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Voyage au centre de la terre 10 ñòðàíèöà






 

Il faut croire que sous l’inspiration des violentes douleurs, chacun devient polyglotte. Je ne savais pas un seul mot de danois, et cependant je compris d’instinct le mot de notre guide.

 

«De l’eau! de l’eau! m’é criai-je en battant des mains, en gesticulant comme un insensé.

 

– De l’eau! ré pé tait mon oncle. Hvar? demanda-t-il à l’Islandais.

 

– Nedat», ré pondit Hans.

 

Où? En bas! Je comprenais tout. J’avais saisi les mains du chasseur, et je les pressais, tandis qu’il me regardait avec calme.

 

Les pré paratifs du dé part ne furent pas longs, et bientô t nous descendions un couloir dont la pente atteignait deux pieds par toise. Une heure plus tard, nous avions fait mille toises environ et descendu deux mille pieds.

 

En ce moment, nous entendions distinctement un son inaccoutumé courir dans les flancs de la muraille granitique, une sorte de mugissement sourd, comme un tonnerre é loigné. Pendant cette premiè re demi-heure de marche, ne rencontrant point la source annoncé e, je sentais les angoisses me reprendre; mais alors mon oncle m’apprit l’origine des bruits qui se produisaient.

 

«Hans ne s’est pas trompé, dit-il, ce que tu entends là, c’est le mugissement d’un torrent.

 

– Un torrent? m’é criai-je.

 

– Il n’y a pas à en douter. Un fleuve souterrain circule autour de nous!»

 

Nous hâ tâ mes le pas, surexcité s par l’espé rance. Je ne sentais plus ma fatigue. Ce bruit d’une eau murmurante me rafraî chissait dé jà. Le torrent, aprè s s’ê tre longtemps soutenu au-dessus de notre tê te, courait maintenant dans la paroi de gauche, mugissant et bondissant. Je passais fré quemment ma main sur le roc, espé rant y trouver des traces de suintement ou d’humidité. Mais en vain.

 

Une demi-heure s’é coula encore. Une demi-lieue fut encore franchie.

 

Il devint alors é vident que le chasseur, pendant son absence, n’avait pu prolonger ses recherches au-delà. Guidé par un instinct particulier aux montagnards, aux hydroscopes, il «sentit» ce torrent à travers le roc, mais certainement il n’avait point vu le pré cieux liquide; il ne s’y é tait pas dé salté ré.

 

Bientô t mê me il fut constant que, si notre marche continuait, nous nous é loignerions du torrent dont le murmure tendait à diminuer.

 

On rebroussa chemin. Hans s’arrê ta à l’endroit pré cis où le torrent semblait ê tre le plus rapproché.

 

Je m’assis prè s de la muraille, tandis que les eaux couraient à deux pieds de moi avec une violence extrê me. Mais un mur de granit nous en sé parait encore.

 

Sans ré flé chir, sans me demander si quelque moyen n’existait pas de se procurer cette eau, je me laissai aller à un premier moment de dé sespoir.

 

Hans me regarda et je crus voir un sourire apparaî tre sur ses lè vres.

 

Il se leva et prit la lampe. Je le suivis. Il se dirigea vers la muraille. Je le regardai faire. Il colla son oreille sur la pierre sè che, et la promena lentement en é coutant avec le plus grand soin. Je compris qu’il cherchait le point pré cis où le torrent se faisait entendre plus bruyamment. Ce point, il le rencontra dans la paroi laté rale de gauche, à trois pieds au-dessus du sol.

 

Combien j’é tais é mu! Je n’osais deviner ce que voulait faire le chasseur! Mais il fallut bien le comprendre et l’applaudir, et le presser de mes caresses, quand je le vis saisir son pic pour attaquer la roche elle-mê me.

 

«Sauvé s! m’é criai-je.

 

– Oui, ré pé tait mon oncle avec fré né sie, Hans a raison! Ah! le brave chasseur! Nous n’aurions pas trouvé cela!»

 

Je le crois bien! Un pareil moyen, quelque simple qu’il fû t, ne nous serait pas venu à l’esprit. Rien de plus dangereux que de donner un coup de pioche dans cette charpente du globe. Et si quelque é boulement allait se produire qui nous é craserait! Et si le torrent, se faisant jour à travers le roc, allait nous envahir! Ces dangers n’avaient rien de chimé rique; mais alors les craintes d’é boulement ou d’inondation ne pouvaient nous arrê ter, et notre soif é tait si intense que, pour l’apaiser, nous eussions creusé au lit mê me de l’Océ an.

 

Hans se mit à ce travail, que ni mon oncle ni moi nous n’eussions accompli. L’impatience emportant notre main, la roche eû t volé en é clats sous ses coups pré cipité s. Le guide, au contraire, calme et modé ré, usa peu à peu le rocher par une sé rie de petits coups ré pé té s, creusant une ouverture large d’un demi-pied. J’entendais le bruit du torrent s’accroî tre, et je croyais dé jà sentir l’eau bienfaisante rejaillir sur mes lè vres.

 

Bientô t le pic s’enfonç a de deux pieds dans la muraille de granit; le travail durait depuis plus d’une heure. Je me tordais d’impatience! Mon oncle voulait employer les grands moyens. J’eus de la peine à l’arrê ter, et dé jà il saisissait son pic, quand soudain un sifflement se fit entendre. Un jet d’eau s’é lanç a de la muraille et vint se briser sur la paroi opposé e.

 

Hans, à demi renversé par le choc, ne put retenir un cri de douleur. Je compris pourquoi lorsque, plongeant mes mains dans le jet liquide, je poussai à mon tour une violente exclamation. La source é tait bouillante.

 

«De l’eau à cent degré s! m’é criai-je.

 

– Eh bien, elle refroidira», ré pondit mon oncle.

 

Le couloir s’emplissait de vapeurs, tandis qu’un ruisseau se formait et allait se perdre dans les sinuosité s souterraines; bientô t nous y puisions notre premiè re gorgé e.

 

Ah! quelle jouissance! Quelle incomparable volupté! Qu’é tait cette eau? D’où venait-elle? Peu importait. C’é tait de l’eau, et, quoique chaude encore, elle ramenait au cœ ur la vie prê te à s’é chapper. Je buvais sans m’arrê ter, sans goû ter mê me.

 

Ce ne fut qu’aprè s une minute de dé lectation que je m’é criai:

 

«Mais c’est de l’eau ferrugineuse!

 

– Excellente pour l’estomac, ré pliqua mon oncle, et d’une haute miné ralisation! Voilà un voyage qui vaudra celui de Spa ou de Tœ plitz!

 

– Ah! que c’est bon!

 

– Je le crois bien, une eau puisé e à deux lieues sous terre! Elle a un goû t d’encre qui n’a rien de dé sagré able. Une fameuse ressource que Hans nous a procuré e là! Aussi je propose de donner son nom à ce ruisseau salutaire.

 

– Bien!» m’é criai-je.

 

Et le nom de «Hans-bach» fut aussitô t adopté.

 

Hans n’en fut pas plus fier. Aprè s s’ê tre modé ré ment rafraî chi, il s’accota dans un coin avec son calme accoutumé.

 

«Maintenant, dis-je, il ne faudrait pas laisser perdre cette eau.

 

– À quoi bon? ré pondit mon oncle, je soupç onne la source d’ê tre intarissable.

 

– Qu’importe! remplissons l’outre et les gourdes, puis nous essayerons de boucher l’ouverture.»

 

Mon conseil fut suivi. Hans, au moyen d’é clats de granit et d’é toupe, essaya d’obstruer l’entaille faite à la paroi. Ce ne fut pas chose facile. On se brû lait les mains sans y parvenir; la pression é tait trop considé rable, et nos efforts demeurè rent infructueux.

 

«Il est é vident, dis-je, que les nappes supé rieures de ce cours d’eau sont situé es à une grande hauteur, à en juger par la force du jet.

 

– Cela n’est pas douteux, ré pliqua mon oncle, il y a là mille atmosphè res de pression, si cette colonne d’eau a trente-deux mille pieds de hauteur. Mais il me vient une idé e.

 

– Laquelle?

 

– Pourquoi nous entê ter à boucher cette ouverture?

 

– Mais, parce que…»

 

J’aurais é té embarrassé de trouver une bonne raison.

 

«Quand nos gourdes seront vides, sommes-nous assuré s de trouver à les remplir?

 

– Non, é videmment.

 

– Eh bien, laissons couler cette eau! Elle descendra naturellement et guidera ceux qu’elle rafraî chira en route!

 

– Voilà qui est bien imaginé! m’é criai-je, et avec ce ruisseau pour compagnon, il n’y a plus aucune raison pour ne pas ré ussir, dans nos projets.

 

– Ah! tu y viens, mon garç on, dit le professeur en riant.

 

– Je fais mieux que d’y venir, j’y suis.

 

– Un instant! Commenç ons par prendre quelques heures de repos.»

 

J’oubliais vraiment qu’il fit nuit. Le chronomè tre se chargea de me l’apprendre. Bientô t chacun de nous, suffisamment restauré et rafraî chi, s’endormit d’un profond sommeil.

 

XXIV

Le lendemain nous avions dé jà oublié nos douleurs passé es. Je m’é tonnai tout d’abord de n’avoir plus soif, et j’en demandai la raison. Le ruisseau qui coulait à mes pieds en murmurant se chargea de me ré pondre.

 

On dé jeuna et l’on but de cette excellente eau ferrugineuse. Je me sentais tout ragaillardi et dé cidé à aller loin. Pourquoi un homme convaincu comme mon oncle ne ré ussirait-il pas, avec un guide industrieux comme Hans, et un neveu «dé terminé» comme moi? Voilà les belles idé es qui se glissaient dans mon cerveau! On m’eû t proposé de remonter à la cime du Sneffels que j’aurais refusé avec indignation.

 

Mais il n’é tait heureusement question que de descendre.

 

«Partons!» m’é criai-je en é veillant par mes accents enthousiastes les vieux é chos du globe.

 

La marche fut reprise le jeudi à huit heures du matin. Le couloir de granit, se contournant en sinueux dé tours, pré sentait des coudes inattendus, et affectait l’imbroglio d’un labyrinthe; mais, en somme, sa direction principale é tait toujours le sud-est. Mon oncle ne cessait de consulter avec le plus grand soin sa boussole, pour se rendre compte du chemin parcouru.

 

La galerie s’enfonç ait presque horizontalement, avec deux pouces de pente par toise, tout au plus. Le ruisseau courait sans pré cipitation en murmurant sous nos pieds. Je le comparais à quelque gé nie familier qui nous guidait à travers la terre, et de la main je caressais la tiè de naï ade dont les chants accompagnaient nos pas. Ma bonne humeur prenait volontiers une tournure mythologique.

 

Quant à mon oncle, il pestait contre l’horizontalité de la route, lui, «l’homme des verticales». Son chemin s’allongeait indé finiment, et au lieu de glisser le long du rayon terrestre, suivant son expression, il s’en allait par l’hypothé nuse. Mais nous n’avions pas le choix, et tant que l’on gagnait vers le centre, si peu que ce fû t, il ne fallait pas se plaindre.

 

D’ailleurs, de temps à autre, les pentes s’abaissaient; la naï ade se mettait à dé gringoler en mugissant, et nous descendions plus profondé ment avec elle.

 

En somme, ce jour-là et le lendemain, on fit beaucoup de chemin horizontal, et relativement peu de chemin vertical.

 

Le vendredi soir, 10 juillet, d’aprè s l’estime, nous devions ê tre à trente lieues au sud-est de Reykjawik et à une profondeur de deux lieues et demie.

 

Sous nos pieds s’ouvrit alors un puits assez effrayant. Mon oncle ne put s’empê cher de battre des mains en calculant la roideur de ses pentes.

 

«Voilà qui nous mè nera loin, s’é cria-t-il, et facilement, car les saillies du roc font un vé ritable escalier!»

 

Les cordes furent disposé es par Hans de maniè re à pré venir tout accident. La descente commenç a. Je n’ose l’appeler pé rilleuse, car j’é tais dé jà familiarisé avec ce genre d’exercice.

 

Ce puits é tait une fente é troite pratiqué e dans le massif, du genre de celles qu’on appelle «faille»; la contraction de la charpente terrestre, à l’é poque de son refroidissement, l’avait é videmment produite. Si elle servit autrefois de passage aux matiè res é ruptives vomies par le Sneffels, je ne m’expliquais pas comment celles-ci n’y laissè rent aucune trace. Nous descendions une sorte de vis tournante qu’on eû t cru faite de la main des hommes.

 

De quart d’heure en quart d’heure, il fallait s’arrê ter pour prendre un repos né cessaire et rendre à nos jarrets leur é lasticité. On s’asseyait alors sur quelque saillie, les jambes pendantes, on causait en mangeant, et l’on se dé salté rait au ruisseau.

 

Il va sans dire que, dans cette faille, le Hans-bach s’é tait fait cascade au dé triment de son volume; mais il suffisait et au delà à é tancher notre soif; d’ailleurs, avec les dé clivité s moins accusé es, il ne pouvait manquer de reprendre son cours paisible. En ce moment il me rappelait mon digne oncle, ses impatiences et ses colè res, tandis que, par les pentes adoucies, c’é tait le calme du chasseur islandais.

 

Le 11 et le 12 juillet, nous suivî mes les spirales de cette faille, pé né trant encore de deux lieues dans l’é corce terrestre, ce qui faisait prè s de cinq lieues au-dessous du niveau de la mer. Mais, le 13, vers midi, la faille prit, dans la direction du sud-est, une inclinaison beaucoup plus douce, environ quarante-cinq degré s.

 

Le chemin devint alors aisé et d’une parfaite monotonie. Il é tait difficile qu’il en fû t autrement. Le voyage ne pouvait ê tre varié par les incidents du paysage.

 

Enfin, le mercredi 15, nous é tions à sept lieues sous terre et à cinquante lieues environ du Sneffels. Bien que nous fussions un peu fatigué s, nos santé s se maintenaient dans un é tat rassurant, et la pharmacie de voyage é tait encore intacte.

 

Mon oncle tenait heure par heure les indications de la boussole, du chronomè tre, du manomè tre et du thermomè tre, celles-là mê me qu’il a publié es dans le ré cit scientifique de son voyage. Il pouvait donc se rendre facilement compte de sa situation. Lorsqu’il m’apprit que nous é tions à une distance horizontale de cinquante lieues, je ne pus retenir une exclamation.

 

«Qu’as-tu donc? demanda-t-il.

 

– Rien, seulement je fais une ré flexion.

 

– Laquelle, mon garç on?

 

– C’est que, si vos calculs sont exacts, nous ne sommes plus sous l’Islande.

 

– Crois-tu?

 

– Il est facile de nous en assurer.»

 

Je pris mes mesures au compas sur la carte.

 

«Je ne me trompais pas, dis-je; nous avons dé passé le cap Portland, et ces cinquante lieues dans le sud-est nous mettent en pleine mer.

 

– Sous la pleine mer, ré pliqua mon oncle en se frottant les mains.

 

– Ainsi, m’é criai-je, l’Océ an s’é tend au-dessus de notre tê te!

 

– Bah! Axel, rien de plus naturel! N’y a-t-il pas à Newcastle des mines de charbon qui s’avancent sous les flots?»

 

Le professeur pouvait trouver cette situation fort simple; mais la pensé e de me promener sous la masse des eaux ne laissa pas de me pré occuper. Et cependant, que les plaines et les montagnes de l’Islande fussent suspendues sur notre tê te, ou les flots de l’Atlantique, cela diffé rait peu, en somme, du moment que la charpente granitique é tait solide. Du reste, je m’habituai promptement à cette idé e, car le couloir, tantô t droit, tantô t sinueux, capricieux dans ses pentes comme dans ses dé tours, mais toujours courant au sud-est, et toujours s’enfonç ant davantage, nous conduisit rapidement à de grandes profondeurs.

 

Quatre jours plus tard, le samedi 18 juillet, le soir, nous arrivâ mes à une espè ce de grotte assez vaste; mon oncle remit à Hans ses trois rixdales hebdomadaires, et il fut dé cidé que le lendemain serait un jour de repos.

 

XXV

Je me ré veillai donc, le dimanche matin, sans cette pré occupation habituelle d’un dé part immé diat. Et, quoique ce fû t au plus profond des abî mes, cela ne laissait pas d’ê tre agré able. D’ailleurs, nous é tions faits à cette existence de troglodytes. Je ne pensais guè re au soleil, aux é toiles, à la lune, aux arbres, aux maisons, aux villes, à toutes ces superfluité s terrestres dont l’ê tre sublunaire s’est fait une né cessité. En notre qualité de fossiles, nous faisions fi de ces inutiles merveilles.

 

La grotte formait une vaste salle. Sur son sol granitique coulait doucement le ruisseau fidè le. À une pareille distance de sa source, son eau n’avait plus que la tempé rature ambiante et se laissait boire sans difficulté.

 

Aprè s le dé jeuner, le professeur voulut consacrer quelques heures à mettre en ordre ses notes quotidiennes.

 

«D’abord, dit-il, je vais faire des calculs, afin de relever exactement notre situation; je veux pouvoir, au retour, tracer une carte de notre voyage, une sorte de section verticale du globe, qui donnera le profil de l’expé dition.

 

– Ce sera fort curieux, mon oncle; mais vos observations auront-elles un degré suffisant de pré cision?

 

– Oui. J’ai noté avec soin les angles et les pentes. Je suis sû r de ne point me tromper. Voyons d’abord où nous sommes. Prends la boussole et observe la direction qu’elle indique.»

 

Je regardai l’instrument, et, aprè s un examen attentif, je ré pondis:

 

«Est-quart-sud-est.

 

– Bien! fit le professeur en notant l’observation et en é tablissant quelques calculs rapides. J’en conclus que nous avons fait quatre-vingt-cinq lieues depuis notre point de dé part.

 

– Ainsi, nous voyageons sous l’Atlantique?

 

– Parfaitement.

 

– Et, dans ce moment, une tempê te s’y dé chaî ne peut-ê tre, et des navires sont secoué s sur notre tê te par les flots et l’ouragan?

 

– Cela se peut.

 

– Et les baleines viennent frapper de leur queue les murailles de notre prison?

 

– Sois tranquille, Axel, elles ne parviendront pas à l’é branler. Mais revenons à nos calculs. Nous sommes dans le sud-est, à quatre-vingt-cinq lieues de la base du Sneffels, et, d’aprè s mes notes pré cé dentes, j’estime à seize lieues la profondeur atteinte.

 

– Seize lieues! m’é criai-je.

 

– Sans doute.

 

– Mais c’est l’extrê me limite assigné e par la science à l’é paisseur de l’é corce terrestre.

 

– Je ne dis pas non.

 

– Et ici, suivant la loi de l’accroissement de la tempé rature, une chaleur de quinze cents degré s devrait exister.

 

– Devrait, mon garç on.

 

– Et tout ce granit ne pourrait se maintenir à l’é tat solide et serait en pleine fusion.

 

– Tu vois qu’il n’en est rien et que les faits, suivant leur habitude, viennent dé mentir les thé ories.

 

– Je suis forcé d’en convenir, mais enfin cela m’é tonne.

 

– Qu’indique le thermomè tre?

 

– Vingt-sept degré s six dixiè mes.

 

– Il s’en manque donc de quatorze cent soixante-quatorze degré s quatre dixiè mes que les savants n’aient raison. Donc, l’accroissement proportionnel de la tempé rature est une erreur. Donc, Humphry Davy ne se trompait pas. Donc, je n’ai pas eu tort de l’é couter. Qu’as-tu à ré pondre?

 

– Rien.»

 

À la vé rité, j’aurais eu beaucoup de choses à dire. Je n’admettais la thé orie de Davy en aucune faç on, je tenais toujours pour la chaleur centrale, bien que je n’en ressentisse point les effets. J’aimais mieux admettre, en vé rité, que cette cheminé e d’un volcan é teint, recouverte par les laves d’un enduit ré fractaire, ne permettait pas à la tempé rature de se propager à travers ses parois.

 

Mais, sans m’arrê ter à chercher des arguments nouveaux, je me bornai à prendre la situation telle qu’elle é tait.

 

«Mon oncle, repris-je, je tiens pour exact tous vos calculs, mais permettez-moi d’en tirer une consé quence rigoureuse.

 

– Va, mon garç on, à ton aise.

 

– Au point où nous sommes, sous la latitude de l’Islande, le rayon terrestre est de quinze cent quatre-vingt-trois lieues à peu prè s?

 

– Quinze cent quatre-vingt-trois lieues et un tiers.

 

– Mettons seize cents lieues en chiffres ronds. Sur un voyage de seize cents lieues, nous en avons fait douze?

 

– Comme tu dis.

 

– Et cela au prix de quatre-vingt-cinq lieues de diagonale?

 

– Parfaitement.

 

– En vingt jours environ?

 

– En vingt jours.

 

– Or seize lieues font le centiè me du rayon terrestre. À continuer ainsi, nous mettrons donc deux mille jours, ou prè s de cinq ans et demi à descendre!»

 

Le professeur ne ré pondit pas.

 

«Sans compter que, si une verticale de seize lieues s’achè te par une horizontale de quatre-vingts, cela fera huit mille lieues dans le sud-est, et il y aura longtemps que nous serons sortis par un point de la circonfé rence avant d’en atteindre le centre!

 

– Au diable tes calculs! ré pliqua mon oncle avec un mouvement de colè re. Au diable tes hypothè ses! Sur quoi reposent-elles? Qui te dit que ce couloir ne va pas directement à notre but? D’ailleurs j’ai pour moi un pré cé dent. Ce que je fais là un autre l’a fait, et où il a ré ussi je ré ussirai à mon tour.

 

– Je l’espè re; mais, enfin, il m’est bien permis…

 

– Il t’est permis de te taire, Axel, quand tu voudras dé raisonner de la sorte.»

 

Je vis bien que le terrible professeur menaç ait de reparaî tre sous la peau de l’oncle, et je me tins pour averti.

 

«Maintenant, reprit-il, consulte le manomè tre. Qu’indique-t-il?

 

– Une pression considé rable.

 

– Bien. Tu vois qu’en descendant doucement, en nous habituant peu à peu à la densité de cette atmosphè re, nous n’en souffrons aucunement.

 

– Aucunement, sauf quelques douleurs d’oreilles.

 

– Ce n’est rien, et tu feras disparaî tre ce malaise en mettant l’air exté rieur en communication rapide avec l’air contenu dans tes poumons.

 

– Parfaitement, ré pondis-je, bien dé cidé à ne plus contrarier mon oncle. Il y a mê me un plaisir vé ritable à se sentir plongé dans cette atmosphè re plus dense. Avez-vous remarqué avec quelle intensité le son s’y propage?

 

– Sans doute. Un sourd finirait par y entendre à merveille.

 

– Mais cette densité augmentera sans aucun doute?

 

– Oui, suivant une loi assez peu dé terminé e. Il est vrai que l’intensité de la pesanteur diminuera à mesure que nous descendrons. Tu sais que c’est à la surface mê me de la terre que son action se fait le plus vivement sentir, et qu’au centre du globe les objets ne pè sent plus.

 

– Je le sais; mais dites-moi, cet air ne finira-t-il pas par acqué rir la densité de l’eau?

 

– Sans doute, sous une pression de sept cent dix atmosphè res.

 

– Et plus bas?

 

– Plus bas, cette densité s’accroî tra encore.

 

– Comment descendrons-nous alors?

 

– Eh bien, nous mettrons des cailloux dans nos poches.

 

– Ma foi, mon oncle, vous avez ré ponse à tout.»

 

Je n’osai pas aller plus avant dans le champ des hypothè ses, car je me serais encore heurté à quelque impossibilité qui eû t fait bondir le professeur.

 

Il é tait é vident, cependant, que l’air, sous une pression qui pouvait atteindre des milliers d’atmosphè res, finirait par passer à l’é tat solide, et alors, en admettant que nos corps eussent ré sisté, il faudrait s’arrê ter, en dé pit de tous les raisonnements du monde.

 

Mais je ne fis pas valoir cet argument. Mon oncle m’aurait encore riposté par son é ternel Saknussemm, pré cé dent sans valeur, car, en tenant pour avé ré le voyage du savant Islandais, il y avait une chose bien simple à ré pondre:

 

Au XVIe siè cle, ni le baromè tre ni le manomè tre n’é taient inventé s: comment donc Saknussemm avait-il pu dé terminer son arrivé e au centre du globe?

 

Mais je gardai cette objection pour moi, et j’attendis les é vé nements.

 

Le reste de la journé e se passa en calculs et en conversation. Je fus toujours de l’avis du professeur Lidenbrock, et j’enviai la parfaite indiffé rence de Hans, qui, sans chercher les effets et les causes, s’en allait aveuglé ment où le menait la destiné e.

 

XXVI

Il faut l’avouer, les choses jusqu’ici se passaient bien, et j’aurais eu mauvaise grâ ce à me plaindre. Si la «moyenne» des difficulté s ne s’accroissait pas, nous ne pouvions manquer d’atteindre notre but. Et quelle gloire alors! J’en é tais arrivé à faire ces raisonnements à la Lidenbrock. Sé rieusement. Cela tenait-il au milieu é trange dans lequel je vivais? Peut-ê tre.

 

Pendant quelques jours, des pentes plus rapides, quelques-unes mê me d’une effrayante verticalité, nous engagè rent profondé ment dans le massif interne. Par certaines journé es, on gagnait une lieue et demie à deux lieues vers le centre. Descentes pé rilleuses, pendant lesquelles l’adresse de Hans et son merveilleux sang-froid nous furent trè s utiles. Cet impassible Islandais se dé vouait avec un incompré hensible sans-faç on, et, grâ ce à lui, plus d’un mauvais pas fut franchi dont nous ne serions pas sortis seuls.


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