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Voyage au centre de la terre 14 ñòðàíèöà






 

Une heure, deux heures se passent. La lutte continue avec le mê me acharnement. Les combattants se rapprochent du radeau et s’en é loignent tour à tour. Nous restons immobiles, prê ts à faire feu.

 

Soudain l’ichthyosaurus et le plesiosaurus disparaissent en creusant un vé ritable maë lstrom. Le combat va-t-il se terminer dans les profondeurs de la mer?

 

Tout à coup une tê te é norme s’é lance au dehors, la tê te du plesiosaurus. Le monstre est blessé à mort. Je n’aperç ois plus son immense carapace. Seulement, son long cou se dresse, s’abat, se relè ve, se recourbe, cingle les flots comme un fouet gigantesque et se tord comme un ver coupé. L’eau rejaillit à une distance considé rable. Elle nous aveugle. Mais bientô t l’agonie du reptile touche à sa fin, ses mouvements diminuent, ses contorsions s’apaisent, et ce long tronç on de serpent s’é tend comme une masse inerte sur les flots calmé s.

 

Quant à l’ichthyosaurus, a-t-il donc regagné sa caverne sous-marine, ou va-t-il reparaî tre à la surface de la mer?

 

XXXIV

Mercredi 19 aoû t. – Heureusement le vent, qui souffle avec force, nous a permis de fuir rapidement le thé â tre du combat. Hans est toujours au gouvernail. Mon oncle, tiré de ses absorbantes idé es par les incidents de ce combat, retombe dans son impatiente contemplation de la mer.

 

Le voyage reprend sa monotone uniformité, que je ne tiens pas à rompre au prix des dangers d’hier.

 

Jeudi 20 aoû t. – Brise N. -N. -E. assez iné gale. Tempé rature chaude. Nous marchons avec une vitesse de trois lieues et demie à l’heure.

 

Vers midi un bruit trè s é loigné se fait entendre. Je consigne ici le fait sans pouvoir en donner l’explication. C’est un mugissement continu.

 

«Il y a au loin, dit le professeur, quelque rocher, ou quelque î lot sur lequel la mer se brise.»

 

Hans se hisse au sommet du mâ t, mais ne signale aucun é cueil. L’océ an est uni jusqu’à sa ligne d’horizon.

 

Trois heures se passent. Les mugissements semblent provenir d’une chute d’eau é loigné e.

 

Je le fais remarquer à mon oncle, qui secoue la tê te. J’ai pourtant la conviction que je ne me trompe pas. Courons-nous donc à quelque cataracte qui nous pré cipitera dans l’abî me? Que cette maniè re de descendre plaise au professeur, parce qu’elle se rapproche de la verticale, c’est possible, mais à moi…

 

En tout cas, il doit y avoir à quelques lieues au vent un phé nomè ne bruyant, car maintenant les mugissements se font entendre avec une grande violence. Viennent-ils du ciel ou de l’océ an?

 

Je porte mes regards vers les vapeurs suspendues dans l’atmosphè re, et je cherche à sonder leur profondeur. Le ciel est tranquille. Les nuages, emporté s au plus haut de la voû te, semblent immobiles et se perdent dans l’intense irradiation de la lumiè re. Il faut donc chercher ailleurs la cause de ce phé nomè ne.

 

J’interroge alors l’horizon pur et dé gagé de toute brume. Son aspect n’a pas changé. Mais si ce bruit vient d’une chute, d’une cataracte, si tout cet océ an se pré cipite dans un bassin infé rieur, si ces mugissements sont produits par une masse d’eau qui tombe, le courant doit s’activer, et sa vitesse croissante peut me donner la mesure du pé ril dont nous sommes menacé s. Je consulte le courant. Il est nul. Une bouteille vide que je jette à la mer reste sous le vent.

 

Vers quatre heures, Hans se lè ve, se cramponne au mâ t et monte à son extré mité. De là son regard parcourt l’arc de cercle que l’océ an dé crit devant le radeau et s’arrê te à un point. Sa figure n’exprime aucune surprise, mais son poil est devenu fixe.

 

«Il a vu quelque chose, dit mon oncle.

 

– Je le crois.»

 

Hans redescend, puis il é tend son bras vers le sud en disant:

 

«Der nere!

 

– Là -bas?» ré pond mon oncle.

 

Et saisissant sa lunette, il regarde attentivement pendant une minute, qui me paraî t un siè cle.

 

«Oui, oui! s’é crie-t-il.

 

– Que voyez-vous?

 

– Une gerbe immense qui s’é lè ve au-dessus des flots.

 

– Encore quelque animal marin?

 

– Alors mettons le cap plus à l’ouest, car nous savons à quoi nous en tenir sur le danger de rencontrer ces monstres anté diluviens!

 

– Laissons aller», ré pond mon oncle.

 

Je me retourne vers Hans. Hans maintient sa barre avec une inflexible rigueur.

 

Cependant, si de la distance qui nous sé pare de cet animal, et qu’il faut estimer à douze lieues au moins, on peut apercevoir la colonne d’eau chassé e par ses é vents, il doit ê tre d’une taille surnaturelle. Fuir serait se conformer aux lois de la plus vulgaire prudence. Mais nous ne sommes pas venus ici pour ê tre prudents.

 

On va donc en avant. Plus nous approchons, plus la gerbe grandit. Quel monstre peut s’emplir d’une pareille quantité d’eau et l’expulser ainsi sans interruption?

 

À huit heures du soir nous ne sommes pas à deux lieues de lui. Son corps noirâ tre, é norme, monstrueux, s’é tend dans la mer comme un î lot. Est-ce illusion? est-ce effroi? Sa longueur me paraî t dé passer mille toises! Quel est donc ce cé tacé que n’ont pré vu ni les Cuvier ni les Blumembach? Il est immobile et comme endormi; la mer semble ne pouvoir le soulever, et ce sont les vagues qui ondulent sur ses flancs. La colonne d’eau, projeté e à une hauteur de cinq cents pieds retombe avec un bruit assourdissant. Nous courons en insensé s vers cette masse puissante que cent baleines ne nourriraient pas pour un jour.

 

La terreur me prend. Je ne veux pas aller plus loin! Je couperai, s’il le faut, la drisse de la voile! Je me ré volte contre le professeur, qui ne me ré pond pas.

 

Tout à coup Hans se lè ve, et montrant du doigt le point menaç ant:

 

«Holme! dit-il.

 

– Une î le! s’é crie mon oncle.

 

– Une î le! dis-je à mon tour en haussant les é paules.

 

– É videmment, ré pond le professeur en poussant un vaste é clat de rire.

 

– Mais cette colonne d’eau?

 

– Geyser, fait Hans.

 

– Eh! sans doute, geyser! riposte mon oncle, un geyser pareil à ceux de l’Islande[12]!»

 

Je ne veux pas, d’abord, m’ê tre trompé si grossiè rement. Avoir pris un î lot pour un monstre marin! Mais l’é vidence se fait, et il faut enfin convenir de mon erreur. Il n’y a là qu’un phé nomè ne naturel.

 

À mesure que nous approchons, les dimensions de la gerbe liquide deviennent grandioses. L’î lot repré sente à s’y mé prendre un cé tacé immense dont la tê te domine les flots à une hauteur de dix toises. Le geyser, mot que les Islandais prononcent «geysir» et qui signifie «fureur», s’é lè ve majestueusement à son extré mité. De sourdes dé tonations é clatent par instants, et l’é norme jet, pris de colè res plus violentes, secoue son panache de vapeurs en bondissant jusqu’à la premiè re couche de nuages. Il est seul. Ni fumerolles, ni sources chaudes ne l’entourent, et toute la puissance volcanique se ré sume en lui. Les rayons de la lumiè re é lectrique viennent se mê ler à cette gerbe é blouissante, dont chaque goutte se nuance de toutes les couleurs du prisme.

 

«Accostons», dit le professeur.

 

Mais il faut é viter avec soin cette trombe d’eau qui coulerait le radeau en un instant. Hans, manœ uvrant adroitement, nous amè ne à l’extré mité de l’î lot.

 

Je saute sur le roc. Mon oncle me suit lestement, tandis que le chasseur demeure à son poste, comme un homme au-dessus de ces é tonnements.

 

Nous marchons sur un granit mê lé de tuf siliceux; le sol frissonne sous nos pieds comme les flancs d’une chaudiè re où se tord de la vapeur surchauffé e; il est brû lant. Nous arrivons en vue d’un petit bassin central d’où s’é lè ve le geyser. Je plonge dans l’eau qui coule en bouillonnant un thermomè tre à dé versement, et il marque une chaleur de cent soixante-trois degré s.

 

Ainsi donc cette eau sort d’un foyer ardent. Cela contredit singuliè rement les thé ories du professeur Lidenbrock. Je ne puis m’empê cher d’en faire la remarque.

 

«Eh bien, ré plique-t-il, qu’est-ce que cela prouve, contre ma doctrine?

 

– Rien», dis-je d’un ton sec, en voyant que je me heurte à un entê tement absolu.

 

Né anmoins, je suis forcé d’avouer que nous sommes singuliè rement favorisé s jusqu’ici, et que, pour une raison qui m’é chappe, ce voyage s’accomplit dans des conditions particuliè res de tempé rature; mais il me paraî t é vident, certain, que nous arriverons un jour ou l’autre à ces ré gions où la chaleur centrale atteint les plus hautes limites et dé passe toutes les graduations des thermomè tres.

 

Nous verrons bien. C’est le mot du professeur, qui, aprè s avoir baptisé cet î lot volcanique du nom de son neveu, donne le signal de l’embarquement.

 

Je reste pendant quelques minutes encore à contempler le geyser. Je remarque que son jet est irré gulier dans ses accè s, qu’il diminue parfois d’intensité, puis reprend avec une nouvelle vigueur, ce que j’attribue aux variations de pression des vapeurs accumulé es dans son ré servoir.

 

Enfin nous partons en contournant les roches trè s accores du sud. Hans a profité de cette halte pour remettre le radeau en é tat.

 

Mais avant de dé border je fais quelques observations pour calculer la distance parcourue, et je les note sur mon journal. Nous avons franchi deux cent soixante-dix lieues de mer depuis Port-Graü ben, et nous sommes à six cent vingt lieues de l’Islande, sous l’Angleterre.

 

XXXV

Vendredi 21 aoû t. – Le lendemain le magnifique geyser a disparu. Le vent a fraî chi, et nous a rapidement é loigné s de l’î lot Axel. Les mugissements se sont é teints peu à peu.

 

Le temps, s’il est permis de s’exprimer ainsi, va changer avant peu. L’atmosphè re se charge de vapeurs, qui emportent avec elles l’é lectricité formé e par l’é vaporation des eaux salines, les nuages s’abaissent sensiblement et prennent une teinte uniformé ment olivâ tre; les rayons é lectriques peuvent à peine percer cet opaque rideau baissé sur le thé â tre où va se jouer le drame des tempê tes.

 

Je me sens particuliè rement impressionné, comme l’est sur terre toute cré ature à l’approche d’un cataclysme. Les «cumulus[13]» entassé s dans le sud pré sentent un aspect sinistre; ils ont cette apparence «impitoyable» que j’ai souvent remarqué e au dé but des orages. L’air est lourd, la mer est calme.

 

Au loin les nuages ressemblent à de grosses balles de coton amoncelé es dans un pittoresque dé sordre; peu à peu ils se gonflent et perdent en nombre ce qu’ils gagnent en grandeur; leur pesanteur est telle qu’ils ne peuvent se dé tacher de l’horizon; mais, au souffle des courants é levé s, ils se fondent peu à peu, s’assombrissent et pré sentent bientô t une couche unique d’un aspect redoutable; parfois une pelote de vapeurs, encore é clairé e, rebondit sur ce tapis grisâ tre et va se perdre bientô t dans la masse opaque.

 

É videmment l’atmosphè re est saturé e de fluide, j’en suis tout impré gné, mes cheveux se dressent sur ma tê te comme aux abords d’une machine é lectrique. Il me semble que, si mes compagnons me touchaient en ce moment, ils recevraient une commotion violente.

 

À dix heures du matin, les symptô mes de l’orage sont plus dé cisifs; on dirait que le vent mollit pour mieux reprendre haleine; la nue ressemble à une outre immense dans laquelle s’accumulent les ouragans.

 

Je ne veux pas croire aux menaces du ciel, et cependant je ne puis m’empê cher de dire:

 

«Voilà du mauvais temps qui se pré pare.»

 

Le professeur ne ré pond pas. Il est d’une humeur massacrante, à voir l’océ an se prolonger indé finiment devant ses yeux. Il hausse les é paules à mes paroles.

 

«Nous aurons de l’orage, dis-je en é tendant la main vers l’horizon, ces nuages s’abaissent sur la mer comme pour l’é craser!»

 

Silence gé né ral. Le vent se tait. La nature a l’air d’une morte et ne respire plus. Sur le mâ t, où je vois dé jà poindre un lé ger feu Saint-Elme, la voile dé tendue tombe en plis lourds. Le radeau est immobile au milieu d’une mer é paisse et sans ondulations. Mais, si nous ne marchons plus, à quoi bon conserver cette toile, qui peut nous mettre en perdition au premier choc de la tempê te?

 

«Amenons-la, dis-je, abattons notre mâ t! cela sera prudent.

 

– Non, par le diable! s’é crie mon oncle, cent fois non! Que le vent nous saisisse! que l’orage nous emporte! mais que j’aperç oive enfin les rochers d’un rivage, quand notre radeau devrait s’y briser en mille piè ces!»

 

Ces paroles ne sont pas achevé es que l’horizon du sud change subitement d’aspect. Les vapeurs accumulé es se ré solvent en eau, et l’air, violemment appelé pour combler les vides produits par la condensation, se fait ouragan. Il vient des extré mité s les plus reculé es de la caverne. L’obscurité redouble. C’est à peine si je puis prendre quelques notes incomplè tes.

 

Le radeau se soulè ve, il bondit. Mon oncle est jeté de son haut. Je me traî ne jusqu’à lui. Il s’est fortement cramponné à un bout de câ ble et paraî t considé rer avec plaisir ce spectacle des é lé ments dé chaî né s.

 

Hans ne bouge pas. Ses longs cheveux, repoussé s par l’ouragan et ramené s sur sa face immobile, lui donnent une é trange physionomie, car chacune de leurs extré mité s est hé rissé e de petites aigrettes lumineuses. Son masque effrayant est celui d’un homme anté diluvien, contemporain des ichthyosaures et des megatheriums.

 

Cependant le mâ t ré siste. La voile se tend comme une bulle prê te à crever. Le radeau file avec un emportement que je ne puis estimer, mais moins vite encore que ces gouttes d’eau dé placé es sous lui, dont la rapidité fait des lignes droites et nettes.

 

«La voile! la voile! dis-je, en faisant signe de l’abaisser.

 

– Non! ré pond mon oncle.

 

– Nej», fait Hans en remuant doucement la tê te.

 

Cependant la pluie forme une cataracte mugissante devant cet horizon vers lequel nous courons en insensé s. Mais avant qu’elle n’arrive jusqu’à nous le voile de nuage se dé chire, la mer entre en é bullition et l’é lectricité, produite par une vaste action chimique qui s’opè re dans les couches supé rieures, est mise en jeu. Aux é clats du tonnerre se mê lent les jets é tincelants de la foudre; des é clairs sans nombre s’entre-croisent au milieu des dé tonations; la masse des vapeurs devient incandescente; les grê lons qui frappent le mé tal de nos outils ou de nos armes se font lumineux; les vagues soulevé es semblent ê tre autant de mamelons ignivomes sous lesquels couve un feu inté rieur, et dont chaque crê te est empanaché e d’une flamme.

 

Mes yeux sont é blouis par l’intensité de la lumiè re, mes oreilles brisé es par le fracas de la foudre; il faut me retenir au mâ t, qui plie comme un roseau sous la violence de l’ouragan!!!

 

………………………………………………

 

[Ici mes notes de voyage devinrent trè s incomplè tes. Je n’ai plus retrouvé que quelques observations fugitives et prises machinalement pour ainsi dire. Mais, dans leur briè veté, dans leur obscurité mê me, elles sont empreintes de l’é motion qui me dominait, et mieux que ma mé moire elles donnent le sentiment de la situation.]

 

………………………………………………

 

Dimanche 23 aoû t. – Où sommes-nous? Emporté s avec une incomparable rapidité.

 

La nuit a é té é pouvantable. L’orage ne se calme pas. Nous vivons dans un milieu de bruit, une dé tonation incessante. Nos oreilles saignent. On ne peut é changer une parole.

 

Les é clairs ne discontinuent pas. Je vois des zigzags ré trogrades qui, aprè s un jet rapide, reviennent de bas ou haut et vont frapper la voû te de granit. Si elle allait s’é crouler! D’autres é clairs se bifurquent ou prennent la forme de globes de feu qui é clatent comme des bombes. Le bruit gé né ral ne paraî t pas s’en accroî tre; il a dé passé la limite d’intensité que peut percevoir l’oreille humaine, et, quand toutes les poudriè res du monde viendraient à sauter ensemble, «nous ne saurions en entendre davantage».

 

Il y a é mission continue de lumiè re à la surface des nuages; la matiè re é lectrique se dé gage incessamment de leurs molé cules; é videmment les principes gazeux de l’air sont alté ré s; des colonnes d’eau innombrables s’é lancent dans l’atmosphè re et retombent en é cumant.

 

Où allons-nous? … Mon oncle est couché tout de son long à l’extré mité du radeau. La chaleur redouble. Je regarde le thermomè tre; il indique… [Le chiffre est effacé.]

 

Lundi 24 aoû t. – Cela ne finira pas! Pourquoi l’é tat de cette atmosphè re si dense, une fois modifié, ne serait-il pas dé finitif?

 

Nous sommes brisé s de fatigue. Hans comme à l’ordinaire. Le radeau court invariablement vers le sud-est. Nous avons fait plus de deux cents lieues depuis l’î lot Axel.

 

À midi la violence de l’ouragan redouble. Il faut lier solidement tout les objets composant la cargaison. Chacun de nous s’attache é galement. Les flots passent par-dessus notre tê te.

 

Impossible de s’adresser une seule parole depuis trois jours. Nous ouvrons la bouche, nous remuons nos lè vres; il ne se produit aucun son appré ciable. Mê me en se parlant à l’oreille on ne peut s’entendre.

 

Mon oncle s’est approché de moi. Il a articulé quelques paroles. Je crois qu’il m’a dit: «Nous sommes perdus.» Je n’en suis pas certain.

 

Je prends le parti de lui é crire ces mots: «Amenons notre voile.»

 

Il me fait signe qu’il y consent.

 

Sa tê te n’a pas eu le temps de se relever de bas en haut qu’un disque de feu apparaî t au bord du radeau. Le mâ t et la voile sont partis tout d’un bloc, et je les ai vus s’enlever à une prodigieuse hauteur, semblables au pté rodactyle, cet oiseau fantastique des premiers siè cles.

 

Nous sommes glacé s d’effroi. La boule mi-partie blanche, mi-partie azuré e, de la grosseur d’une bombe de dix pouces, se promè ne lentement, en tournant avec une surprenante vitesse sous la laniè re de l’ouragan. Elle vient ici, là, monte sur un des bâ tis du radeau, saute sur le sac aux provisions, redescend lé gè rement, bondit, effleure la caisse à poudre. Horreur! Nous allons sauter! Non! Le disque é blouissant s’é carte; il s’approche de Hans, qui le regarde fixement; de mon oncle, qui se pré cipite à genoux pour l’é viter; de moi, pâ le et frissonnant sous l’é clat de la lumiè re et de la chaleur; il pirouette prè s de mon pied, que j’essaie de retirer. Je ne puis y parvenir.

 

Une odeur de gaz nitreux remplit l’atmosphè re; elle pé nè tre le gosier, les poumons. On é touffe.

 

Pourquoi ne puis-je retirer mon pied? Il est donc rivé au radeau? Ah! la chute de ce globe é lectrique a aimanté tout le fer du bord; les instruments, les outils, les armes s’agitent en se heurtant avec un cliquetis aigu; les clous de ma chaussure adhè rent violemment à une plaque de fer incrusté e dans le bois. Je ne puis retirer mon pied!

 

Enfin, par un violent effort, je l’arrache au moment où la boule allait le saisir dans son mouvement giratoire et m’entraî ner moi-mê me, si…

 

Ah! quelle lumiè re intense! le globe é clate! nous sommes couverts par des jets de flammes!

 

Puis tout s’é teint. J’ai eu le temps de voir mon oncle é tendu sur le radeau, Hans toujours à sa barre et «crachant du feu» sous l’influence de l’é lectricité qui le pé nè tre!

 

Où allons-nous? où allons-nous? …

 

Mardi 25 aoû t. – Je sors d’un é vanouissement prolongé. L’orage continue; les é clairs se dé chaî nent comme une couvé e de serpents lâ ché e dans l’atmosphè re.

 

Sommes-nous toujours sur la mer? Oui, et emporté s avec une vitesse incalculable. Nous avons passé sous l’Angleterre, sous la Manche, sous la France, sous l’Europe entiè re, peut-ê tre! …

 

Un bruit nouveau se fait entendre! É videmment, la mer qui se brise sur des rochers! … Mais alors…

 

XXXVI

Ici se termine ce que j’ai appelé «le journal du bord», si heureusement sauvé du naufrage. Je reprends mon ré cit comme devant.

 

Ce qui se passa au choc du radeau contre les é cueils de la cô te, je ne saurais le dire. Je me sentis pré cipité dans les flots, et si j’é chappai à la mort, si mon corps ne fut pas dé chiré sur les rocs aigus, c’est que le bras vigoureux de Hans me retira de l’abî me.

 

Le courageux Islandais me transporta hors de la porté e des vagues, sur un sable brû lant où je me trouvai cô te à cô te avec mon oncle.

 

Puis il revint vers ces rochers auxquels se heurtaient les lames furieuses, afin de sauver quelques é paves du naufrage. Je ne pouvais parler; j’é tais brisé d’é motions et de fatigues; il me fallut une grande heure pour me remettre.

 

Cependant une pluie diluvienne continuait à tomber, mais avec ce redoublement qui annonce la fin des orages. Quelques rocs superposé s nous offrirent un abri contre les torrents du ciel. Hans pré para des aliments auxquels je ne pus toucher, et chacun de nous, é puisé par les veilles de trois nuits, tomba dans un douloureux sommeil.

 

Le lendemain le temps é tait magnifique. Le ciel et la mer s’é taient apaisé s d’un commun accord. Toute trace de tempê te avait disparu. Ce furent les paroles joyeuses du professeur qui saluè rent mon ré veil. Il é tait d’une gaieté terrible.

 

«Eh bien, mon garç on, s’é cria-t-il, as-tu bien dormi?»

 

N’eû t-on pas dit que nous é tions dans la maison de Kö nigstrasse, que je descendais tranquillement pour dé jeuner et que mon mariage avec la pauvre Graü ben allait s’accomplir ce jour mê me?

 

Hé las! pour peu que la tempê te eû t jeté le radeau dans l’est, nous avions passé sous l’Allemagne, sous ma chè re ville de Hambourg, sous cette rue où demeurait tout ce que j’aimais au monde. Alors quarante lieues m’en sé paraient à peine! Mais quarante lieues verticales d’un mur de granit, et en ré alité, plus de mille lieues à franchir!

 

Toutes ces douloureuses ré flexions traversè rent rapidement mon esprit avant que je ne ré pondisse à la question de mon oncle.

 

«Ah ç a! ré pé ta-t-il, tu ne veux pas me dire si tu as bien dormi?

 

– Trè s bien, ré pondis-je; je suis encore brisé, mais cela ne sera rien.

 

– Absolument rien, un peu de fatigue, et voilà tout.

 

– Mais vous me paraissez bien gai, ce matin, mon oncle.

 

– Enchanté, mon garç on! enchanté! Nous sommes arrivé s!

 

– Au terme de notre expé dition?

 

– Non, mais au bout de cette mer qui n’en finissait pas. Nous allons reprendre maintenant la voie de terre et nous enfoncer vé ritablement dans les entrailles du globe.

 

– Mon oncle, permettez-moi une question.

 

– Je te la permets, Axel.

 

– Et le retour?

 

– Le retour! Ah! tu penses à revenir quand on n’est mê me pas arrivé?

 

– Non, je veux seulement demander comment il s’effectuera.

 

– De la maniè re la plus simple du monde. Une fois arrivé s au centre du sphé roï de, ou nous trouverons une route nouvelle pour remonter à sa surface, ou nous reviendrons tout bourgeoisement par le chemin dé jà parcouru. J’aime à penser qu’il ne se fermera pas derriè re nous.

 

– Alors il faudra remettre le radeau en bon é tat.

 

– Né cessairement.

 

– Mais les provisions, en reste-t-il assez pour accomplir toutes ces grandes choses?

 

– Oui, certes. Hans est un garç on habile, et je suis sû r qu’il a sauvé la plus grande partie de la cargaison. Allons nous en assurer, d’ailleurs.»

 

Nous quittâ mes cette grotte ouverte à toutes les brises. J’avais un espoir qui é tait en mê me temps une crainte; il me semblait impossible que le terrible abordage du radeau n’eû t pas ané anti tout ce qu’il portait. Je me trompais. À mon arrivé e sur le rivage, j’aperç us Hans au milieu d’une foule d’objets rangé s avec ordre. Mon oncle lui serra la main avec un vif sentiment de reconnaissance. Cet homme, d’un dé vouement surhumain dont on ne trouverait peut-ê tre pas d’autre exemple, avait travaillé pendant que nous dormions et sauvé les objets les plus pré cieux au pé ril de sa vie.


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