu à ces gigantesques glyptodons de la pé riode pliocè ne dont la tortue moderne n’ont plus qu’une petite ré duction. En outre le sol é tait semé d’une grande quantité de dé bris pierreux, sortes de galets arrondis par la lame et rangé s en lignes successives. Je fus donc conduit à faire cette remarque, que la mer devait autrefois occuper cet espace. Sur les rocs é pars et maintenant hors de ses atteintes, les flots avaient laissé des traces é videntes de leur passage.

 

Ceci pouvait expliquer jusqu’à un certain point l’existence de cet océ an, à quarante lieues au-dessous de la surface du globe. Mais, suivant moi, cette masse d’eau devait se perdre peu à peu dans les entrailles de la terre, et elle provenait é videmment des eaux de l’Océ an qui se firent jour à travers quelque fissure. Cependant, il fallait admettre que cette fissure é tait actuellement bouché e, car toute cette caverne, ou mieux, cet immense ré servoir, se fû t rempli dans un temps assez court. Peut-ê tre mê me cette eau, ayant eu à lutter contre des feux souterrains, s’é tait vaporisé e en partie. De là l’explication des nuages suspendus sur notre tê te et le dé gagement de cette é lectricité qui cré ait des tempê tes à l’inté rieur du massif terrestre.

 

Cette thé orie des phé nomè nes dont nous avions é té té moins me paraissait satisfaisante, car, pour grandes que soient les merveilles de la nature, elles sont toujours explicables par des raisons physiques.

 

Nous marchions donc sur une sorte de terrain sé dimentaire formé par les eaux, comme tous les terrains de cette pé riode, si largement distribué s à la surface du globe. Le professeur examinait attentivement chaque interstice de roche. Qu’une ouverture quelconque existâ t, et il devenait important pour lui d’en faire sonder la profondeur.

 

Pendant un mille, nous avions cô toyé les rivages de la mer Lidenbrock, quand le sol changea subitement d’aspect. Il paraissait bouleversé, convulsionné par un exhaussement violent des couches infé rieures. En maint endroit, des enfoncements ou des soulè vements attestaient une dislocation puissante du massif terrestre.

 

Nous avancions difficilement sur ces cassures de granit, mé langé es de silex, de quartz et de dé pô ts alluvionnaires, lorsqu’un champ, plus qu’un champ, une plaine d’ossements apparut à nos regards. On eû t dit un cimetiè re immense, où les gé né rations de vingt siè cles confondaient leur é ternelle poussiè re. De hautes extumescences de dé bris s’é tageaient au loin. Elles ondulaient jusqu’aux limites de l’horizon et s’y perdaient dans une brume fondante. Là, sur trois milles carré s, peut-ê tre, s’accumulait toute la vie de l’histoire animale, à peine é crite dans les terrains trop ré cents du monde habité.

 

Cependant une impatiente curiosité nous entraî nait. Nos pieds é crasaient avec un bruit sec les restes de ces animaux anté historiques, et ces fossiles dont les musé ums des grandes cité s se disputent les rares et inté ressants dé bris. L’existence de mille Cuvier n’aurait pas suffi à recomposer les squelettes des ê tres organiques couché s dans ce magnifique ossuaire.

 

J’é tais stupé fait. Mon oncle avait levé ses grands bras vers l’é paisse voû te qui nous servait de ciel. Sa bouche ouverte dé mesuré ment, ses yeux fulgurants sous la lentille de ses lunettes, sa tê te remuant de haut en bas, de gauche à droite, toute sa posture enfin dé notait un é tonnement sans borne. Il se trouvait devant une inappré ciable collection de Leptotherium, de Mericotherium, de Lophodions, d’Anoplotherium, de Megatherium, de Mastodontes, de Protopithè ques, de Pté rodactyles, de tous les monstres anté diluviens entassé s là pour sa satisfaction personnelle. Qu’on se figure un bibliomane passionné transporté tout à coup dans cette fameuse bibliothè que d’Alexandrie brû lé e par Omar et qu’un miracle aurait fait renaî tre de ses cendres! Tel é tait mon oncle le professeur Lidenbrock.

 

Mais ce fut un bien autre é merveillement, quand, courant à travers cette poussiè re volcanique, il saisit un crâ ne dé nudé, et s’é cria d’une voix fré missante:

 

«Axel! Axel! une tê te humaine!

 

– Une tê te humaine! mon oncle, ré pondis-je, non moins stupé fait.

 

– Oui, neveu! Ah! M. Milne-Edwards! Ah! M. de Quatrefages! que n’ê tes-vous là où je suis, moi, Otto Lidenbrock!»

 

XXXVIII

Pour comprendre cette é vocation faite par mon oncle à ces illustres savants franç ais, il faut savoir qu’un fait d’une haute importance en palé ontologie s’é tait produit quelque temps avant notre dé part.

 

Le 28 mars 1863, des terrassiers fouillant sous la direction de M. Boucher de Perthes les carriè res de Moulin-Quignon, prè s Abbeville, dans le dé partement de la Somme, en France, trouvè rent une mâ choire humaine à quatorze pieds au-dessous de la superficie du sol. C’é tait le premier fossile de cette espè ce ramené à la lumiè re du grand jour. Prè s de lui se rencontrè rent des haches de pierre et des silex taillé s, coloré s et revê tus par le temps d’une patine uniforme.

 

Le bruit de cette dé couverte fut grand, non seulement en France, mais en Angleterre et en Allemagne. Plusieurs savants de l’Institut franç ais, entre autres MM. Milne-Edwards et de Quatrefages, prirent l’affaire à cœ ur, dé montrè rent l’incontestable authenticité de l’ossement en question, et se firent les plus ardents dé fenseurs de ce «procè s de la mâ choire», suivant l’expression anglaise.

 

Aux gé ologues du Royaume-Uni qui tinrent le fait pour certain, MM. Falconer, Busk, Carpenter, etc., se joignirent des savants de l’Allemagne, et parmi eux, au premier rang, le plus fougueux, le plus enthousiaste, mon oncle Lidenbrock.

 

L’authenticité d’un fossile humain de l’é poque quaternaire semblait donc incontestablement dé montré e et admise.

 

Ce systè me, il est vrai, avait eu un adversaire acharné dans M. É lie de Beaumont. Ce savant de si haute autorité soutenait que le terrain de Moulin-Quignon n’appartenait pas au «diluvium», mais à une couche moins ancienne, et, d’accord en cela avec Cuvier, il n’admettait pas que l’espè ce humaine eû t é té contemporaine des animaux de l’é poque quaternaire. Mon oncle Lidenbrock, de concert avec la grande majorité des gé ologues, avait tenu bon, disputé, discuté, et M. É lie de Beaumont é tait resté à peu prè s seul de son parti.

 

Nous connaissions tous ces dé tails de l’affaire, mais nous ignorions que, depuis notre dé part, la question avait fait des progrè s nouveaux. D’autres mâ choires identiques, quoique appartenant à des individus de types divers et de nations diffé rentes, furent trouvé es dans les terres meubles et grises de certaines grottes, en France, en Suisse, en Belgique, ainsi que des armes, des ustensiles, des outils, des ossements d’enfants, d’adolescents, d’hommes, de vieillards. L’existence de l’homme quaternaire s’affirmait donc chaque jour davantage.

 

Et ce n’é tait pas tout. Des dé bris nouveaux exhumé s du terrain tertiaire pliocè ne avaient permis à des savants plus audacieux encore d’assigner une haute antiquité à la race humaine. Ces dé bris, il est vrai, n’é taient point des ossements de l’homme, mais seulement des objets de son industrie, des tibias, des fé murs d’animaux fossiles, strié s ré guliè rement, sculpté s pour ainsi dire, et qui portaient la marque d’un travail humain.

 

Ainsi, d’un bond, l’homme remontait l’é chelle des temps d’un grand nombre de siè cles; il pré cé dait le mastodonde; il devenait le contemporain de «l’elephas meridionalis»; il avait cent mille ans d’existence, puisque c’est la date assigné e par les gé ologues les plus renommé s à la formation du terrain pliocè ne!

 

Tel é tait alors l’é tat de la science palé ontologique, et ce que nous en connaissions suffisait à expliquer notre attitude devant cet ossuaire de la mer Lidenbrock. On comprendra donc les stupé factions et les joies de mon oncle, surtout quand, vingt pas plus loin, il se trouva en pré sence, on peut dire face à face, avec un des spé cimens de l’homme quaternaire.

 

C’é tait un corps humain absolument reconnaissable. Un sol d’une nature particuliè re, comme celui du cimetiè re Saint-Michel, à Bordeaux, l’avait-il ainsi conservé pendant des siè cles? Je ne saurais le dire. Mais ce cadavre, la peau tendue et parcheminé e, les membres encore moelleux, – à la vue du moins, – les dents intactes, la chevelure abondante, les ongles des doigts et des orteils d’une grandeur effrayante, se montrait à nos yeux tel qu’il avait vé cu.

 

J’é tais muet devant cette apparition d’un autre â ge. Mon oncle, si loquace, si impé tueusement discoureur d’habitude, se taisait aussi. Nous avions soulevé ce corps. Nous l’avions redressé. Il nous regardait avec ses orbites caves. Nous palpions son torse sonore.

 

Aprè s quelques instants de silence, l’oncle fut vaincu par le professeur. Otto Lidenbrock, emporté par son tempé rament, oublia les circonstances de notre voyage, le milieu où nous é tions, l’immense caverne qui nous contenait. Sans doute il se crut au Johannaeum, professant devant ses é lè ves, car il prit un ton doctoral, et s’adressant à un auditoire imaginaire:

 

«Messieurs, dit-il, j’ai l’honneur de vous pré senter un homme de l’é poque quaternaire. De grands savants ont nié son existence, d’autres non moins grands l’ont affirmé e. Les saint Thomas de la palé ontologie, s’ils é taient là, le toucheraient du doigt, et seraient bien forcé s de reconnaî tre leur erreur. Je sais bien que la science doit se mettre en garde contre les dé couvertes de ce genre! Je n’ignore pas quelle exploitation des hommes fossiles ont faite les Barnum et autres charlatans de mê me farine. Je connais l’histoire de la rotule d’Ajax, du pré tendu corps d’Oreste retrouvé par les Spartiates, et du corps d’Asté rius, long de dix coudé es, dont parle Pausanias. J’ai lu les rapports sur le squelette de Trapani dé couvert au XIVe siè cle, et dans lequel on voulait reconnaî tre Polyphè me, et l’histoire du gé ant dé terré pendant le XVIe siè cle aux environs de Palerme. Vous n’ignorez pas plus que moi, Messieurs, l’analyse faite auprè s de Lucerne, en 1577, de ces grands ossements que le cé lè bre mé decin Fé lix Plater dé clarait appartenir à un gé ant de dix-neuf pieds! J’ai dé voré les traité s de Cassanion, et tous ces mé moires, brochures, discours et contre-discours publié s à propos du squelette du roi des Cimbres, Teutobochus, l’envahisseur de la Gaule, exhumé d’une sablonniè re du Dauphiné en 1613! Au XVIIIe siè cle, j’aurais combattu avec Pierre Campet l’existence des pré adamites de Scheuchzer! J’ai eu entre les mains l’é crit nommé Gigans …»

 

Ici reparut l’infirmité naturelle de mon oncle, qui en public ne pouvait pas prononcer les mots difficiles.

 

«L’é crit nommé Gigans …» reprit-il.

 

Il ne pouvait aller plus loin.

 

«Giganté o …»

 

Impossible! Le mot malencontreux ne voulait pas sortir! On aurait bien ri au Johannaeum!

 

«Gigantosté ologie», acheva de dire le professeur Lidenbrock, entre deux jurons.

 

Puis, continuant de plus belle, et s’animant:

 

«Oui, messieurs, je sais toutes ces choses! Je sais aussi que Cuvier et Blumenbach ont reconnu dans ces ossements de simples os de mammouth et autres animaux de l’é poque quaternaire. Mais ici le doute seul serait une injure à la science! Le cadavre est là! Vous pouvez le voir, le toucher! Ce n’est pas un squelette, c’est un corps intact, conservé dans un but uniquement anthropologique!»

 

Je voulus bien ne pas contredire cette assertion.

 

«Si je pouvais le laver dans une solution d’acide sulfurique, dit encore mon oncle, j’en ferais disparaî tre toutes les parties terreuses et ces coquillages resplendissants qui sont incrusté s en lui. Mais le pré cieux dissolvant me manque. Cependant, tel il est, tel ce corps nous racontera sa propre histoire.»

 

Ici, le professeur prit le cadavre fossile et le manœ uvra avec la dexté rité d’un montreur de curiosité s.

 

«Vous le voyez, reprit-il, il n’a pas six pieds de long, et nous sommes loin des pré tendus gé ants. Quant à la race à laquelle il appartient, elle est incontestablement caucasique. C’est la race blanche, c’est la nô tre! Le crâ ne de ce fossile est ré guliè rement ovoï de, sans dé veloppement des pommettes, sans projection de la mâ choire. Il ne pré sente aucun caractè re de ce prognathisme qui modifie l’angle facial[14]. Mesurez cet angle, il est presque de quatre-vingt-dix degré s. Mais j’irai plus loin encore dans le chemin des dé ductions, et j’oserai dire que cet é chantillon humain appartient à la famille japé tique, ré pandue depuis les Indes jusqu’aux limites de l’Europe occidentale. Ne souriez pas, messieurs!»

 

Personne ne souriait, mais le professeur avait une telle habitude de voir les visages s’é panouir pendant ses savantes dissertations!

 

«Oui, reprit-il avec une animation nouvelle, c’est là un homme fossile, et contemporain des mastodontes dont les ossements emplissent cet amphithé â tre. Mais de vous dire par quelle route il est arrivé là, comment ces couches où il é tait enfoui ont glissé jusque dans cette é norme cavité du globe, c’est ce que je ne me permettrai pas. Sans doute, à l’é poque quaternaire, des troubles considé rables se manifestaient encore dans l’é corce terrestre; le refroidissement continu du globe produisait des cassures, des fentes, des failles, où dé valait vraisemblablement une partie du terrain supé rieur. Je ne me prononce pas, mais enfin l’homme est là, entouré des ouvrages de sa main, de ces haches, de ces silex taillé s qui ont constitué l’â ge de pierre, et à moins qu’il n’y soit venu comme moi en touriste, en pionnier de la science, je ne puis mettre en doute l’authenticité de son antique origine.»

 

Le professeur se tut, et j’é clatai en applaudissements unanimes. D’ailleurs mon oncle avait raison, et de plus savants que son neveu eussent é té fort empê ché s de le combattre.

 

Autre indice. Ce corps fossilisé n’é tait pas le seul de l’immense ossuaire. D’autres corps se rencontraient à chaque pas que nous faisions dans cette poussiè re, et mon oncle pouvait choisir le plus merveilleux de ces é chantillons pour convaincre les incré dules.

 

En vé rité, c’é tait un é tonnant spectacle que celui de ces gé né rations d’hommes et d’animaux confondus dans ce cimetiè re. Mais une question grave se pré sentait, que nous n’osions ré soudre. Ces ê tres animé s avaient-ils glissé par une convulsion du sol vers les rivages de la mer Lidenbrock, alors qu’ils é taient dé jà ré duits en poussiè re? Ou plutô t vé curent-ils ici, dans ce monde souterrain, sous ce ciel factice, naissant et mourant comme les habitants de la terre? Jusqu’ici, les monstres marins, les poissons seuls, nous é taient apparus vivants! Quelque homme de l’abî me errait-il encore sur ces grè ves dé sertes?


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