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Voyage au centre de la terre 12 ñòðàíèöà






 

«Vé ritablement, me dit-il, il est é tonnant que tu ne te sois pas tué mille fois. Mais, pour Dieu! ne nous sé parons plus, car nous risquerions de ne jamais nous revoir.»

 

«Ne nous sé parons plus!» Le voyage n’é tait donc pas fini? J’ouvrais de grands yeux é tonné s, ce qui provoqua immé diatement cette question:

 

«Qu’as-tu donc, Axel?

 

– Une demande à vous adresser. Vous dites que me voilà sain et sauf?

 

– Sans doute.

 

– J’ai tous mes membres intacts?

 

– Certainement.

 

– Et ma tê te?

 

– Ta tê te, sauf quelques contusions, est parfaitement à sa place sur tes é paules.

 

– Eh bien, j’ai peur que mon cerveau ne soit dé rangé.

 

– Dé rangé?

 

– Oui. Nous ne sommes pas revenus à la surface du globe?

 

– Non, certes!

 

– Alors il faut que je sois fou, car j’aperç ois la lumiè re du jour, j’entends le bruit du vent qui souffle et de la mer qui se brise!

 

– Ah! n’est-ce que cela?

 

– M’expliquerez-vous?

 

– Je ne t’expliquerai rien, car c’est inexplicable; mais tu verras et tu comprendras que la science gé ologique n’a pas encore dit son dernier mot.

 

– Sortons donc! m’é criai-je en me levant brusquement.

 

– Non, Axel, non! le grand air pourrait te faire du mal.

 

– Le grand air?

 

– Oui, le vent est assez violent. Je ne veux pas que tu t’exposes ainsi.

 

– Mais je vous assure que je me porte à merveille.

 

– Un peu de patience, mon garç on. Une rechute nous mettrait dans l’embarras, et il ne faut pas perdre de temps, car la traversé e peut ê tre longue.

 

– La traversé e?

 

– Oui, repose-toi encore aujourd’hui, et nous nous embarquerons demain.

 

– Nous embarquer!»

 

Ce dernier mot me fit bondir.

 

Quoi! nous embarquer! Avions-nous donc un fleuve, un lac, une mer à notre disposition? Un bâ timent é tait-il mouillé dans quelque port inté rieur?

 

Ma curiosité fut excité e au plus haut point. Mon oncle essaya vainement de me retenir. Quand il vit que mon impatience me ferait plus de mal que la satisfaction de mes dé sirs, il cé da.

 

Je m’habillai rapidement. Par surcroî t de pré caution, je m’enveloppai dans une des couvertures et je sortis de la grotte.

 

XXX

D’abord je ne vis rien. Mes yeux, dé shabitué s de la lumiè re, se fermè rent brusquement. Lorsque je pus les rouvrir, je demeurai encore plus stupé fait qu’é merveillé.

 

«La mer! m’é criai-je.

 

– Oui, ré pondit mon oncle, la mer Lidenbrock, et, j’aime à le croire, aucun navigateur ne me disputera l’honneur de l’avoir dé couverte et le droit de la nommer de mon nom!»

 

Une vaste nappe d’eau, le commencement d’un lac ou d’un océ an, s’é tendait au delà des limites de la vue. Le rivage, largement é chancré, offrait aux derniè res ondulations des vagues un sable fin, doré et parsemé de ces petits coquillages où vé curent les premiers ê tres de la cré ation. Les flots s’y brisaient avec ce murmure sonore particulier aux milieux clos et immenses; une lé gè re é cume s’envolait au souffle d’un vent modé ré, et quelques embruns m’arrivaient au visage. Sur cette grè ve lé gè rement incliné e, à cent toises environ de la lisiè re des vagues, venaient mourir les contreforts de rochers é normes qui montaient en s’é vasant à une incommensurable hauteur. Quelques-uns, dé chirant le rivage de leur arê te aiguë, formaient des caps et des promontoires rongé s par la dent du ressac. Plus loin, l’œ il suivait leur masse nettement profilé e sur les fonds brumeux de l’horizon.

 

C’é tait un océ an vé ritable, avec le contour capricieux des rivages terrestres, mais dé sert et d’un aspect effroyablement sauvage.

 

Si mes regards pouvaient se promener au loin sur cette mer, c’est qu’une lumiè re «spé ciale» en é clairait les moindres dé tails. Non pas la lumiè re du soleil avec ses faisceaux é clatants et l’irradiation splendide de ses rayons, ni la lueur pâ le et vague de l’astre des nuits, qui n’est qu’une ré flexion sans chaleur. Non. Le pouvoir é clairant de cette lumiè re, sa diffusion tremblante, sa blancheur claire et sè che, le peu d’é lé vation de sa tempé rature, son é clat supé rieur en ré alité à celui de la lune, accusaient é videmment une origine purement é lectrique. C’é tait comme une aurore boré ale, un phé nomè ne cosmique continu, qui remplissait cette caverne capable de contenir un océ an.

 

La voû te suspendue au-dessus de ma tê te, le ciel, si l’on veut, semblait fait de grands nuages, vapeurs mobiles et changeantes, qui, par l’effet de la condensation, devaient, à de certains jours, se ré soudre en pluies torrentielles. J’aurais cru que, sous une pression aussi forte de l’atmosphè re, l’é vaporation de l’eau ne pouvait se produire, et cependant, par une raison physique qui m’é chappait, il y avait de larges nué es é tendues dans l’air. Mais alors «il faisait beau». Les nappes é lectriques produisaient d’é tonnants jeux de lumiè re sur les nuages trè s é levé s; des ombres vives se dessinaient à leurs volutes infé rieures, et souvent, entre deux couches disjointes, un rayon se glissait jusqu’à nous avec une remarquable intensité. Mais, en somme, ce n’é tait pas le soleil, puisque la chaleur manquait à sa lumiè re. L’effet en é tait triste et souverainement mé lancolique. Au lieu d’un firmament brillant d’é toiles, je sentais par-dessus ces nuages une voû te de granit qui m’é crasait de tout son poids, et cet espace n’eû t pas suffi, tout immense qu’il fû t, à la promenade du moins ambitieux des satellites.

 

Je me souvins alors de cette thé orie d’un capitaine anglais qui assimilait la terre à une vaste sphè re creuse, à l’inté rieur de laquelle l’air se maintenait lumineux par suite de sa pression, tandis que deux astres, Pluton et Proserpine, y traç aient leurs mysté rieuses orbites. Aurait-il dit vrai?

 

Nous é tions ré ellement emprisonné s dans une é norme excavation. Sa largeur, on ne pouvait la juger, puisque le rivage allait s’é largissant à perte de vue, ni sa longueur, car le regard é tait bientô t arrê té par une ligne d’horizon un peu indé cise. Quant à sa hauteur, elle devait dé passer plusieurs lieues. Où cette voû te s’appuyait-elle sur ses contreforts de granit? L’œ il ne pouvait l’apercevoir; mais il y avait tel nuage suspendu dans l’atmosphè re, dont l’é lé vation devait ê tre estimé e à deux mille toises, altitude supé rieure à celle des vapeurs terrestres, et due sans doute à la densité considé rable de l’air.

 

Le mot «caverne» ne rend é videmment pas ma pensé e pour peindre cet immense milieu. Mais les mots de la langue humaine ne peuvent suffire à qui se hasarde dans les abî mes du globe. Je ne savais pas, d’ailleurs, par quel fait gé ologique expliquer l’existence d’une pareille excavation. Le refroidissement du globe avait-il donc pu la produire? Je connaissais bien, par les ré cits des voyageurs, certaines cavernes cé lè bres, mais aucune ne pré sentait de telles dimensions.

 

Si la grotte de Guachara, en Colombie, visité e par M. de Humboldt, n’avait pas livré le secret de sa profondeur au savant qui la reconnut sur un espace de deux mille cinq cents pieds, elle ne s’é tendait vraisemblablement pas beaucoup au delà. L’immense caverne du Mammouth, dans le Kentucky, offrait bien des proportions gigantesques, puisque sa voû te s’é levait à cinq cents pieds au-dessus d’un lac insondable, et que des voyageurs la parcoururent pendant plus de dix lieues sans en rencontrer la fin. Mais qu’é taient ces cavité s auprè s de celle que j’admirais alors, avec son ciel de vapeurs, ses irradiations é lectriques et une vaste mer renfermé e dans ses flancs? Mon imagination se sentait impuissante devant cette immensité.

 

Toutes ces merveilles, je les contemplais en silence. Les paroles me manquaient pour rendre mes sensations. Je croyais assister, dans quelque planè te lointaine, Uranus ou Neptune, à des phé nomè nes dont ma nature «terrestrielle» n’avait pas conscience. À des sensations nouvelles il fallait des mots nouveaux, et mon imagination ne me les fournissait pas. Je regardais, je pensais, j’admirais avec une stupé faction mê lé e d’une certaine quantité d’effroi.

 

L’impré vu de ce spectacle avait rappelé sur mon visage les couleurs de la santé; j’é tais en train de me traiter par l’é tonnement et d’opé rer ma gué rison au moyen de cette nouvelle thé rapeutique; d’ailleurs la vivacité d’un air trè s dense me ranimait, en fournissant plus d’oxygè ne à mes poumons.

 

On concevra sans peine qu’aprè s un emprisonnement de quarante-sept jours dans une é troite galerie, c’é tait une jouissance infinie que d’aspirer cette brise chargé e d’humides é manations salines.

 

Aussi n’eus-je point à me repentir d’avoir quitté ma grotte obscure. Mon oncle, dé jà fait à ces merveilles, ne s’é tonnait plus.

 

«Te sens-tu la force de te promener un peu? me demanda-t-il.

 

– Oui, certes, ré pondis-je, et rien ne me sera plus agré able.

 

– Eh bien, prends mon bras, Axel, et suivons les sinuosité s du rivage.»

 

J’acceptai avec empressement, et nous commenç â mes à cô toyer cet océ an nouveau. Sur la gauche, des rochers abrupts, grimpé s les uns sur les autres, formaient un entassement titanesque d’un prodigieux effet. Sur leurs flancs se dé roulaient d’innombrables cascades, qui s’en allaient en nappes limpides et retentissantes. Quelques lé gè res vapeurs, sautant d’un roc à l’autre, marquaient la place des sources chaudes, et des ruisseaux coulaient doucement vers le bassin commun, en cherchant dans les pentes l’occasion de murmurer plus agré ablement.

 

Parmi ces ruisseaux, je reconnus notre fidè le compagnon de route, le Hans-bach, qui venait se perdre tranquillement dans la mer, comme s’il n’eû t jamais fait autre chose depuis le commencement du monde.

 

«Il nous manquera dé sormais, dis-je avec un soupir.

 

– Bah! ré pondit le professeur, lui ou un autre, qu’importe?»

 

Je trouvai la ré ponse un peu ingrate.

 

Mais en ce moment mon attention fut attiré e par un spectacle inattendu. À cinq cents pas, au dé tour d’un haut promontoire, une forê t haute, touffue, é paisse, apparut à nos yeux. Elle é tait faite d’arbres de moyenne grandeur, taillé s en parasols ré guliers, à contours nets et gé omé triques; les courants de l’atmosphè re ne semblaient pas avoir prise sur leur feuillage, et, au milieu des souffles, ils demeuraient immobiles comme un massif de cè dres pé trifié s.

 

Je hâ tais le pas. Je ne pouvais mettre un nom à ces essences singuliè res. Ne faisaient-elles point partie des deux cent mille espè ces vé gé tales connues jusqu’alors, et fallait-il leur accorder une place spé ciale dans la flore des vé gé tations lacustres? Non. Quand nous arrivâ mes sous leur ombrage, ma surprise ne fut plus que de l’admiration.

 

En effet, je me trouvais en pré sence de produits de la terre, mais taillé s sur un patron gigantesque. Mon oncle les appela immé diatement de leur nom.

 

«Ce n’est qu’une forê t de champignons», dit-il.

 

Et il ne se trompait pas. Que l’on juge du dé veloppement acquis par ces plantes chè res aux milieux chauds et humides. Je savais que le «lycoperdon giganteum» atteint, suivant Bulliard, huit à neuf pieds de circonfé rence; mais il s’agissait ici de champignons blancs, hauts de trente à quarante pieds, avec une calotte d’un diamè tre é gal. Ils é taient là par milliers; la lumiè re ne parvenait pas à percer leur é pais ombrage, et une obscurité complè te ré gnait sous ces dô mes juxtaposé s comme les toits ronds d’une cité africaine.

 

Cependant je voulus pé né trer plus avant. Un froid mortel descendait de ces voû tes charnues. Pendant une demi-heure, nous errâ mes dans ces humides té nè bres, et ce fut avec un vé ritable sentiment de bien-ê tre que je retrouvai les bords de la mer.

 

Mais la vé gé tation de cette contré e souterraine ne s’en tenait pas à ces champignons. Plus loin s’é levaient par groupes un grand nombre d’autres arbres au feuillage dé coloré. Ils é taient faciles à reconnaî tre; c’é taient les humbles arbustes de la terre, avec des dimensions phé nomé nales, des lycopodes hauts de cent pieds, des sigillaires gé antes, des fougè res arborescentes, grandes comme les sapins des hautes latitudes, des lé pidodendrons à tiges cylindriques bifurqué es, terminé es par de longues feuilles et hé rissé es de poils rudes comme de monstrueuses plantes grasses.

 

«É tonnant, magnifique, splendide! s’é cria mon oncle. Voilà toute la flore de la seconde é poque du monde, de l’é poque de transition. Voilà ces humbles plantes de nos jardins qui se faisaient arbres aux premiers siè cles du globe! Regarde, Axel, admire! Jamais botaniste ne s’est trouvé à pareille fê te!

 

– Vous avez raison, mon oncle. La Providence semble avoir voulu conserver dans cette serre immense ces plantes anté diluviennes que la sagacité des savants a reconstruites avec tant de bonheur.

 

– Tu dis bien, mon garç on, c’est une serre; mais tu dirais mieux encore en ajoutant que c’est peut-ê tre une mé nagerie.

 

– Une mé nagerie!

 

– Oui, sans doute. Vois cette poussiè re que nous foulons aux pieds, ces ossements é pars sur le sol.

 

– Des ossements! m’é criai-je. Oui, des ossements d’animaux anté diluviens!»

 

Je m’é tais pré cipité sur ces dé bris sé culaires faits d’une substance miné rale indestructible[10]. Je mettais sans hé siter un nom à ces os gigantesques qui ressemblaient à des troncs d’arbres dessé ché s.

 

«Voilà la mâ choire infé rieure du mastodonte, disais-je; voilà les molaires du dinotherium; voilà un fé mur qui ne peut avoir appartenu qu’au plus grand de ces animaux, au mé gatherium. Oui, c’est bien une mé nagerie, car ces ossements n’ont certainement pas é té transporté s jusqu’ici par un cataclysme. Les animaux auxquels ils appartiennent ont vé cu sur les rivages de cette mer souterraine, à l’ombre de ces plantes arborescentes. Tenez, j’aperç ois des squelettes entiers. Et cependant…

 

– Cependant? dit mon oncle.

 

– Je ne comprends pas la pré sence de pareils quadrupè des dans cette caverne de granit.

 

– Pourquoi?

 

– Parce que la vie animale n’a existé sur la terre qu’aux pé riodes secondaires, lorsque le terrain sé dimentaire a é té formé par les alluvions, et a remplacé les roches incandescentes de l’é poque primitive.

 

– Eh bien! Axel, il y a une ré ponse bien simple à faire à ton objection, c’est que ce terrain-ci est un terrain sé dimentaire.

 

– Comment! à une pareille profondeur au-dessous de la surface de la terre?

 

– Sans doute, et ce fait peut s’expliquer gé ologiquement. À une certaine é poque, la terre n’é tait formé e que d’une é corce é lastique, soumise à des mouvements alternatifs de haut et de bas, en vertu des lois de l’attraction. Il est probable que des affaissements du sol se sont produits, et qu’une partie des terrains sé dimentaires a é té entraî né e au fond des gouffres subitement ouverts.

 

– Cela doit ê tre. Mais, si des animaux anté diluviens ont vé cu dans ces ré gions souterraines, qui nous dit que l’un de ces monstres n’erre pas encore au milieu de ces forê ts sombres ou derriè re ces rocs escarpé s?»

 

À cette idé e j’interrogeai, non sans effroi, les divers points de l’horizon; mais aucun ê tre vivant n’apparaissait sur ces rivages dé serts.

 

J’é tais un peu fatigué. J’allai m’asseoir alors à l’extré mité d’un promontoire au pied duquel les flots venaient se briser avec fracas. De là mon regard embrassait toute cette baie formé e par une é chancrure de la cô te. Au fond, un petit port s’y trouvait mé nagé entre les roches pyramidales. Ses eaux calmes dormaient à l’abri du vent. Un brick et deux ou trois goé lettes auraient pu y mouiller à l’aise. Je m’attendais presque à voir quelque navire sortant toutes voiles dehors et prenant le large sous la brise du sud.

 

Mais cette illusion se dissipa rapidement. Nous é tions bien les seules cré atures vivantes de ce monde souterrain. Par certaines accalmies du vent, un silence plus profond que les silences du dé sert, descendait sur les rocs arides et pesait à la surface de l’océ an. Je cherchais alors à percer les brumes lointaines, à dé chirer ce rideau jeté sur le fond mysté rieux de l’horizon. Quelles demandes se pressaient sur mes lè vres? Où finissait cette mer? Où conduisait-elle? Pourrions-nous jamais en reconnaî tre les rivages opposé s?

 

Mon oncle n’en doutait pas, pour son compte. Moi, je le dé sirais et je le craignais à la fois.

 

Aprè s une heure passé e dans la contemplation de ce merveilleux spectacle, nous reprî mes le chemin de la grè ve pour regagner la grotte, et ce fut sous l’empire des plus é tranges pensé es que je m’endormis d’un profond sommeil.

 

XXXI

Le lendemain je me ré veillai complè tement gué ri. Je pensai qu’un bain me serait trè s salutaire, et j’allai me plonger pendant quelques minutes dans les eaux de cette Mé diterrané e. Ce nom, à coup sû r, elle le mé ritait entre tous.

 

Je revins dé jeuner avec un bel appé tit. Hans s’entendait à cuisiner notre petit menu; il avait de l’eau et du feu à sa disposition, de sorte qu’il put varier un peu notre ordinaire. Au dessert, il nous servit quelques tasses de café, et jamais ce dé licieux breuvage ne me parut plus agré able à dé guster.

 

«Maintenant, dit mon oncle, voici l’heure de la maré e, et il ne faut pas manquer l’occasion d’é tudier ce phé nomè ne.

 

– Comment, la maré e! m’é criai-je.

 

– Sans doute.

 

– L’influence de la lune et du soleil se fait sentir jusqu’ici?

 

– Pourquoi pas? Les corps ne sont-ils pas soumis dans leur ensemble à l’attraction universelle? Cette masse d’eau ne peut donc é chapper à cette loi gé né rale? Aussi, malgré la pression atmosphé rique qui s’exerce à sa surface, tu vas la voir se soulever comme l’Atlantique lui-mê me.»

 

En ce moment nous foulions le sable du rivage et les vagues gagnaient peu à peu sur la grè ve.

 

«Voilà bien le flot qui commence, m’é criai-je.

 

– Oui, Axel, et d’aprè s ces relais d’é cume, tu peux voir que la mer s’é lè ve d’une dizaine de pieds environ.

 

– C’est merveilleux!

 

– Non, c’est naturel.

 

– Vous avez beau dire, tout cela me paraî t extraordinaire, et c’est à peine si j’en crois mes yeux. Qui eû t jamais imaginé dans cette é corce terrestre un océ an vé ritable, avec ses flux et ses reflux, avec ses brises, avec ses tempê tes!

 

– Pourquoi pas? Y a-t-il une raison physique qui s’y oppose?

 

– Je n’en vois pas, du moment qu’il faut abandonner le systè me de la chaleur centrale.

 

– Donc, jusqu’ici la thé orie de Davy se trouve justifié e?

 

– É videmment, et dè s lors rien ne contredit l’existence de mers ou de contré es à l’inté rieur du globe.

 

– Sans doute, mais inhabité es.

 

– Bon! pourquoi ces eaux ne donneraient-elles pas asile à quelques poissons d’une espè ce inconnue?

 

– En tout cas, nous n’en avons pas aperç u un seul jusqu’ici.

 

– Eh bien, nous pouvons fabriquer des lignes et voir si l’hameç on aura autant de succè s ici-bas que dans les océ ans sublunaires.

 

– Nous essayerons, Axel, car il faut pé né trer tous les secrets de ces ré gions nouvelles.

 

– Mais où sommes-nous, mon oncle? car je ne vous ai point encore posé cette question à laquelle vos instruments ont dû ré pondre.

 

– Horizontalement, à trois cent cinquante lieues de l’Islande.

 

– Tout autant?

 

– Je suis sû r de ne pas me tromper de cinq cents toises.

 

– Et la boussole indique toujours le sud-est?

 

– Oui, avec une dé clinaison occidentale de dix-neuf degré s et quarante-deux minutes, comme sur terre, absolument. Pour son inclinaison, il se passe un fait curieux que j’ai observé avec le plus grand soin.

 

– Et lequel?

 

– C’est que l’aiguille, au lieu de s’incliner vers le pô le, comme elle le fait dans l’hé misphè re boré al, se relè ve au contraire.

 

– Il faut donc en conclure que le point d’attraction magné tique se trouve compris entre la surface du globe et l’endroit où nous sommes parvenus?

 

– Pré cisé ment, et il est probable que, si nous arrivions sous les ré gions polaires, vers ce soixante-dixiè me degré où James Ross a dé couvert le pô le magné tique, nous verrions l’aiguille se dresser verticalement. Donc, ce mysté rieux centre d’attraction ne se trouve pas situé à une grande profondeur.

 

– En effet, et voilà un fait que la science n’a pas soupç onné.

 

– La science, mon garç on, est faite d’erreurs, mais d’erreurs qu’il est bon de commettre, car elles mè nent peu à peu à la vé rité.

 

– Et à quelle profondeur sommes-nous?

 

– À une profondeur de trente-cinq lieues

 

– Ainsi, dis-je en considé rant la carte, la partie montagneuse de l’É cosse est au-dessus de nous, et, là, les monts Grampians é lè vent à une prodigieuse hauteur leur cime couverte de neige.

 

– Oui, ré pondit le professeur en riant. C’est un peu lourd à porter, mais la voû te est solide; le grand architecte de l’univers l’a construite on bons maté riaux, et jamais l’homme n’eû t pu lui donner une pareille porté e! Que sont les arches des ponts et les arceaux des cathé drales auprè s de cette nef d’un rayon de trois lieues, sous laquelle un océ an et des tempê tes peuvent se dé velopper à leur aise?

 

– Oh! Je ne crains pas que le ciel me tombe sur la tê te. Maintenant, mon oncle, quels sont vos projets? Ne comptez-vous pas retourner à la surface du globe?

 

– Retourner! Par exemple! Continuer notre voyage, au contraire, puisque tout a si bien marché jusqu’ici.

 

– Cependant je ne vois pas comment nous pé né trerons sous cette plaine liquide.

 

– Oh! je ne pré tends point m’y pré cipiter la tê te la premiè re. Mais si les océ ans ne sont, à proprement parler, que des lacs, puisqu’ils sont entouré s de terre, à plus forte raison cette mer inté rieure se trouve-t-elle circonscrite par le massif granitique.

 

– Cela n’est pas douteux.

 

– Eh bien! sur les rivages opposé s, je suis certain de trouver de nouvelles issues.

 

– Quelle longueur supposez-vous donc à cet océ an?

 

– Trente ou quarante lieues.

 

– Ah! fis-je, tout en imaginant que cette estime pouvait bien ê tre inexacte.

 

– Ainsi nous n’avons pas de temps à perdre, et dè s demain nous prendrons la mer.»

 

Involontairement je cherchai des yeux le navire qui devait nous transporter.

 

«Ah! dis-je, nous nous embarquerons. Bien! Et sur quel bâ timent prendrons-nous passage?

 

– Ce ne sera pas sur un bâ timent, mon garç on, mais sur un bon et solide radeau.

 

– Un radeau! m’é criai-je. Un radeau est aussi impossible à construire qu’un navire, et je ne vois pas trop…

 

– Tu ne vois pas, Axel, mais, si tu é coutais, tu pourrais entendre!

 

– Entendre!

 

– Oui, certains coups de marteau qui t’apprendraient que Hans est dé jà à l’œ uvre.

 

– Il construit un radeau?

 

– Oui.

 

– Comment! il a dé jà fait tomber des arbres sous sa hache?

 

– Oh! les arbres é taient tout abattus. Viens, et tu le verras à l’ouvrage.»

 

Aprè s un quart d’heure de marche, de l’autre cô té du promontoire qui formait le petit port naturel, j’aperç us Hans au travail. Quelques pas encore, et je fus prè s de lui. À ma grande surprise, un radeau à demi terminé s’é tendait sur le sable; il é tait fait de poutres d’un bois particulier, et un grand nombre de madriers, de courbes, de couples de toute espè ce, jonchaient litté ralement le sol. Il y avait là de quoi construire une marine entiè re.


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