Ñòóäîïåäèÿ

Ãëàâíàÿ ñòðàíèöà Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà

ÊÀÒÅÃÎÐÈÈ:

ÀâòîìîáèëèÀñòðîíîìèÿÁèîëîãèÿÃåîãðàôèÿÄîì è ñàäÄðóãèå ÿçûêèÄðóãîåÈíôîðìàòèêàÈñòîðèÿÊóëüòóðàËèòåðàòóðàËîãèêàÌàòåìàòèêàÌåäèöèíàÌåòàëëóðãèÿÌåõàíèêàÎáðàçîâàíèåÎõðàíà òðóäàÏåäàãîãèêàÏîëèòèêàÏðàâîÏñèõîëîãèÿÐåëèãèÿÐèòîðèêàÑîöèîëîãèÿÑïîðòÑòðîèòåëüñòâîÒåõíîëîãèÿÒóðèçìÔèçèêàÔèëîñîôèÿÔèíàíñûÕèìèÿ×åð÷åíèåÝêîëîãèÿÝêîíîìèêàÝëåêòðîíèêà






Voyage au centre de la terre 13 ñòðàíèöà






 

«Mon oncle, m’é criai-je, quel est ce bois?

 

– C’est du pin, du sapin, du bouleau, toutes les espè ces des conifè res du Nord, miné ralisé es sous l’action des eaux de la mer.

 

– Est-il possible?

 

– C’est ce qu’on appelle du «surtarbrandur» ou bois fossile.

 

– Mais alors, comme les lignites, il doit avoir la dureté de la pierre, et il ne pourra flotter?

 

– Quelquefois cela arrive; il y a de ces bois qui sont devenus de vé ritables anthracites; mais d’autres, tels que ceux-ci, n’ont encore subi qu’un commencement de transformation fossile. Regarde plutô t», ajouta mon oncle en jetant à la mer une de ces pré cieuses é paves.

 

Le morceau de bois, aprè s avoir disparu, revint à la surface des flots et oscilla au gré de leurs ondulations.

 

«Es-tu convaincu? dit mon oncle.

 

– Convaincu surtout que cela n’est pas croyable!»

 

Le lendemain soir, grâ ce à l’habileté du guide, le radeau é tait terminé; il avait dix pieds de long sur cinq de large; les poutres de surtarbrandur, relié es entre elles par de fortes cordes, offraient une surface solide, et une fois lancé e, cette embarcation improvisé e flotta tranquillement sur les eaux de la mer Lidenbrock.

 

XXXII

Le 13 aoû t, on se ré veilla de bon matin. Il s’agissait d’inaugurer un nouveau genre de locomotion rapide et peu fatigant.

 

Un mâ t fait de deux bâ tons jumelé s, une vergue formé e d’un troisiè me, une voile emprunté e à nos couvertures, composaient tout le gré ement du radeau.

 

Les cordes ne manquaient pas. Le tout é tait solide.

 

À six heures, le professeur donna le signal d’embarquer. Les vivres, les bagages, les instruments, les armes et une notable quantité d’eau douce se trouvaient en place.

 

Hans avait installé un gouvernail qui lui permettait de diriger son appareil flottant. Il se mit à la barre. Je dé tachai l’amarre qui nous retenait au rivage. La voile fut orienté e, et nous dé bordâ mes rapidement.

 

Au moment de quitter le petit port, mon oncle, qui tenait à sa nomenclature gé ographique, voulut lui donner un nom, le mien, entre autres.

 

«Ma foi, dis-je, j’en ai un autre à vous proposer.

 

– Lequel?

 

– Le nom de Graü ben. Port-Graü ben, cela fera trè s bien sur la carte.

 

– Va pour Port-Graü ben.»

 

Et voilà comment le souvenir de ma chè re Virlandaise se rattacha à notre heureuse expé dition.

 

La brise soufflait du nord-est. Nous filions vent arriè re avec une extrê me rapidité. Les couches trè s denses de l’atmosphè re avaient une poussé e considé rable et agissaient sur la voile comme un puissant ventilateur.

 

Au bout d’une heure, mon oncle avait pu se rendre compte de notre vitesse.

 

«Si nous continuons à marcher ainsi, dit-il, nous ferons au moins trente lieues par vingt-quatre heures et nous ne tarderons pas à reconnaî tre les rivages opposé s.»

 

Je ne ré pondis pas, et j’allai prendre place à l’avant du radeau. Dé jà la cô te septentrionale s’abaissait à l’horizon. Les deux bras du rivage s’ouvraient largement comme pour faciliter notre dé part. Devant mes yeux s’é tendait une mer immense. De grands nuages promenaient rapidement à sa surface leur ombre grisâ tre, qui semblait peser sur cette eau morne. Les rayons argenté s de la lumiè re é lectrique, ré flé chis ç a et là par quelque gouttelette, faisaient é clore des points lumineux sur les cô té s de l’embarcation. Bientô t toute terre fut perdue de vue, tout point de repè re disparut, et, sans le sillage é cumeux du radeau, j’aurais pu croire qu’il demeurait dans une parfaite immobilité.

 

Vers midi, des algues immenses vinrent onduler à la surface des flots. Je connaissais la puissance vé gé tative de ces plantes, qui rampent à une profondeur de plus de douze mille pieds au fond des mers, se reproduisent sous une pression de prè s de quatre cents atmosphè res et forment souvent des bancs assez considé rables pour entraver la marche des navires; mais jamais, je crois, algues ne furent plus gigantesques que celles de la mer Lidenbrock.

 

Notre radeau longea des fucus longs de trois et quatre mille pieds, immenses serpents qui se dé veloppaient hors de la porté e de la vue; je m’amusais à suivre du regard leurs rubans infinis, croyant toujours en atteindre l’extré mité, et pendant des heures entiè res ma patience é tait trompé e, sinon mon é tonnement.

 

Quelle force naturelle pouvait produire de telles plantes, et quel devait ê tre l’aspect de la terre aux premiers siè cles de sa formation, quand, sous l’action de la chaleur et de l’humidité, le rè gne vé gé tal se dé veloppait seul à sa surface!

 

Le soir arriva, et, ainsi que je l’avais remarqué la veille, l’é tat lumineux de l’air ne subit aucune diminution. C’é tait un phé nomè ne constant sur la duré e duquel on pouvait compter.

 

Aprè s le souper je m’é tendis au pied du mâ t, et je ne tardai pas à m’endormir au milieu d’indolentes rê veries.

 

Hans, immobile au gouvernail, laissait courir le radeau, qui, d’ailleurs, poussé vent arriè re, ne demandait mê me pas à ê tre dirigé.

 

Depuis notre dé part de Port-Graü ben, le professeur Lidenbrock m’avait chargé de tenir le «journal du bord», de noter les moindres observations, de consigner les phé nomè nes inté ressants, la direction du vent, la vitesse acquise, le chemin parcouru, en un mot, tous les incidents de cette é trange navigation.

 

Je me bornerai donc à reproduire ici ces notes quotidiennes, é crites pour ainsi dire sous la dicté e des é vé nements, afin de donner un ré cit plus exact de notre traversé e.

 

Vendredi 14 aoû t. – Brise é gale du N. -O. Le radeau marche avec rapidité et en ligne droite. La cô te reste à trente lieues sous le vent. Rien à l’horizon. L’intensité de la lumiè re ne varie pas. Beau temps, c’est-à -dire que les nuages sont fort é levé s, peu é pais et baigné s dans une atmosphè re blanche, comme serait de l’argent en fusion. Thermomè tre: +32° C.

 

À midi Hans pré pare un hameç on à l’extré mité d’une corde. Il l’amorce avec un petit morceau de viande et le jette à la mer. Pendant deux heures il ne prend rien. Ces eaux sont donc inhabité es? Non. Une secousse se produit. Hans tire sa ligne et ramè ne un poisson qui se dé bat vigoureusement.

 

«Un poisson! s’é crie mon oncle.

 

– C’est un esturgeon! m’é criai-je à mon tour, un esturgeon de petite taille!»

 

Le professeur regarde attentivement l’animal et ne partage pas mon opinion. Ce poisson a la tê te plate, arrondie et la partie anté rieure du corps couverte de plaques osseuses; sa bouche est privé e de dents; des nageoires pectorales assez dé veloppé es sont ajusté es à son corps dé pourvu de queue. Cet animal appartient bien à un ordre où les naturalistes ont classé l’esturgeon, mais il en diffè re par des cô té s assez essentiels.

 

Mon oncle ne s’y trompe pas, car, aprè s un assez court examen, il dit:

 

«Ce poisson appartient à une famille é teinte depuis des siè cles et dont on retrouve des traces fossiles dans le terrain dé vonien.

 

– Comment! dis-je, nous aurions pu prendre vivant un de ces habitants des mers primitives?

 

– Oui, ré pond le professeur en continuant ses observations, et tu vois que ces poissons fossiles n’ont aucune identité avec les espè ces actuelles. Or, tenir un de ces ê tres vivant c’est un vé ritable bonheur de naturaliste.

 

– Mais à quelle famille appartient-il?

 

– À l’ordre des Ganoï des, famille des Cé phalaspides, genre…

 

– Eh bien?

 

– Genre des Pterychtis, j’en jurerais! Mais celui-ci offre une particularité qui, dit-on, se rencontre chez les poissons des eaux souterraines.

 

– Laquelle?

 

– Il est aveugle!

 

– Aveugle!

 

– Non seulement aveugle, mais l’organe de la vue lui manque absolument.»

 

Je regarde. Rien n’est plus vrai. Mais ce peut ê tre un cas particulier. La ligne est donc amorcé e de nouveau et rejeté e à la mer. Cet océ an, à coup sû r, est fort poissonneux, car en deux heures nous prenons une grande quantité de Pterychtis, ainsi que des poissons appartenant à une famille é galement é teinte, les Dipterides, mais dont mon oncle ne peut reconnaî tre le genre. Tous sont dé pourvus de l’organe de la vue. Cette pê che inespé ré e renouvelle avantageusement nos provisions.

 

Ainsi donc, cela paraî t constant, cette mer ne renferme que des espè ces fossiles, dans lesquelles les poissons comme les reptiles sont d’autant plus parfaits que leur cré ation est plus ancienne.

 

Peut-ê tre rencontrerons-nous quelques-uns de ces sauriens que la science a su refaire avec un bout d’ossement ou de cartilage?

 

Je prends la lunette et j’examine la mer. Elle est dé serte. Sans doute nous sommes encore trop rapproché s des cô tes.

 

Je regarde dans les airs. Pourquoi quelques-uns de ces oiseaux reconstruits par l’immortel Cuvier ne battraient-ils pas de leurs ailes ces lourdes couches atmosphé riques? Les poissons leur fourniraient une suffisante nourriture. J’observe l’espace, mais les airs sont inhabité s comme les rivages.

 

Cependant mon imagination m’emporte dans les merveilleuses hypothè ses de la palé ontologie. Je rê ve tout é veillé. Je crois voir à la surface des eaux ces é normes Chersites, ces tortues anté diluviennes, semblables à des î lots flottants. Il me semble que sur les grè ves assombries passent les grands mammifè res des premiers jours, le Leptotherium, trouvé dans les cavernes du Bré sil, le Mericotherium, venu des ré gions glacé es de la Sibé rie. Plus loin, le pachyderme Lophiodon, ce tapir gigantesque, se cache derriè re les rocs, prê t à disputer sa proie à l’Anoplotherium, animal é trange, qui tient du rhinocé ros, du cheval, de l’hippopotame et du chameau, comme si le Cré ateur, pressé aux premiè res heures du monde, eû t ré uni plusieurs animaux en un seul. Le Mastodonte gé ant fait tournoyer sa trompe et broie sous ses dé fenses les rochers du rivage, tandis que le Megatherium, arc-bouté sur ses é normes pattes, fouille la terre en é veillant par ses rugissements l’é cho des granits sonores. Plus haut, le Protopithè que, le premier singe apparu à la surface du globe, gravit les cimes ardues. Plus haut encore, le Pté rodactyle, à la main ailé e, glisse comme une large chauve-souris sur l’air comprimé. Enfin, dans les derniè res couches, des oiseaux immenses, plus puissants que le casoar, plus grands que l’autruche, dé ploient leurs vastes ailes et vont donner de la tê te contre la paroi de la voû te granitique.

 

Tout ce monde fossile renaî t dans mon imagination. Je me reporte aux é poques bibliques de la cré ation, bien avant la naissance de l’homme, lorsque la terre incomplè te ne pouvait lui suffire encore. Mon rê ve alors devance l’apparition des ê tres animé s. Les mammifè res disparaissent, puis les oiseaux, puis les reptiles de l’é poque secondaire, et enfin les poissons, les crustacé s, les mollusques, les articulé s. Les zoophytes de la pé riode de transition retournent au né ant à leur tour. Toute la vie de la terre se ré sume en moi, et mon cœ ur est seul à battre dans ce monde dé peuplé. Il n’y plus de saisons; il n’y a plus de climats; la chaleur propre du globe s’accroî t sans cesse et neutralise celle de l’astre radieux. La vé gé tation s’exagè re. Je passe comme une ombre au milieu des fougè res arborescentes, foulant de mon pas incertain les marnes irisé es et les grè s bigarré s du sol; je m’appuie au tronc des conifè res immenses; je me couche à l’ombre des Sphenophylles, des Asterophylles et des Lycopodes hauts de cent pieds.

 

Les siè cles s’é coulent comme des jours! Je remonte la sé rie des transformations terrestres. Les plantes disparaissent; les roches granitiques perdent leur dureté; l’é tat liquide va remplacer l’é tat solide sous l’action d’une chaleur plus intense; les eaux courent à la surface du globe; elles bouillonnent, elles se volatilisent; les vapeurs enveloppent la terre, qui peu à peu ne forme plus qu’une masse gazeuse, porté e au rouge blanc, grosse comme le soleil et brillante comme lui!

 

Au centre de cette né buleuse, quatorze cent mille fois plus considé rable que ce globe qu’elle va former un jour, je suis entraî né dans les espaces plané taires! Mon corps se subtilise, se sublime à son tour et se mé lange comme un atome impondé rable à ces immenses vapeurs qui tracent dans l’infini leur orbite enflammé e!

 

Quel rê ve! Où m’emporte-t-il? Ma main fié vreuse en jette sur le papier les é tranges dé tails. J’ai tout oublié, et le professeur, et le guide, et le radeau! Une hallucination s’est emparé e de mon esprit…

 

«Qu’as-tu?» dit mon oncle.

 

Mes yeux tout ouverts se fixent sur lui sans le voir.

 

«Prends garde, Axel, tu vas tomber à la mer!»

 

En mê me temps, je me sens saisir vigoureusement par la main de Hans. Sans lui, sous l’empire de mon rê ve, je me pré cipitais dans les flots.

 

«Est-ce qu’il devient fou? s’é crie le professeur.

 

– Qu’y a-t-il? dis-je enfin, en revenant à moi.

 

– Es-tu malade?

 

– Non, j’ai eu un moment d’hallucination, mais il est passé. Tout va bien, d’ailleurs?

 

– Oui! bonne brise, belle mer! nous filons rapidement, et si mon estime ne m’a pas trompé, nous ne pouvons tarder à atterrir.»

 

À ces paroles, je me lè ve, je consulte l’horizon; mais la ligne d’eau se confond toujours avec la ligne des nuages.

 

XXXIII

Samedi 15 aoû t. – La mer conserve sa monotone uniformité. Nulle terre n’est en vue. L’horizon paraî t excessivement reculé.

 

J’ai la tê te encore alourdie par la violence de mon rê ve. Mon oncle n’a pas rê vé, lui, mais il est de mauvaise humeur. Il parcourt tous les points de l’espace avec sa lunette et se croise les bras d’un air dé pité.

 

Je remarque que le professeur Lidenbrock tend à redevenir l’homme impatient du passé, et je consigne le fait sur mon journal. Il a fallu mes dangers et mes souffrances pour tirer de lui quelque é tincelle d’humanité; mais, depuis ma gué rison, la nature a repris le dessus. Et cependant, pourquoi s’emporter? Le voyage ne s’accomplit-il pas dans les circonstances les plus favorables? Est-ce que le radeau ne file pas avec une merveilleuse rapidité?

 

«Vous semblez inquiet, mon oncle? dis-je, en le voyant souvent porter la lunette à ses yeux.

 

– Inquiet? Non.

 

– Impatient, alors?

 

– On le serait à moins!

 

– Cependant nous marchons avec vitesse…

 

– Que m’importe? Ce n’est pas la vitesse qui est trop petite, c’est la mer qui est trop grande!»

 

Je me souviens alors que le professeur, avant notre dé part, estimait à une trentaine de lieues la longueur de ce souterrain. Or nous avons parcouru un chemin trois fois plus long, et les rivages du sud n’apparaissent pas encore.

 

«Nous ne descendons pas! reprend le professeur. Tout cela est du temps perdu, et, en somme, je ne suis pas venu si loin pour faire une partie de bateau sur un é tang!»

 

Il appelle cette traversé e une partie de bateau, et cette mer un é tang!

 

«Mais, dis-je, puisque nous avons suivi la route indiqué e par Saknussemm…

 

– C’est la question. Avons-nous suivi cette route? Saknussemm a-t-il rencontré cette é tendue d’eau? L’a-t-il traversé e? Ce ruisseau que nous avons pris pour guide ne nous a-t-il pas complè tement é garé s?

 

– En tout cas, nous ne pouvons regretter d’ê tre venus jusqu’ici. Ce spectacle est magnifique, et…

 

– Il ne s’agit pas de voir. Je me suis proposé un but, et je veux l’atteindre! Ainsi ne me parle pas d’admirer!»

 

Je me le tiens pour dit, et je laisse le professeur se ronger les lè vres d’impatience. À six heures du soir, Hans ré clame sa paye, et ses trois rixdales lui sont compté s.

 

Dimanche 16 aoû t. – Rien de nouveau. Mê me temps. Le vent a une lé gè re tendance à fraî chir. En me ré veillant, mon premier soin est de constater l’intensité de la lumiè re. Je crains toujours que le phé nomè ne é lectrique ne vienne à s’obscurcir, puis à s’é teindre. Il n’en est rien. L’ombre du radeau est nettement dessiné e à la surface des flots.

 

Vraiment cette mer est infinie! Elle doit avoir la largeur de la Mé diterrané e, ou mê me de l’Atlantique. Pourquoi pas?

 

Mon oncle sonde à plusieurs reprises. Il attache un des plus lourds pics à l’extré mité d’une corde qu’il laisse filer de deux cents brasses. Pas de fond. Nous avons beaucoup de peine à ramener notre sonde.

 

Quand le pic est remonté à bord, Hans me fait remarquer à sa surface des empreintes fortement accusé es. On dirait que ce morceau de fer a é té vigoureusement serré entre deux corps durs.

 

Je regarde le chasseur.

 

«Tä nder!» dit-il.

 

Je ne comprends pas. Je me tourne vers mon oncle, qui est entiè rement absorbé dans ses ré flexions. Je ne me soucie pas de le dé ranger. Je reviens vers l’Islandais. Celui-ci, ouvrant et refermant plusieurs fois la bouche, me fait comprendre sa pensé e.

 

«Des dents!» dis-je avec stupé faction en considé rant plus attentivement la barre de fer.

 

Oui! ce sont bien des dents dont l’empreinte s’est incrusté e dans le mé tal! Les mâ choires qu’elles garnissent doivent possé der une force prodigieuse! Est-ce un monstre des espè ces perdues qui s’agite sous la couche profonde des eaux, plus vorace que le squale, plus redoutable que la baleine! Je ne puis dé tacher mes regards de cette barre à demi rongé e! Mon rê ve de la nuit derniè re va-t-il devenir une ré alité?

 

Ces pensé es m’agitent pendant tout le jour, et mon imagination se calme à peine dans un sommeil de quelques heures.

 

Lundi 17 aoû t. – Je cherche à me rappeler les instincts particuliers à ces animaux anté diluviens de l’é poque secondaire, qui, succé dant aux mollusques, aux crustacé s et aux poissons, pré cé dè rent l’apparition des mammifè res sur le globe. Le monde appartenait alors aux reptiles. Ces monstres ré gnaient en maî tres dans les mers jurassiques[11]. La nature leur avait accordé la plus complè te organisation. Quelle gigantesque structure! quelle force prodigieuse! Les sauriens actuels, alligators ou crocodiles, les plus gros et les plus redoutables, ne sont que des ré ductions affaiblies de leurs pè res des premiers â ges!

 

Je frissonne à l’é vocation que je fais de ces monstres. Nul œ il humain ne les a vus vivants. Ils apparurent sur la terre mille siè cles avant l’homme, mais leurs ossements fossiles, retrouvé s dans ce calcaire argileux que les Anglais nomment le lias, ont permis de les reconstruire anatomiquement et de connaî tre leur colossale conformation.

 

J’ai vu au Musé um de Hambourg le squelette de l’un de ces sauriens qui mesurait trente pieds de longueur. Suis-je donc destiné, moi, habitant de la terre, à me trouver face à face avec ces repré sentants d’une famille anté diluvienne? Non! c’est impossible. Cependant la marque des dents puissantes est gravé e sur la barre de fer, et à leur empreinte je reconnais qu’elles sont coniques comme celles du crocodile.

 

Mes yeux se fixent avec effroi sur la mer. Je crains de voir s’é lancer l’un de ces habitants des cavernes sous-marines.

 

Je suppose que le professeur Lidenbrock partage mes idé es, sinon mes craintes, car, aprè s avoir examiné le pic, il parcourt l’océ an du regard.

 

«Au diable, dis-je en moi-mê me, cette idé e qu’il a eue de sonder! Il a troublé quelque animal marin dans sa retraite, et si nous ne sommes pas attaqué s en route! …»

 

Je jette un coup d’œ il sur les armes, et je m’assure qu’elles sont en bon é tat. Mon oncle me voit faire et m’approuve du geste.

 

Dé jà de larges agitations produites à la surface des flots indiquent le trouble des couches reculé es. Le danger est proche. Il faut veiller.

 

Mardi 18 aoû t. – Le soir arrive, ou plutô t le moment où le sommeil alourdit nos paupiè res, car la nuit manque à cet océ an, et l’implacable lumiè re fatigue obstiné ment nos yeux, comme si nous naviguions sous le soleil des mers arctiques. Hans est à la barre. Pendant son quart je m’endors.

 

Deux heures aprè s, une secousse é pouvantable me ré veille. Le radeau a é té soulevé hors des flots avec une indescriptible puissance et rejeté à vingt toises de là.

 

«Qu’y a-t-il? s’é cria mon oncle. Avons-nous touché?»

 

Hans montre du doigt, à une distance de deux cents toises, une masse noirâ tre qui s’é lè ve et s’abaisse tour à tour. Je regarde et je m’é crie:

 

«C’est un marsouin colossal!

 

– Oui, ré plique mon oncle, et voilà maintenant un lé zard de mer d’une grosseur peu commune.

 

– Et plus loin un crocodile monstrueux! Voyez sa large mâ choire et les rangé es de dents dont elle est armé e. Ah! il disparaî t!

 

– Une baleine! une baleine! s’é crie alors le professeur. J’aperç ois ses nageoires é normes! Vois l’air et l’eau qu’elle chasse par ses é vents!»

 

En effet, deux colonnes liquides s’é lè vent à une hauteur considé rable au-dessus de la mer. Nous restons surpris, stupé faits, é pouvanté s, en pré sence de ce troupeau de monstres marins. Ils ont des dimensions surnaturelles, et le moindre d’entre eux briserait le radeau d’un coup de dent. Hans veut mettre la barre au vent, afin de fuir ce voisinage dangereux; mais il aperç oit sur l’autre bord d’autres ennemis non moins redoutables: une tortue large de quarante pieds, et un serpent long de trente, qui darde sa tê te é norme au-dessus des flots.

 

Impossible de fuir. Ces reptiles s’approchent; ils tournent autour du radeau avec une rapidité que des convois lancé s à grande vitesse ne sauraient é galer; ils tracent autour de lui des cercles concentriques. J’ai pris ma carabine. Mais quel effet peut produire une balle sur les é cailles dont le corps de ces animaux est recouvert?

 

Nous sommes muets d’effroi. Les voici qui s’approchent! D’un cô té le crocodile, de l’autre le serpent. Le reste du troupeau marin a disparu. Je vais faire feu. Hans m’arrê te d’un signe. Les deux monstres passent à cinquante toises du radeau, se pré cipitent l’un sur l’autre, et leur fureur les empê che de nous apercevoir.

 

Le combat s’engage à cent toises du radeau. Nous voyons distinctement les deux monstres aux prises.

 

Mais il me semble que maintenant les autres animaux viennent prendre part à la lutte, le marsouin, la baleine, le lé zard, la tortue. À chaque instant je les entrevois. Je les montre à l’Islandais. Celui-ci remue la tê te né gativement.

 

«Tva, dit-il.

 

– Quoi! deux! Il pré tend que deux animaux seulement…

 

– Il a raison, s’é crie mon oncle, dont la lunette n’a pas quitté les yeux.

 

– Par exemple!

 

– Oui! le premier de ces monstres a le museau d’un marsouin, la tê te d’un lé zard, les dents d’un crocodile, et voilà ce qui nous a trompé s. C’est le plus redoutable des reptiles anté diluviens, l’ichthyosaurus!

 

– Et l’autre?

 

– L’autre, c’est un serpent caché dans la carapace d’une tortue, le terrible ennemi du premier, le plesiosaurus!»

 

Hans a dit vrai. Deux monstres seulement troublent ainsi la surface de la mer, et j’ai devant les yeux deux reptiles des océ ans primitifs. J’aperç ois l’œ il sanglant de l’ichthyosaurus, gros comme la tê te d’un homme. La nature l’a doué d’un appareil d’optique d’une extrê me puissance et capable de ré sister à la pression des couches d’eau dans les profondeurs qu’il habite. On l’a justement nommé la baleine des Sauriens, car il en a la rapidité et la taille. Celui-ci ne mesure pas moins de cent pieds, et je peux juger de sa grandeur quand il dresse au-dessus des flots les nageoires verticales de sa queue. Sa mâ choire est é norme, et d’aprè s les naturalistes, elle ne compte pas moins de cent quatre-vingt-deux dents.

 

Le plesiosaurus, serpent à tronc cylindrique, à queue courte, a les pattes disposé es en forme de rame. Son corps est entiè rement revê tu d’une carapace, et son cou, flexible comme celui du cygne, se dresse à trente pieds au-dessus des flots.

 

Ces animaux s’attaquent avec une indescriptible furie. Ils soulè vent des montagnes liquides qui s’é tendent jusqu’au radeau. Vingt fois nous sommes sur le point de chavirer. Des sifflements d’une prodigieuse intensité se font entendre. Les deux bê tes sont enlacé es. Je ne puis les distinguer l’une de l’autre! Il faut tout craindre de la rage du vainqueur.


Ïîäåëèòüñÿ ñ äðóçüÿìè:

mylektsii.su - Ìîè Ëåêöèè - 2015-2024 ãîä. (0.048 ñåê.)Âñå ìàòåðèàëû ïðåäñòàâëåííûå íà ñàéòå èñêëþ÷èòåëüíî ñ öåëüþ îçíàêîìëåíèÿ ÷èòàòåëÿìè è íå ïðåñëåäóþò êîììåð÷åñêèõ öåëåé èëè íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ Ïîæàëîâàòüñÿ íà ìàòåðèàë